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Les limites du Photovoltaïque décentralisé pour les PED

Edgar BLAUSTEIN, Bernard DEVIN

02 / 2005

« Le problème de la pauvreté, c’est l’énergie, le salut c’est le photovoltaïque » ! Qui n’a entendu présenter la question de l’énergie pour les zones rurales en développement – par définition des populations sous le seuil de pauvreté – de cette manière lapidaire ? D’emblée, le photovoltaïque (PV) est affiché comme l’énergie des pauvres, alors que c’est la plus chère au monde. Utopie manifeste, qui demande pourtant à être revisitée, en affinant à la fois la manière de présenter le problème et d’en choisir les approches.

Il y a d’abord à sortir de l’amalgame « tout électrique » pour les besoins « des pauvres » : la vie quotidienne est d’abord faite d’énergie pour la cuisine, pour le chauffage (dans plus de cas qu’on ne le pense), pour le transport (car la ville est éloignée, par définition). Vient ensuite le pompage de l’eau, puis l’éclairage – avec ses « annexes » : la radio, la télévision, la recharge du téléphone portable, le ventilateur. Il n’y a pas de demande « de photovoltaïque », mais il y a une demande pour les services que l’électricité permet d’obtenir. Ce n’est donc qu’une petite partie des besoins énergétiques quotidiens de la vie familiale que le photovoltaïque peut résoudre. C’est l’une des « caches » de l’utopie photovoltaïque pour les PED.

Quant aux besoins d’énergie électrique liés aux Objectifs de Développement du Millénaire (OMD) mis au premier plan au Sommet de Johannesbourg, ils représentent, au niveau du village, environ cinq fois autant que les besoins domestiques des familles.

Besoins d’énergie domestiques et besoins d’énergie pour le développement économique et social (durable, bien sûr !) sont deux domaines complémentaires :

Est-il utopique de penser éclairer de manière systématique, rapide et économique, les populations non électrifiées des PED, par des panneaux solaires ? Et qui paiera la facture de première installation. Et par extension : le photovoltaïque serait-il la solution pour l’ensemble des besoins énergétiques du monde rural isolé ? Sinon que choisir ?

Au-delà des « opérations de démonstration » qui se succèdent, en continuité linéaire, depuis 25 ans (elles ont été une phase d’apprentissage, incontournable), se posent maintenant les trois défis du « changement d’échelle » pour réellement apporter quelque chose aux « deux milliards d’hommes » freinés dans leur développement par l’absence d’accès à l’énergie électrique :

  • L’échelle du temps, qu’il faudrait comprimer d’un facteur 40.

  • L’échelle de la puissance et de la quantité d’énergie disponible : il faudrait exploser d’un facteur 300 la taille des unités construites, pour alimenter les activités « productives » et les « services de base des OMD ». Pour les besoins d’un village d’environ 500 personnes, il faudrait 30 à 100 kWh d’énergie disponible par jour, alors que 100 à 300 Wh suffisent pour l’éclairage familial et ses annexes.

  • L’échelle de la réalisation, de la Maîtrise d’Ouvrage décentralisée et multipliée pour une action accélérée de grande envergure sur la planète.

Petite histoire, les pionniers conscients : PV et éclairage

Des bricoleurs astucieux avaient eu l’idée de faire un petit oscillateur avec trois piles R14 pour allumer un long tube fluo standard, quelle surprise : cela était donc simple et possible ? La lampe à basse consommation (LBC) commençait à sortir chez Philips dans les années 1980, à l’époque même où l’AFME était créée et reprenait les actifs du COMES. On se souvient que son Président Henry Durand avait été le pionnier des panneaux photovoltaïques au silicium monocristallin dans les années 50 à la Radiotechnique (Philips) et qu’une installation pilote d’électrolyse du cuivre avait été installée au Chili. Ses panneaux solaires étaient toujours en état de marche à la fin des années 70 : la longévité de la cellule photovoltaïque était donc acquise.

