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L’engagement des jeunes dans un contexte rural

La communauté Klampun en Papouasie-Nouvelle-Guinée

Federico M. ROSSI

02 / 2005

L’expérience de « l’éveil » : Patrick et sa lutte pour la défense de sa communauté

Patrick est un jeune membre de la tribu Sulka, une communauté rurale de clans qui vit d’une agriculture de subsistance dans la province de East New Britain, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. La région où vit la tribu Sulka est très riche en ressources naturelles. La convoitise autour de cette richesse a donc abouti à la déforestation de 40 % de la forêt tropicale. Doublé d’une absence de perspectives d’avenir pour les jeunes, ce phénomène a poussé un grand nombre d’entre eux à migrer vers la ville à la recherche d’autres opportunités. C’est également le cas pour Patrick qui a quitté sa région à 19 ans pour essayer d’entrer à l’université. Ce jeune homme a malheureusement échoué dans ses projets et a sombré dans l’alcool, sa vie ayant perdu tout sens.

Patrick a traversé une période d’errance. Puis, sa sœur aînée, qui travaillait dans une ONG locale (l’East New Britain Sosel Ekson Komiti [ENBSEK]), l’a incité à vivre une expérience qui a changé son existence. Comme il le raconte lui-même :

C’est grâce à ma grande sœur qui travaille pour l’ENBSEK que j’ai été sélectionné pour participer à un voyage éducatif à la campagne. Nous avons visité des projets communaux qui ont porté leurs fruits grâce aux communautés locales. Ces communautés étaient bien organisées et avaient une grande capacité à faire avancer les choses en promouvant des activités auto-gérées. Ils n’avaient pas besoin d’argent pour lancer de tels projets. Ils se servaient en revanche des matériels locaux. Leur vie dépendait des ressources basées sur le travail de la communauté. Il y avait beaucoup de choses à faire à la maison. Ces personnes vivaient dans l’abondance et disposaient de nourriture suffisante pour se nourrir et étaient conscientes de l’importance de leur environnement (entretien via Internet).

Ce projet également développé dans la Communauté Tiemtop, consistait en la création d’un espace de protection naturelle. L’ONG ENBSEK a pu le réaliser en collaboration avec la tribu de cette région (les Mengen, une centaine de personnes organisées en cinq clans). ENBSEK est une organisation qui se bat pour protéger les ressources naturelles et pour permettre aux habitants d’origine qui vivent en harmonie avec leur environnement de se réapproprier les moyens traditionnels de subsistance.

Patrick garde à l’esprit cette expérience et il essaie de la reproduire au sein de sa propre communauté. Elle est en tout point de vue sociale et politique. D’une part, elle constitue une manière de réinvestir la tradition de sa culture qui, selon lui, a commencé à péricliter depuis l’arrivée de l’homme occidental sur l’île. Dans cette tradition, l’harmonie avec la nature et les moyens de subsistance qu’elle offre tenait une place capitale. D’autre part, il s’agit de la lutte d’une communauté pour sauvegarder le reste de la forêt encore vierge. Après s’être battu contre l’État et les multinationales afin de freiner l’exploitation de l’île, la communauté met en place l’auto-gestion de l’espace naturel de façon traditionnelle et durable en collaboration technique avec ENBSEK. Ainsi, mènent-ils également un combat pour l’application des Actes de Protection des Espaces Naturels en Papouasie-Nouvelle-Guinée (1978). Ils affirment d’ailleurs que ces Actes sont rarement respectés. Nous pouvons observer un schéma de l’organisation communale pour la protection de ces deux espaces naturels dans le Graphique I.

Cette expérience a marqué Patrick car elle a redonné sens à sa vie. Il s’est senti utile dans ce rôle pour le bien de la communauté.

Cette expérience a marqué un tournant dans ma vie, je me suis senti mis au défi. Je ressentais le besoin de venir en aide à ma communauté pour lui donner les moyens de progresser toute seule. J’ai compris très vite que j’avais un rôle très important à jouer dans ma communauté (entretien via Internet).

