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La montagne, aussi, a besoin d’une démocratie sincère

Du haut de leurs montagnes, les Marocains regrettent que le Royaume du Maroc, Etat dit démocratique, ne leur laisse pas la parole dans les prises de décisions pour la gestion du territoire.

Davina FERREIRA

11 / 2006

D’une société tribale égalitaire à un Etat autoritaire centralisé

L’anthropologue David Montgomery Hart parle de la société tribale rifaine comme d’une société égalitaire. En termes de démocratie, la population locale disposait d’un immense savoir-faire. Il s’agissait de tribus autonomes et structurées, qui géraient les affaires politiques et sociales d’un espace bien délimité. A la tête de chaque tribu, 40 sages géraient les affaires politiques alors que l’assemblée s’occupait d’organiser les travaux quotidiens du douar (village), tels que la gestion de l’eau ou le règlement des litiges. « Consultation » et « concertation » étaient les maître-mots de la vie quotidienne.

En 1956, l’Indépendance du Maroc s’est illustrée par la passation du pouvoir des élites coloniales vers les élites marocaines, élites majoritairement issues de groupes arabophones. Afin de créer un état unitaire, le Makhzen (ce mot désigne l’Etat marocain comme un Etat tout-puissant, mais désignait anciennement un entrepôt fortifié ou l’on gardait les aliments), avait décidé de ne pas tenir compte des limites territoriales et des structures tribales. Est né un état centralisé et autoritaire. Après les années 1970, des collectivités locales sont créées afin d’effacer définitivement les communautés anciennes, entraînant ainsi la perte du savoir-faire politique, accentuée par la mort des vieux sages qui n’ont pu passer le témoin.

Une démocratie déguisée

A son arrivée au trône en 1999, le nouveau roi du Maroc, Mohamed VI, parle d’une politique basée sur l’état de droit, d’un système démocratique, en bref, d’une réelle transition. Il impose une forte dynamique avec la création de milliers d’associations, mille sur la seule région de Tanger. Cependant, il n’y a pas eu de rupture complète avec la tradition, certains aspects sont restaurés, mais il n’y a pas de changement en profondeur. L’Etat continue à appliquer son « pouvoir récupérateur » et de nombreuses associations, ou même de partis politiques, sont en fait des organismes dit « administratifs », c’est-à-dire créés par l’Etat lui-même dans le but de « se faire bien voir » à l’extérieur. La population autochtone n’est toujours pas consultée et les « élus locaux » agissent sous les ordres de l’Etat national ou du wali (le préfet).

Le cas des montagnes du Rif l’illustre bien. Après le tremblement de terre de 2004, des centaines d’associations se sont créées spontanément, même dans les plus petits villages, pour jouer le rôle de l’Etat qui est intervenu tardivement en matière de sauvetage. Malheureusement, ces associations ne sont pas du tout homogènes, totalement inorganisées et inexpérimentées. Faute de moyens, elles ne peuvent compter que sur le bénévolat et n’intègrent aucun professionnel.

Et qu’en est-il du vote ? Les Rifains tendent à voter massivement, mais ils ne savent ni pour quoi, pour qui. Cela s’explique tout d’abord par un nombre très large de candidats, mais surtout par un taux d’analphabétisme considérable qui touche plus de 80 % des femmes rurales. Sans oublier le mokadem (un agent du ministère de l’Intérieur) envoyé pour contrôler les votes, et, bien sûr, toutes les rumeurs qui courent et menacent tout un chacun de se voir retirer ses papiers. Tous les moyens sont bons pour gagner des voix ! En période électorale, l’intérêt de l’Etat pour les populations de montagnes est étrangement grandissant. Tout d’abord, on rapproche les bureaux administratifs des montagnards pour leur permettre de faire une demande de carte d’identité, car on sait combien c’est un luxe pour eux que de se déplacer en ville. Puis, on continue cet énorme travail de proximité, installant des bureaux de vote mobiles, faisant montre d’une grande compassion pour les populations autochtones, jouant de leur origine tribale, achetant même des voix pour s’assurer de l’élection de X. Mais, une fois élu, X le makhzanien oublie tout des traditions de gestion locale de la tribu. Plus incroyable encore, l’administration porte si peu d’intérêt aux listes des candidats dans les régions de montagnes que même les morts y apparaissent !

Impliquer la population pour bien gouverner au niveau local

L’ADELMA (Association de Développement Local Méditerranéen) est née le 23 juillet 2002 à Tanger, avec la prétention d’agir pour un développement local démocratique. Ses objectifs : renforcer les institutions locales et le tissu associatif de la région ; contribuer au renforcement des capacités des collectivités locales en tant qu’acteurs actifs du développement socio-économique ; développer des partenariats entre acteurs territoriaux afin de promouvoir un développement local participatif ; et enfin, participer à la création d’emplois et à l’amélioration des capacités professionnelles pour augmenter les opportunités d’insertion dans la vie active de la population la plus défavorisée.

