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Après le tsunami, la crevetticulture s’étend

12 / 2006

Désastre pour les uns, aubaine pour d’autres

Dans le district de Nagapattinam, au Tamil Nadu, les élevages de crevettes ont repris leur activité de plus belle après les lourdes pertes subies lors du tsunami du 26 décembre 2004, au détriment de l’agriculture. Les cultivateurs, qui avaient aussi souffert de cette catastrophe, sont maintenant étouffés par la crevette.

Dans ce district, la crevetticulture a démarré en 1991. Au moment du tsunami, on comptait près d’un millier de sites aquacoles. La région offrait un environnement idéal pour cette activité qui, en se développant, a provoqué un mécontentement certain chez les cultivateurs et d’autres habitants. Aujourd’hui l’exaspération est à son comble, en particulier dans les taluks (= arrondissements) de Tharangambadi et de Sirkali. En accaparant les terrains sur le littoral et en provoquant la salinisation des sols, les élevages mettent en danger les moyens d’existence des autres gens. Dans le petit village de Chinnamedu, il y en a de tous côtés. « Auparavant nous avions deux bassins d’un demi hectare chacun. Depuis le tsunami, nous en avons quatorze », dit le vigile du site géré par la Samudra Lakshmi Company, et des agrandissements sont prévus. Ce site appartient à un négociant de Mayiladuthurai : beaucoup de ces exploitations sont la propriété de personnes ou de sociétés d’ailleurs et non pas de paysans-aquaculteurs du lieu.

Le conseil de village et les habitants de Chinnamedu ont envoyé une pétition au Collector (= préfet) à cause de ce projet : « Les installations seront à moins de 150 m de la laisse de haute mer, ce qui est contraire aux dispositions (CZR) de la Loi de 1991 sur la protection du littoral, et elles bloqueront le chemin que prennent nos enfants pour aller à l’école de Kumarakkudi. » La même chose est en train de se produire à Vanagiri et aussi du côté de Nagapattinam et de Keezhayur, généralement sur des terrains qui avaient été touchés par le tsunami. En se rendant de Nagapattinam au sanctuaire bien connu de Velankanni, on s’en aperçoit. « Dans ce district, on voyait de chaque côté les rizières caractéristiques du delta du Cauvery ; maintenant ce sont des bassins à crevettes », dit Madame Jagannathan, grande militante de Une terre pour les cultivateurs qui est une émanation du mouvement Bhoodhan (don de terre) de Vinobha Bhave, le disciple de Gandhi.

La tendance vers le développement de l’aquaculture s’explique par plusieurs raisons. « Comparé à l’agriculture, l’élevage de la crevette rapporte plus et nécessite moins de main-d’Ĺ“uvre. On peut récupérer son investissement dès la première récolte. La qualité du sol n’est pas un problème, pourvu qu’on soit au bord de l’eau. Le gros problème c’est la maladie qui peut frapper les toutes jeunes crevettes, et qui se traduit par une perte sèche », dit un ancien exploitant.

A Tharangambadi et à Sirkali, beaucoup préfèrent vendre leurs terrains. Les élevages de crevettes bloquent les canaux de drainage tout au bout du delta du Cauvery, empêchent les eaux de pluie de parvenir à la mer. Tous les ans, au moment de la mousson, les champs sont inondés. « En été, ils tirent de l’eau des criques, ce qui provoque une salinisation des eaux souterraines, même dans les terres voisines », dit Jesu Rethinam, militante de la Campagne contre les élevages industriels de crevettes, qui est un réseau d’Ong impliquées dans la défense de l’environnement, du littoral en particulier. « Les fermes aquacoles ont amplifié les effets du tsunami. A Pudukuppam par exemple, dans le district de Cuddalore, l’eau s’est mal dispersée à cause des levées de terre sur ces sites. Elle a pénétré dans le village et tout balayé sur son passage. Des dunes, qui agissaient comme une barrière naturelle, ont été arasées. »

La Direction locale des pêches donne des chiffres. A Nagapattinam, il y a 1 015 exploitations aquacoles, dont 469 possédant un permis officiel et 533 ayant fait une demande ; 13 dossiers seulement ont été rejetés. C’est le syndicat des pêcheurs du Golfe du Bengale qui a obtenu ces chiffres après avoir fait une réclamation dans le cadre de la législation sur le droit à l’information. Il essaie d’organiser les pêcheurs dans le secteur de Nagapattinam pour obtenir la création d’un Bureau des affaires sociales pour les pêcheurs et l’octroi d’un statut de travailleuses pour les femmes de la pêche. Ce syndicat s’est constitué après le tsunami, à un moment où le riche et puissant groupement des propriétaires de chalutiers était pour une fois sans voix. La Samudra Lakshmi Company n’apparaît pas dans la longue liste des exploitations officiellement autorisées. « Le plus souvent, ces expansions se font à partir d’un site existant, ce qui permet d’invoquer l’antériorité de l’activité », fait remarquer le coordinateur du syndicat.