Le cas de Patrick, toute particularité mise à part, illustre l’importance dans l’engagement politique d’une expérience personnelle permettant cet « éveil » d’intérêts qui donneront un nouveau sens. Comme l’affirme une professionnelle du Millennium Institute for Children with Special Needs (Institut du millénaire pour les enfants avec des besoins spécifiques) au Sri Lanka :

Je pense que les jeunes personnes qui franchissent cette frontière pour s’engager ou devenir actifs dans la politique ou dans le social, sont généralement conditionnées par une expérience personnelle qui les a poussées à développer une conscience plus profonde sur des sujets sociaux et politiques. Quand je suis amenée à parler avec les jeunes militants de leur engagement, je retrouve toujours ce fil conducteur commun : cette expérience d’« éveil ». Les expériences en elles-mêmes sont très différentes. Certains parmi eux ont été encouragés par des enseignants ou des parents. D’autres ont pu voyager et sont devenus plus conscients des inégalités de notre monde. Et d’autres encore ont vécu la souffrance ou la discrimination très près de chez eux (Jane H., entretien via Internet).

Patrick a connu cet « éveil » à travers le projet mené par la Communauté Tiemtop. Comme dans la fiche sur les Amis de Talas, la famille est très importante pour favoriser l’engagement d’un jeune, en témoigne la citation ci-dessus. Patrick réalise l’importance de sa participation au sein de sa communauté : son but est de reproduire cette expérience et de sauvegarder la forêt comme cadre de vie. Son aide à la communauté contribuera en outre à perpétuer une tradition (l’agriculture de subsistance) que sa famille a développée tout au long de l’histoire. Il observe également que la protection de l’environnement est urgente car leur présent et leur avenir sont en danger. Selon ses termes : « Après avoir imaginé le scénario qui nous attend demain, je suis plus que vigilant concernant ce problème qui est en train de déchirer mon propre milieu social… » (entretien via Internet).

Graphique 1 : Organisation communale pour la protection de la forêt tropicale en Papouasie-Nouvelle-Guinée (Communautés Klampun et Tiemtop)

Organisation communale pour la protection de la forêt tropicale en Papouasie-Nouvelle-Guinée

Source : Kinkade (2003 : p. 13), entretiens (via Internet et personnel, octobre 2003), matériel élaboré par la Communauté Klampun (2003).

Les enjeux macro-sociaux qui nourrissent les conflits communautaires et mondiaux prennent une grande part dans la motivation de Patrick à accompagner jusqu’au bout les transformations de sa communauté :

Ce projet devrait nous permettre de créer une atmosphère dans laquelle les besoins des personnes aussi bien que leurs souhaits et leurs besoins seraient remplis grâce à leurs propres efforts. C’est ainsi que notre communauté apparaît plus attrayante que le besoin d’aller chercher un travail en ville, ce qui incite à la vie urbaine (entretien via Internet).

Nous devons rappeler les conditions de vie de Patrick qui avait lui-même décidé de migrer en ville (« l’incitation à la vie urbaine ») et qui a souffert des frustrations habituelles d’un migrant rural : sentiments d’aliénation et d’exclusion. La situation marginale dans laquelle il s’est finalement retrouvé et qu’il a pu surmonter a également contribué à façonner sa lutte pour la sauvegarde d’un mode de vie. Patrick l’a revalorisé et a ressenti l’envie de partager cette expérience avec tous les jeunes.

Les particularités de la dimension associative propre à ce travail de recherche (dans un milieu rural organisé en clans) contribueront à déterminer le mode opératoire : « … l’engagement de la communauté (…) qui travaille pour promouvoir une campagne environnementale pour la protection de ses ressources naturelles » (dépliant « Klampun Wildlife Management Area » - Gestion de la communauté Klampun d’une zone sauvage, 2003). Aussi, après un long travail pour être reconnu comme un orateur actif plutôt que comme un simple jeune à l’écoute des adultes, Patrick deviendra-t-il un facilitateur et un promoteur de débats entre les représentants des clans. C’est ainsi qu’il réussira à organiser de manière communautaire la tribu pour protéger et administrer les 5 200 hectares qui ont échappé à la déforestation.