Le silicium et le tube fluorescent formaient une combinaison innovante pour s’éclairer là où le réseau électrique n’existait pas. Bien mieux que l’ampoule de voiture branchée sur une batterie qu’il fallait porter à recharger en ville – les Marocains le faisaient depuis longtemps à la campagne – l’éclairage PV consommait cinq fois moins d’énergie pour la même durée d’éclairage, la qualité de la lumière en plus. Les ingénieurs de l’AFME lançaient le concept de « pré-électrification rurale » en pensant d’abord à l’Afrique et au Proche Orient, sachant fort bien que c’était le saut dans l’efficacité de la source de lumière qui permettait de lui associer une source électrique chère et intermittente. Une batterie de taille usuelle pouvait assurer une autonomie journalière minimale, voire hebdomadaire.

Le mythe prométhéen de la nuit vaincue par la lumière volée au soleil, mobilisait esprits et imagination, au Nord : avait-on enfin une solution au développement ?

Dire « pré-électrification » c’était être conscients que seul l’éclairage pouvait être visé de manière économique, (en y incluant ses « annexes », à la limite un réfrigérateur). L’ensemble panneau-batterie réalisait l’apport d’un « service domestique » dont le coût mensuel pouvait être du même ordre que celui des produits couramment utilisés alors pour l’éclairage : feu, pétrole, bougies, piles, butane (si disponible). C’était également dire a contrario que l’apport de « puissance » pour les activités économiques : artisanat, agro-industries villageoises, transport, relevait d’une autre approche…

Sur cette logique de départ se sont lancés un peu partout, et notamment avec l’AFME au Maroc – le Programme Pilote d’Électrification Rurale (PPER) à la fin des années 80 – des programmes de développement de l’éclairage familial et municipal dont la finalité électrique se résumait à ces usages et dont l’usager pourrait supporter l’essentiel du coût : une approche par le « marché ». La « mensualité » payée au prorata des équipements demandés couvrait rechanges de consommables et renouvellement des matériels en fin de vie, essentiellement les batteries. Le fonctionnement de ces programmes a été relativement satisfaisant, parce que les populations locales ont été associées à leur dimensionnement et à leur gestion… et qu’un appui arrière institutionnel permettait de pallier les aléas de l’ « après vente ». Les soucis du service après vente portaient – et portent toujours – sur la disponibilité effective de pièces de rechange pour l’aval du panneau photovoltaïque : régulateur de charge, batterie, lampes – un casse tête dans le domaine électronique où les produits « catalogue » sont systématiquement périmés en deux ans et déclarés « sans suite ». Un paradoxe quand l’économie d’un produit a été justifiée par une période longue d’amortissement (15-20 ans). Les hommes de terrain peuvent écrire des romans-feuilleton sur la « vie » photovoltaïque en Afrique, y compris sur le vol et le trafic des panneaux solaires, prouvant accessoirement qu’il y a bien une demande solvable. Une autre difficulté a résidé dans la gestion des sommes recueillies pour les remplacements majeurs et inutilisées sur le court terme ; il est arrivé qu’elles soient investies par le village pour l’achat… d’une vache et le développement d’une activité d’élevage. L’État a dû renouveler lui-même les équipements en fin de vie ! Le processus du développement économique n’est-il donc pas en marche, mais selon une logique qui lui est propre ?

Changer d’échelle : une question de logistique et de maîtrise d’ouvrage

Alain Liébard (FONDEM) disait récemment, aux Assises du Développement Durable en novembre au Sénat : « Avec nos moyens d’ONG, nous savons faire quelques villages par an, dans une approche durable et auto supportée, avec les acteurs locaux. La FONDEM a électrifié 500000 personnes depuis sa création il y a 15 ans. Nous pouvons continuer ainsi quasi indéfiniment, au même rythme, mais est-ce à la taille du problème posé ? ».

