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La montagne kabyle néglige ses abeilles

Dans les montagnes kabyles, les ruches sont laissées à l’abandon à cause des coûts d’entretien qu’elles impliquent et du manque de formation des apiculteurs

Davina FERREIRA

11 / 2006

Située au nord de l’Algérie, la Kabylie est une région berbère divisée en deux par les français, la Grande et Petite Kabylie ou Haute et Basse Kabylie, suite à l’insurrection de 1871. Son nom viendrait de l’arabe Al-qabila signifiant « tribu », mais aujourd’hui ses habitants préfèrent l’appeler Tamurt n Leqvayel soit « La terre des Kabyles ». Poétiquement, elle porte aussi le nom de Tamurt idurar, « la terre des montagnes ». Elle fait partie des montagnes de l’Atlas, en bordure de la mer Méditerranée, et sa côte étendue sur plusieurs centaines de kilomètres fournie ce que chacun désigne par « la corniche kabyle ». Trois grands massifs occupent la plus grande partie de la région. Au nord, la chaîne de la Kabylie maritime culmine à 1 278 mètres ; au sud, le Djurdjura atteint 2 308 mètres ; et entre les deux se présente le massif Agawa. Ce dernier, d’une altitude moyenne de 800 mètres accueille la plus grande ville de la Grande Kabylie, Tizi-Ouzou, chef-lieu de la wilaya du même nom. L’activité pastorale est la principale occupation de la société de montagne kabyle. L’élevage des abeilles est une activité traditionnelle et séculaire des communautés rurales algériennes. Cette activité constitue non seulement une source d’approvisionnement énergétique, le miel, et un instrument dit thérapeutique, la gelée royale ; mais c’est aussi une source de revenus pour les agriculteurs implantés dans des zones difficiles, comme c’est le cas de la montagne.

Des ruches laissées à l’abandon

« Plus d’un an après les intempéries de l’hiver 2005, les apiculteurs de Kabylie se remettent difficilement des pertes occasionnées par le froid » (El Watan, quotidien indépendant). Ensevelies pendant plusieurs jours sous deux mètres de neige, leurs ruches ont été décimées par le gel. L’apiculture, comme toute activité agricole, est très influencée par le climat et doit en subir les caprices. Sa productivité est aléatoire et peut être très variable d’une année sur l’autre. En Kabylie, la faible pluviométrie au printemps, additionnée au constant réchauffement de la planète, est un réel problème pour l’apiculture, la sécheresse de la terre empêchant la prolifération de flore mellifère. Cette flore spécifique donne en abondance des substances sucrées accessibles aux abeilles domestiques ; il est évident que sans elle les abeilles ne peuvent produire de miel. Avec une bonne pluviométrie on peut obtenir près de 10 fois plus de miel que lors d’une année sans pluie. D’autre part, le climat a un impact direct sur les abeilles elles-mêmes. Les intempéries de juin et juillet, en pleine période de miellé, dissuadent les abeilles de sortir de leurs ruches et les obligent à se nourrir de leur propre miel. La récolte s’en trouve diminuée. Quant aux températures, bien plus rudes qu’en plaines, elles exigent une préparation pour l’hiver plus importante et coûteuse. Nourrir les abeilles en sucre pour tenir tout l’hiver est un vrai luxe que beaucoup ne peuvent se permettre et ne se permettent pas, au risque de perdre ruche et essaim.

En Kabylie, les difficiles conditions de transport et la médiocrité des routes de montagnes n’encouragent pas les apiculteurs à effectuer la transhumance. L’espace exploitable, quant à lui, est restreint. A Ain El Hammam, on trouve 6 111 ruches, soit une ruche tous les quarante mètres, alors que le rayon de survol de l’abeille est de trois kilomètres ! Cette surpopulation, ajoutée à une flore insuffisamment développée, provoque des phénomènes de pillage et des pertes conséquentes d’abeilles lorsque celles-ci entrent en guerre. Le résultat en est une production insignifiante ; d’autant plus que sans transhumance, il n’y a qu’une miellé.