En 2003, l’association a exécuté, en partenariat avec l’Ong espagnole Proyecto local, le projet « Pact Tanger – appui à la coopération territoriale pour la lutte contre la pauvreté urbaine », financé par la mairie de Barcelone. Puis, elle a mené à bien les projets « Progol – projet de la bonne gouvernance locale au nord du Maroc – Tanger et Tétouan » et Progol Femmes.

Les bénéficiaires du projet Progol Femmes sont majoritairement des femmes ayant une expérience dans le domaine associatif, qui occupent des postes à responsabilité dans une collectivité locale, et des femmes du monde économique. Ce projet proposait des formations et une sensibilisation pour promouvoir l’égalité des chances et l’approche des genres dans la gestion des associations, des entreprises et dans les projets de développement de la collectivité locale. Ainsi, il s’est agi d’augmenter la capacité des organismes en matière de développement de l’égalité des droits ; de renforcer la capacité d’analyse et d’action des femmes sur leurs droits ; de développer des capacités de planification stratégique et de gestion de projet ; et enfin, d’augmenter « l’empowerment », le leadership et la participation à la prise de décision et à l’exercice du pouvoir des femmes du monde économique ou éducatif, ou des femmes membres d’associations des collectivités de Tanger et Tétouan.

Préparer le tapis rouge pour accueillir la démocratie

Le terrain de la démocratie est un terrain à préparer longuement. La première chose à faire : en finir avec l’analphabétisme. Sinon, comment prétendre mettre en place un système démocratique ? Ainsi, l’on pourra former les gens à la gestion d’associations, les éduquer à leurs devoirs en tant que citoyens, pour qu’ils comprennent enfin pour quoi et pour qui ils votent. Dès le plus jeune âge, les programmes scolaires devraient inclure des leçons sur la démocratie.

La formation des associations doit aussi passer par une ouverture vers des partenaires étrangers, par une coopération avec des acteurs internationaux, par un partage des expériences.

L’Etat est un facteur indispensable. Il doit comprendre qu’au niveau local, la montagne ne peut être gérée comme la ville. Ses élus doivent utiliser le savoir-faire des populations locales, qui ont toujours su gérer parfaitement les espaces de montagnes. Le pouvoir doit rompre avec la tradition strictement arabo-musulmane. Impulser une dynamique associative est un grand pas, mais il n’est pas suffisant sans un suivi des organismes. La construction de la démocratie est un projet qui doit s’inscrire sur le long terme.

Key words

mountain, traditional knowledge loss, corruption, social exclusion, impact of education on development, local development, participation of inhabitants


, Morocco

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Mountain people in the world

Comments

La montagne, aujourd’hui et demain

La montagne n’est pas qu’un « réservoir », c’est un espace qui ne pourrait exister sans la plaine, la campagne, le désert ou les oasis. C’est un espace difficile qui forge une personnalité : le montagnard, son autosuffisance, sa liberté. « Dans toute montagne, il y a un chemin » (proverbe perse). La montagne est un obstacle, mais avec de la volonté, avec de la curiosité pour ce qui se trouve au-delà, il est surmontable.

Au Maroc, la société civile émergente semble très prometteuse, et l’union de chacun de ses acteurs permettra d’asseoir une structure démocratique dans les montagnes, comme au Maroc en général. L’émergence de nombreuses associations féminines est un facteur réellement positif qui invite à être très optimiste pour l’avenir. Cependant, il faut toujours rester attentif car persiste un risque perpétuel de « retour en arrière ».

Notes

Cet entretien a été réalisé par ALMEDIO Consultores avec le soutien de la Fondation Charles-Léopold Mayer pendant la rencontre régionale organisée par l’Association des Populations des Montagnes du Monde - APMM.

Source

Entretien avec Mohamed BENALI, Association de Développement Local Méditerranéen (ADELMA), Avenue Youssef Ibn Tachfine, Immeuble Ibn Tachfine, 2 ème étage N° 5, 90000 Tanger, MAROC - Téléphone/ Fax : +212 (0)39321418 - adelma [at] menara.ma - www.adelmaroc.org

ALMEDIO - 2, traverse Baussenque, 13002 Marseille, FRANCE Almedio Consultores. Norma 233, Maitencillo. Comuna de Puchuncaví. Va Región, CHILI - Fono: (56)32 277 2231 - Chile - www.almedio.fr - info (@) almedio.fr

APMM (Association des Populations des Montagnes du Monde) - 50 boulevard Malesherbes, 75008 Paris, FRANCE - Tel:+33.1.42.93.86.60 – Fax:+33.1.45.22.28.18 - France - www.mountainpeople.org - contact (@) mountainpeople.org

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