Sur les « deux milliards » il n’en resterait donc plus que 1999500000. Multiplions les initiatives réussies depuis 15 ans par 100, il en resterait encore 1950000000. Ce rythme actuel supposé de 50 millions en 15 ans, 3.3 millions par an nous conduirait – à population non croissante – à électrifier la totalité en… 600 ans, six siècles ! Disjonction donc entre l’objectif et les moyens de l’atteindre, l’un des premiers critères de l’Utopie. La dynamique volontariste affichée à Johannesbourg fixe des objectifs à 15 ans: on est devant une impasse. On est dans une progression linéaire, il faudrait une croissance exponentielle.

Dès le lancement du PPER au Maroc à la fin des années 80, la discussion avait permis de sentir la taille formidable de l’enjeu des « 2 milliards », sur le simple plan local marocain : 15000 douars à électrifier en 15 ans/1000 par an/4 par jour ouvrable. Mais ce n’était nullement un cas isolé, bien au contraire. Un Séminaire à Marrakech en 1995, sous l’égide de la Commission Européenne, de la France et du PNUD, portait sur le Changement d’échelle et de rythme des programmes d’électrification rurale décentralisée. Une vingtaine d’équipes des PED étaient réunies pour échanger leurs expériences de terrain, sur les filières, les enjeux, la complexité de la galaxie décisionnelle, le financement, les transferts de ressources – dont celles de l’aide publique au développement (APD) – et les modalités de mise en œuvre : le public et le privé.

Les participants étaient assez d’accord pour retenir le chiffre moyen de 1000 $ US comme coût de référence pour l’équipement d’un « foyer », quelle que soit la technologie retenue, réseau (quand il est possible) ou décentralisé, avec une disponibilité de service limitée dans le cas du photovoltaïque mais convenant à des besoins « familiaux » faibles chiffrés entre 100 et 300 Wh par jour. On retrouve alors aisément, à raison de 5.5 personnes en moyenne par foyer des besoins mondiaux d’investissement au niveau global de 350 milliards de dollars.

L’électrification rurale n’a pas avancé de manière significative – au-delà du « linéaire » – depuis cette époque en Afrique sub-saharienne (ni par le réseau, ni par le photovoltaïque) selon la revue effectuée par le GNESD en avril 2004 (Global Network on Energy for Sustainable Development -une initiative du sommet de Johannesbourg).

Impasse sur l’échelle temporelle ?

A coût d’investissement semblable, l’avantage du photovoltaïque sur tout autre système sans limitation de la puissance disponible s’estompe; il résiste sur le coût de fonctionnement (l’absence d’un besoin d’approvisionnement régulier en combustible), et sur le créneau préférentiel de l’éclairage domestique et des services annexes. Encore faudrait-il pour le généraliser qu’il n’y ait pas de contraintes d’approvisionnement en panneaux photovoltaïques, ni de problèmes de logistique de terrain (installation, entretien, maintenance, redevances), tout ceci en faisant pudiquement l’impasse sur la question des batteries et de leur recyclage.

Trois cent cinquante millions de foyers, ce seraient 17500 mégawatts-crête à fournir en panneaux solaires (50 watts par foyer). La production mondiale en 2003 à été supérieure à 750 MW-crête – principalement utilisée dans des systèmes connectés au réseau dans les pays de l’OCDE – et elle est en croissance rapide. Cet ordre de grandeur est donc compatible avec l’idée d’une généralisation possible de l’éclairage domestique à partir du PV dans les 15 années qui viennent. L’obstacle temporel pourrait donc ne pas jouer par rapport aux solutions alternatives, pour les besoins domestiques. En plus, il conviendrait de reconnaître qu’une connexion « au réseau » pour une bonne partie de ces « deux milliards », dont les périurbains, minorerait la demande brute en panneaux PV.

Impasse énergétique?

Si le simple « panneau domestique » de 50 watts-crête est dans une situation de « possibilité » pratique dans les vingt années qui viennent – qu’en serait-il des besoins des « services essentiels » contenus dans les OMD, mais aussi pour les activités génératrices de revenus (n’est-ce pas là le développement réel ?). Un chiffrage rapide sur la base de 100 foyers par « village » et 5.5 personnes par foyer et des besoins de puissance au niveau global de 10 kW par « village », pour l’eau, l’artisanat et les services publics (école, santé, vie sociale) conduirait, pour les « deux milliards », à l’installation de 36000 mégawatts, en estimation basse. Deux fois le volume des besoins domestiques.