Enfin, s’ajoute le problème du coût de production. La ruche traditionnelle, installée dans un tronc de liège, est la moins chère, mais son rendement est presque nul. Tandis qu’une ruche moderne coûte près d’un tiers de la paie d’un fonctionnaire algérien, ce qui n’est pas sans en dissuader plus d’un. Même si l’acquisition de ruches en Kabylie est subventionnée par l’état, les traitements (des produits chimiques) restent hors de prix. Malheureusement, la région est fortement touchée par le varroa, un acarien qui parasite les abeilles, et ces produits sont indispensables pour le combattre. Voilà pourquoi nombre de ruches sont laissées à l’abandon, faute d’avoir les moyens de les traiter. Les caprices de la météo, le faible rendement, et surtout le coût d’entretien, incitent naturellement les apiculteurs à abandonner leurs ruches et à se tourner vers la vente d’essaims plutôt que la production de miel.

Un manque évident de technicité

Dans les sommets du Djurdjura, l’apiculture souffre également d’un réel manque de formation. Le choix d’une reine forte permet de gagner du temps sur la production. Une abeille novice, elle, à besoin de temps pour se former, mais plus le temps passe, plus elle vieillira et moins elle produira. Voilà par exemple pourquoi les apiculteurs de Kabylie devraient savoir faire un essaimage artificiel. Grâce ce genre de techniques modernes pour choisir la reine ou bien entretenir ses ruches, chacun d’entre eux pourrait améliorer sa production, en quantité comme en qualité, et les réconcilier avec leurs ruches laissées à l’abandon.

Formation et information

Les ingénieurs agronomes et professionnels de l’APAM désirent transmettre ce qu’ils ont appris. Une documentation informative et des CD explicatifs ont été élaborés. Sur le principe du porte-à-porte, l’APAM propose aux apiculteurs de Ain El Hammam de faire un stage de formation à l’essaimage artificiel, au traitement de sa ruche, à des techniques modernes qui permettront une augmentation de ses bénéfices conséquente.

En plus des activités de formation, l’APAM participe à des journées d’information sur l’agriculture, comme celles organisées à Ain El Hammam les 20, 21 et 22 mars 2006, en célébration de la journée de l’Arbre. L’association en profite pour sensibiliser les gens, leur expliquer les dangers de l’abatage des forêts, et les inciter à planter chez eux des arbres mellifères et à créer leur petit coin de jardin. Elle recrute aussi une équipe de volontaires pour nettoyer la zone afin d’agir contre la détérioration de l’environnement. Enfin, elle organise des foires qui font la promotion de produits issus de l’apiculture tels que le miel, la gelée royale ou la cire. Il ne s’agit pas d’écouler la production des apiculteurs de la région car la quantité produite reste très faible, mais bel et bien de faire connaître ces produits.

Key words

agriculture and stockbreeding, production cost, traditional techniques upgrading, food security, public development assistance


, Algeria

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Mountain people in the world

Comments

L’investissement de l’Etat ne doit pas s’arrêter à l’acquisition

Contre les contraintes climatiques, rien ne peut être fait, ni même par l’Etat. En revanche, il peut agir dans un autre domaine. Tout d’abord, il doit augmenter les subventions pour que chaque apiculteur puisse prendre soin de ses ruches et les traiter chaque fois qu’il sera nécessaire. En effet, le gouvernement ne doit pas se contenter d’aider à l’acquisition de ruches, il doit aussi veiller au suivi de la production et aider l’apiculteur tout au long de sa démarche. Pour cela, il est important de créer des centres de formation en apiculture, avec du personnel enseignant compétent, et d’offrir des cours gratuits sur les techniques modernes, mais aussi sur la prévention des maladies. Prévenir coûte moins cher que guérir.

Enfin, la population elle-même doit veiller à l’équilibre naturel du milieu en le préservant. Les arbres ne doivent plus être coupés ni les prairies polluées. Il ne manquera plus alors que l’indulgence de la météo pour que la flore mellifère prolifère.

« Plus qu’un lieu, la montagne c’est un sentiment, celui que l’on ressent pour son foyer. Tout comme lui, on ne veut pas la quitter et on veut partager sa richesse et ses idéaux. Et pourtant, aujourd’hui, c’est un mur qui se dresse devant nous, et au rythme où vont les choses, si elles ne changent pas, nous n’irons pas loin. »

Notes

Cet entretien a été réalisé par ALMEDIO Consultores avec le soutien de la Fondation Charles-Léopold Mayer pendant la rencontre régionale organisée par l’Association des Populations des Montagnes du Monde - APMM.

Source

Entretien avec Hassina Yacini, ingénieur agronome membre de l’Association pour la Promotion de l’Apiculture de Montagne (APAM)

Maison de la culture Maatoub Lounes, Ain El Hamman – Tizi Ouzou, Algérie

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