Quand nous lui demandons comment il procède pour que cette facilitation soit mise en œuvre il raconte qu’à travers les représentants des clans (et parfois par des assemblées rassemblant toute la tribu) il cherche à résoudre les conflits existants en organisant des débats et des mises en scène. Cela lui permet de réduire le clivage entre les différentes personnes en créant des liens plus solides dans la communauté grâce à ce projet collectif. Pour ce faire, ils ont même construit une salle de réunion écologique en utilisant des cannes et des troncs d’arbres de la région. Dans cette salle, les représentants des clans se rassemblent pour débattre des différents sujets. Autrement dit, la totalité de la communauté est engagée pour son propre bien et fonctionne comme un ensemble (à travers les représentants des clans ou en assemblée générale) pour la protection et la réappropriation de sa culture et de son environnement (en reproduisant le schéma des liens et des rapports fondamentaux entre les différents acteurs).

De l’expérience personnelle aux conditions générales : des points de rencontre

Le cas de la Communauté Klampun et l’expérience personnelle de Patrick nous permettent de constater l’importance du lien existant entre une problématique macro-sociale et le parcours biographique d’une personne. Dans ce cas de figure – comme celui de Luciana d’ATTAC en Argentine le militantisme est lié à la découverte professionnelle : « Personnellement, je n’ai qu’une envie, c’est de faire de l’enseignement un métier. Cela me permettrait d’être reconnu [par la communauté] et d’utiliser ce privilège pour aider des communautés à subvenir par elles-mêmes… » (Patrick, entretien via Internet).

Ce cas nous montre également l’importance des expériences de rupture personnelle ou de rapprochement et de compréhension (favorisées ici par un lien familial). Cette situation favorise le militantisme en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Enfin, comme dans les cas d’ATTAC et des Amis de Talas nous constatons que la condition de jeunes ne structure pas l’engagement des jeunes. En revanche, ces jeunes personnes se retrouvent profondément immergées dans ce tissu institutionnel et/ou social auquel ils veulent appartenir. Nous observons également que, pour ce faire, ils ne cherchent pas à être reconnus en tant que jeunes mais en tant que militants, facilitateurs, etc. Dans la citation qui suit, Patrick résume la façon dont les jeunes perçoivent généralement leur condition :

Je ne resterai pas jeune indéfiniment. Je dois être prêt pour entrer dans une autre étape de la vie. Je dois prendre en considération mon rôle de leadership en tant que jeune afin de favoriser l’évolution de mes capacités [pour aider la communauté], car c’est ce rôle qui va déterminer ma place à l’avenir (entretien via Internet).

En d’autres termes, la condition de jeunes est transitoire et l’engagement des jeunes ne représente pas une fin en soi. Il s’agit plutôt d’un moyen pour atteindre quelque chose de plus important, une sorte de rôle social que l’individu veut remplir dans les relations socio-historiques au sein desquelles il est immergé. (Dans un sondage réalisé aux Philippines en 1996 auprès de jeunes âgés de 15 à 24 ans qui participaient à un camp de jeunesse dans la ville de Bangio, des réponses similaires ont été recueillies ; cf. International Youth Foundation, 1996 : p. 105).

Key words

social sciences, sociology, young person, popular participation, rural environment, social movement


, Papua New Guinea

file

La jeunesse en mouvement : rapport de recherche sur les formes d’engagement politique des jeunes

Notes

Cette fiche est également disponible en espagnol : La Participación Juvenil Rural: La Comunidad Klampun de Papua Nueva Guinea

Source

Entretiens avec Patrick, jeune militant et Jane H., professionnelle au Millennium Institute for Children with Special Needs

International Youth Foundation (1996) Youth Participation: Challenges and Opportunities. Meeting Report, International Youth Foundation: Nakhon Pathom.

Kinkade, S. (2003) “Patrick Kaupun. Promoting Community Self-Reliance”, en Kinkade, S. Youth in Action. Profiles of youth leading change around the world, Youth Action Net - International Youth Foundation: Baltimore.

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