A titre d’exemple, le Programme Régional Solaire (PRS) de la Commission Européenne a fait don de l’équipement de pompage de l’eau – un service essentiel s’il en est – à 1500 villages d’Afrique Subsaharienne entre 1990 et 1995. L’unité PV installée l’a été au niveau moyen de 1,5 kW-crête, soit environ 6 kWh utiles par jour, rien que pour l’approvisionnement en eau.

L’exemple des « plateformes multifonctionnelles » en cours de diffusion au Mali (PNUD et ADEME, Michel Courillon), sur la base d’un diesel rustique couplable à diverses formes d’utilisation (mécanique : mouture, broyage, pressage, décorticage / électrique : soudure, recharge de batteries, mini réseau, pompage) confirme la gamme des 10 kilowatts pour les besoins courants d’un village. Et c’est déjà une solution applicable, aujourd’hui, avec un support logistique local existant : la mécanique villageoise du forgeron et du réparateur de mobylettes.

Le photovoltaïque est à positionner dans une double dynamique : celle de la croissance rapide de la production annuelle des panneaux PV, et celle du temps nécessaire à la formulation, au lancement et à la réalisation sur le terrain des programmes. Le compétiteur reste aussi le « réseau » quand il est proche, avec sa capacité de satisfaire à une croissance rapide de la demande énergétique, sans avoir à refaire à chaque instant une augmentation de la capacité de production locale, ce qui est encore plus lourd pour le photovoltaïque que pour le groupe diesel.

La préférence doit-elle être alors donnée au Photovoltaïque à ce niveau de puissance ? Rien ne justifie de faire un choix « tout électrique » ni surtout d’imposer aux populations d’attendre que la production de masse des panneaux ait encore décuplé et que les coûts des panneaux atteignent le palier bas de la « courbe d’apprentissage ». Le photovoltaïque ne paraît pas être la solution actuellement disponible pour les besoins des OMD, pour les dix années qui viennent. Il y a mieux, moins cher, et immédiatement disponible : le diesel indien ou chinois, dût-on le faire fonctionner à l’huile de pourghère si l’écologie l’exige.

On peut donc estimer qu’il y a là une impasse énergétique, en volume, pour le photovoltaïque, vis-à-vis des objectifs temporels du millénaire. Impasse à la fois statique et dynamique en raison de la croissance escomptée de la demande, puisque l’on table sur le déclenchement d’une dynamique de développement.

Il faudrait y associer une étude sérieuse, sur la question des batteries de stockage, leur coût, leur entretien, leur recyclage en fin de vie, leur impact environnemental, les risques « santé » associés, sachant que le pompage de l’eau n’en exige pas et que l’artisanat – soudure, mécanique – peut s’exercer de jour, ce qui n’exige pas un parc de batteries proportionnel à la puissance installée (mais alors faut-il un « secours » pour les périodes sans soleil !).

Photovoltaïque : coûts et environnement

La référence est simple : il est admis que la production de 1000 kWh d’électricité photovoltaïque évite l’émission, en 25 ans, d’une tonne de CO2 par rapport à une source sur énergie fossiles conventionnelles. C’est là un bon ordre de grandeur.

Le panneau photovoltaïque standard de 50 watts, sur vingt-cinq années de durée de vie en climat ensoleillé, peut produire environ 2000 kWh d’électricité. Il évite donc environ l’émission de 2 tonnes de CO2, soit 0.55 tonne de carbone. Le panneau de 50 watts-crête se négocie actuellement autour de 200 US$ (160 euros). La valeur du « carbone évité » du panneau de 50 watts-crête pourrait s’en approcher si l’on se réfère au coût marginal estimé de réduction des émissions en Europe dans les années 2010, soit 70 euros (selon l’étude Cohérence de la Commission Européenne). Le rapprochement se préciserait en extrapolant la baisse du coût du panneau dans les 15 années à venir : le carbone évité pourrait valoir autant que le panneau lui-même.

