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Pour les droits des femmes au travail, un combat qui a porté ses fruits

Les « Gaciliennes » au Burkina Faso

Vanessa GAUTHIER

01 / 2008

Dans un pays où la condition des femmes est particulièrement difficile, le Burkina Faso, les ouvrières d’une usine détenue en grande partie par le groupe Yves Rocher ont mené un combat courageux pour défendre leurs droits. Car après neuf ans de travail, dans des conditions difficiles, elles ont été brutalement licenciées, le 1er août 2005. Grâce notamment à la solidarité internationale, leur lutte a mené à une victoire.

Le Burkina Faso est un pays enclavé avec 12 millions d’habitants, dont 52 % de femmes. C’est un pays pauvre et endetté et les femmes sont les premières victimes de cette pauvreté. En 2003, 45 % des femmes vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Elles sont, en outre, victimes de violences diverses, de discriminations, de coutumes rétrogrades.

Au Burkina Faso, la main d’oeuvre féminine est essentiellement agricole : d’après Tarra Nacanabo de l’association Kebayina, 91 % des femmes sont agricultrices. Les femmes travaillent parfois en usine de sous-traitance mais aussi beaucoup dans le secteur informel (petit commerce, petit artisanat, petites unités de production, couture, restauration), un milieu très précaire qui n’est pas reconnu par l’Etat. Leur organisation est quasiment inexistante. Elles ont en effet une double charge de travail, elles ont la charge de toutes les tâches domestiques, ce qui est lié à une culture ancestrale.

En 1996, un projet de développement au Burkina Faso est lancé par Yves Rocher. L’objectif affiché est “d’aider à l’essor économique d’un des pays les plus pauvres du monde en promouvant des initiatives économiques locales”. Yves Rocher aurait ainsi souhaité soutenir la condition des femmes en implantant une usine et en leur offrant un emploi. Normalement, l’usine devait s’implanter à l’Est du Burkina Faso, elle a finalement été installée près de Ouagadougou.

Détenue à 97 % par le groupe Yves Rocher, l’usine appelée La Gacilienne embauche 133 ouvrières pour fabriquer des sachets en plastique et des rouleaux de papier qu’Yves Rocher utilise dans sa communication avec sa clientèle.

Des conditions de travail particulièrement difficiles

Mais les conditions de travail que les ouvrières ont à affronter vont très clairement à l’encontre des slogans publicitaires de la marque de produits cosmétiques. Les femmes sont serrées sur des bancs dans un entrepôt mal éclairé et mal ventilé. Par ailleurs, si une ouvrière parle avec ses collègues, une partie de son salaire est parfois retenu. Il en est de même pour les minutes de retard qui peuvent se solder par des demies-journées voire des journées entières de salaire supprimées.

Les congés maternité inexistants, la non-prise en compte des heures d’allaitement dans le paiement des salaires, les horaires à rallonge et des cadences intenables viennent compléter le tableau. Il faut aussi savoir que les périodes de chômage technique, fréquentes lorsque les commandes sont moindres restent impayées. Ainsi, les ouvrières ne touchent que rarement plus de 15 € par mois, soit un tiers du salaire minimum légal au Burkina Faso.

Une première mobilisation qui échoue

C’est pourquoi elles ont contacté la CGT-B et s’y sont affiliées en 2001. En juin 2004, la Coordination des groupes de Femmes “Égalité”, une organisation féministe française, organise une mission au Burkina Faso et rencontre les ouvrières de La Gacilienne. Ces dernières exposent leurs problèmes et demandent un soutien pour faire pression sur le groupe Yves Rocher.

Trois mois plus tard, la présidente d’Egalité demande par courrier au PDG du groupe de “mettre fin à la surexploitation et à la répression dont les ouvrières de la Gacilienne font l’objet”. Fin octobre, un représentant d’Yves Rocher rencontre l’association et s’engage à prendre en considération les demandes des ouvrières. Mais au lieu d’agir dans ce sens, le groupe fait réaliser en décembre une “inspection” qui conclut que les critiques dont l’entreprise fait l’objet relèvent d’une “opération de dénigrement” pouvant conduire à des “poursuites judiciaires”. Indigné, le secrétaire Général de la CGT-B fait remarquer que le cabinet n’a consulté qu’une seule source d’information, la direction de La Gacilienne et a refusé d’entendre la version du Comité syndical. Pour toute réponse, l’avocat du groupe au Burkina annonce, le 16 avril 2005, qu’Yves Rocher souhaite quitter le pays et propose aux ouvrières de racheter l’entreprise. Celles-ci refusent car le projet n’est pas viable. Le 1er août, La Gacilienne ferme purement et simplement. Sans explication ni préavis, 133 ouvrières se retrouvent sans rémunération ni moyen de subsistance.

Une mobilisation qui prend de l’ampleur au Nord comme au Sud

Le 13 octobre suivant, elles organisent une manifestation dans les rues de Ouagadougou pour demander le versement d’indemnités décentes de licenciement, mais aussi des dommages et intérêts à hauteur de 2 830 € chacune pour non-respect du Code du travail et réparation des préjudices subis pendant neuf ans.

En France, une pétition de soutien aux ouvrières a largement circulé, et plusieurs médias ont relayé l’information. Un collectif d’organisations formé d’associations de solidarité internationale, d’organisations féministes et de syndicats (y compris ceux de l’entreprise) a suivi de près cette mobilisation : conférences de presse, pétitions, lettres ouvertes, protestations se sont succédées pendant plus de quatre mois. Mais le groupe Yves Rocher maintient des propositions qui sont en deçà des demandes des ouvrières : une indemnité de licenciement qui ne correspond qu’à environ 6 mois de salaires.

La victoire des Gaciliennes et de la solidarité internationale

Le 19 janvier, trois jours avant le Forum Social Mondial où des représentantes des ouvrières de La Gacilienne étaient invitées à témoigner, un accord “amiable et définitif” est enfin signé. Il constitue pour elles une victoire. C’est une sortie de crise honorable non seulement pour les ouvrières, mais aussi pour la société Yves Rocher qui met ainsi fin à une campagne qui commençait à ternir son image. Les Gaciliennes ont ainsi obtenu en s’organisant (et avec le soutien français, notamment du Réseau-Solidarité) 30 mois de salaires.

« La solidarité internationale a gagné ! » c’est ce qu’a lancé Lucienne Kaboré, ex-salariée de La Gacilienne, syndiquée à la CGT-B, du haut de la tribune du Forum Social Mondial de Bamako. Tara Nacanabo de l’association Kebayina a quant à elle présenté cette victoire comme un exemple à suivre pour d’autres combats à mener aujourd’hui. Pour faire état de la réussite de cette campagne qui a montré la pertinence d’une campagne conjointe au Nord et au Sud, Tarra Nacanabo est également intervenue lors de la journée d’échanges organisée par Peuples Solidaires le 8 mars 2007 à l’occasion de la journée internationale des femmes.

Peuples Solidaires a par ailleurs appuyé les ouvrières licenciées de La Gacilienne, grâce à la caisse de solidarité du Réseau-Solidarité pour qu’un crédit leur soit accordé via la COFIDES Nord-Sud, société de finance solidaire.

Peuples Solidaires - 2B rue Jules-Ferry, 93100 Montreuil, FRANCE - Tél. : 01 48 58 21 85 et 10 quai de Richemont, 35000 Rennes, FRANCE - France - www.peuples-solidaires.org - info (@) peuples-solidaires.org

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