Contacté à ce sujet par Down To Earth, S Kumar, chargé de l’aquaculture à la Direction des pêches de Nagapattinam, dit que la majorité des terrains adaptés à ce type d’activité sont déjà utilisés : donc le nombre d’exploitations n’augmente pas. Interrogé sur les 533 dossiers de demande en attente, il invoque de manière évasive des problèmes administratifs : on sait quand les 469 exploitations ont reçu leur autorisation, mais ses services n’ont aucun renseignement sur la date de dépôt pour les 533 demandes en instance.

Un couple de résistants gandhiens

En 1996, Monsieur Jagannathan, le vieux militant Gandhien alors âgé de 86 ans, dépose une plainte dans l’intérêt public auprès de la Cour Suprême à l’encontre de l’aquaculture industrielle. Cela a donné quelques résultats, les juges décidant en effet qu’aucune exploitation aquacole ne serait autorisée dans la bande côtière (CRZ) définie dans le cadre de la Loi de 1986 sur la protection de l’environnement. Les bassins qui se trouvaient de ce fait en effraction devaient être supprimés. Les juges demandaient également au gouvernement central de constituer une agence chargée de protéger le littoral, le rivage, le front de mer. Dix ans plus tard, les décisions de justice ne sont toujours pas respectées.

Agé aujourd’hui de 97 ans, le vieux militant demande à sa femme de répondre à sa place.

Quand avez-vous lancé cette Campagne contre la crevetticulture industrielle ?

En 1991, à l’occasion d’une yatra (marche) dans le taluk (= arrondissement) de Sirkali, des habitants de Perunthottam, une grosse localité de 3 000 familles, racontaient comment ces entreprises grignotaient les terres et les empêchaient de vivre. L’eau potable devenait salée et beaucoup avaient dû partir ailleurs. Emus par leur sort, nous avons démarré le mouvement de protestation.

La perte des moyens d’existence est-elle la seule raison de votre opposition à l’aquaculture industrielle ?

La perte des moyens d’existence est en grande partie attribuable au changement de destination des terres. A Sirkali, 49 % des gens sont des cultivateurs. L’agriculture étant en crise, ils se sont manifestés. Quant aux pêcheurs, ils perdaient leur droit d’usage traditionnel sur le littoral. Puis est arrivée la crevette, et avec elle des installations qui ont empêché l’écoulement des eaux et provoqué des inondations.

Comment s’est passée la lutte ?

Entre 1992 et 1997, nous avons organisé de nombreuses satyagrahas (manifestations non violentes). Le 9 août 1996, nous avons décidé d’envahir la ferme aquacole du village de Vanagiri, dans le secteur de Sirkali, apparemment propriété de N. Sasikala, une proche collaboratrice de Madame Jayalalitha (Ministre-Présidente du Tamil Nadu, juin 1991-mai 1996, mai-septembre 2001, 2002-2006). C’était donc une confrontation directe avec le Pouvoir. La plupart de nos leaders ont été détenus pendant trois jours, et l’Administration avait fait venir 3 000 policiers dans le secteur. Mon mari était en cellule d’isolation ; ils l’ont libéré quand sa santé s’est détériorée à cause de sa grève de la faim. Les temps étaient durs !

Et l’appel à la Cour Suprême ?

Avec l’aide de nombreuses personnes et quelques spécialistes, nous avons réuni une grande quantité d’informations ; et nous avons soumis le tout aux juges. Ceux-ci ont reconnu la validité des griefs de la population contre la filière crevettière.

Que s’est-il passé ensuite ?

Rien. Nous avons dû reprendre notre action pour pousser le gouvernement à faire appliquer les décisions de justice. Nous avons organisé un jeûne de 55 jours pour cela.

Le mouvement a échoué ?

Non. Nous avons gagné devant les tribunaux !

Oui, mais les entreprises aquacoles sont toujours là !

Nos gouvernants manquent de volonté politique. Ils ont décidé d’ignorer l’arrêt de la Cour Suprême et de contourner ce jugement via la Direction de l’aquaculture du Ministère de l’agriculture. L’Etat, qui devait protéger notre littoral, se contente de distribuer des permis d’exploitation.

Key words

aquafarming, agriculture and stockbreeding, industrial fishing, environmental degradation, impact on environment


, India

file

La nouvelle bataille pour la terre en Inde (Notre Terre n°21, mars 2007)

Notes

Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)

Source

CRISLA, Notre Terre n° 21, mars 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.

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