Trois remarques cependant s’imposent :

  • Il n’y a pas encore l’ombre d’un début de négociation des droits d’émission à l’échelle internationale sur la base de tels coûts, pourtant logiques. La dernière COP de Buenos Ayres n’a pas donné lieu à croire que cette situation s’inverserait prochainement.

  • Le coût du panneau n’est pas le coût du système de production d’énergie ! Il en représente actuellement déjà moins de 20 %. Le prix d’un « système » photovoltaïque domestique resterait donc autour de 1000 $ (700 euros), même à coût nul des panneaux solaires.

  • Les économistes actualiseront ces différentes valeurs et leur trouveront des écarts dissuasifs ? Voire, le coût du carbone évité variera aussi avec le temps, mais en croissant.

Ne pourrait-on conclure – de manière utopique ? – que, bénéfique pour l’environnement, le panneau solaire destiné à l’éclairage pourrait être payé par les droits d’émission qu’il génère et devenir gratuit ?

La maîtrise d’ouvrage au niveau des OMD

« Le marché » est impuissant à généraliser l’accès à l’énergie pour le développement dans les PED (toujours les « deux milliards »), en effet :

  • Les initiatives privées d’investisseurs en quête d’un retour financier substantiel sur investissement s’excluent d’elles-mêmes, étant donné qu’aucun PED n’envisage d’autoriser un prix de vente de l’électricité qui désavantage les campagnes par rapport à la ville. Bien des initiatives de promotion des énergies renouvelables se torturent pour trouver les « combinazione » qui pourraient tout de même persuader les investisseurs de se lancer dans l’aventure, en dehors d’un pilotage public ressenti comme « inconvenant » – mais surtout bloquant – : fonds « solidaires », sans recherche d’un retour financier « boursier », récolte de « droits à polluer » en particulier.

La collectivité nationale, c’est-à-dire les pouvoirs publics, l’État, expression de la solidarité intrinsèque des citoyens, n’est-elle pas le meilleur prescripteur en cette occurrence ? Oui, certainement, sans pour autant s’affranchir d’une règle du retour sur investissement, seule justification légitime pour y affecter des ressources nationales, existant au budget ou provenant de l’APD. Avec cette différence que la mesure du retour sur investissement va se faire sur d’autres indicateurs que les retours financiers. On parlera de « bénéfices socio-économiques ». Il est aisé d’en comprendre l’esprit : amélioration de la qualité de vie, retombées favorables sur la scolarité, les centres de santé, la vie collective villageoise et cultuelle, le commerce de proximité, etc. Ces « bénéfices » profitent à l’ensemble de la collectivité nationale et justifient que celle-ci s’y implique. Le problème du changement d’échelle auquel les engagements « du millénaire » ont invité toutes les Nations, place donc les pouvoirs publics locaux devant leur responsabilités de « prescripteurs », car c’est à eux et à eux seuls que l’aide publique au développement (APD) est attribuée. La collectivité nationale est le seul acteur légitime s’il y a lieu de « forcer » un changement d’échelle pour le bien de tous. Mais de même qu’au niveau des usagers, ce n’est pas l’électricité qui fait motif, mais les services qu’on en obtient, de même au niveau des pouvoirs publics ce n’est pas l’accès à l’éclairage, mais les bénéfices attendus de la réalisation des OMD. Celles-là requièrent des quantités d’énergie importantes, continues et garanties, bien au-delà de la combinaison favorable PV-LBC.

L’essentiel de l’initiative européenne « énergie pour le développement » EUEI, lancée à Johannesburg, consiste à aider les pays qui le souhaitent à formuler les programmes cohérents (ressources, diffusion, fonctionnement, pérennité) d’accès à l’énergie dans les zones non desservies, en fonction des besoins énergétiques des programmes prioritaires et des besoins domestiques. Il n’y a pas d’a priori technologique dans la démarche EUEI, les choix se feront en économie de marché, le PV subventionné y trouvera sa place. L’ensemble des besoins constitue, pour chaque district isolé, un « espace énergétique local » dont il a été beaucoup question au Séminaire de la francophonie à Ouagadougou en mai 2004 (lire à ce sujet Liaison Energie Francophone N° 63). On considère que ces « espaces énergétiques locaux » constituent des champs opératoires bien plus attractifs, en volume, pour des investisseurs aidés, que les simples kits d’éclairage photovoltaïque, et sont susceptibles de permettre le démarrage à grande échelle de l’électrification rurale sur un marché réel de l’énergie.

En conclusion

La visée de ce numéro spécial de Global Chance était de « traquer l’Utopie » dans les différents courants « à la mode » en matière d’énergie. S’agissant du photovoltaïque, le caractère tant soit peu utopique de la démarche internationale ne se situe pas là où l’on pense.

Il est nécessaire de percevoir – et de corriger – quatre « risques d’utopie » dans la poussée photovoltaïque universelle des pays industrialisés, tout au moins en ce qui concerne les pays en développement :

  • Le premier est temporel : c’est de croire, ou faire croire, que la génération PV arrive à temps pour sauver les peuples de la pauvreté et du sous-développement. La réponse est NON. Il est déjà possible d’apporter l’énergie nécessaire, autrement, et tout de suite, et pour moins cher : c’est une question de volonté politique, de coopération à la mise en œuvre. La qualité intrinsèque photovoltaïque n’ajoute rien à la chose et elle apporte ses propres problèmes pour le long terme (batteries). Mais elle reste en compétition, au cas par cas.

  • Le second risque est idéologique : c’est de croire que « le marché » – un peu aidé – « suscitera » la volonté politique d’agir d’entrepreneurs-investisseurs qui viendront en sauveurs installer des systèmes en PED, et en vivre. Cela est également faux, le bénéfice financier n’existe pas dans les zones de pauvreté extrême. Le PV ne change rien à la chose. Le colonialisme investisseur a fait son temps. Aucun pays n’a développé ses services sans un transfert de ressources organisé vers le monde rural (péréquation, détaxes, etc.). Le troisième, implicite, est de croire que le changement de rythme, l’accélération souhaitée du développement économique et social puissent se passer d’un rôle organisateur et fort des pays eux-mêmes sur leur propre territoire. La réponse est également NON. En « utopie associée » on peut loger l’idée de grands programmes d’éclairage photovoltaïque promus par les États eux-mêmes. Cette occurrence serait dangereuse. Espérons qu’elle soit improbable car elle dissuaderait d’aborder les vrais problèmes de l’énergie « pour le développement », car la priorité légitime des autorités de l’État est le développement économique et social dans son ensemble, et les énergies qui lui sont nécessaires, pas le confort domestique.

  • Le quatrième est environnemental, c’est de croire que la réduction des émissions de gaz à effet de serre bouleversera les données économiques de l’ERD. La réponse est encore NON, car le panneau PV n’est qu’une petite partie du coût du système décentralisé. Sa valeur en CO2 évité pourrait, à la rigueur, payer pour lui-même, mais pour lui seul, et encore a-t-on fait l’impasse sur l’énergie qu’il a fallu utiliser pour le produire.

Utopie pour utopie, ne devrait-on pas considérer qu’à terme, étant payé par la valeur de la quantité de CO2 qu’il évite, le panneau photovoltaïque puisse être simplement donné par les pays de l’Annexe I (1), et ceux-ci crédités de son quota d’émission ?

1 Note ajoutée par l’équipe Ritimo / dph : c’est-à-dire les pays industrialisés et les économies en transition. « Les parties de l’Annexe I » sont les pays inclus dans l’Annexe I de la Convention Cadre des Etats Unis sur le Changement Climatique, adoptée à New York le 9 mai 1992. « Les parties de l’Annexe B » sont les pays inclus dans l’Annexe B du protocole de Kyoto (pdf, 24p.).

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