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Changement climatique : ce que j’en pense avant Bali

Sunita NARAIN

12 / 2007

Le changement climatique c’est la grosse affaire du XXIe siècle, mais la complexité du problème semble nous dépasser. Depuis maintenant seize ans (la première négociation intergouvernementale sur le sujet s’est tenue à Washington au début de l’année 1991), le monde continue à mégoter sur ce qu’il sait mais n’a pas envie d’accepter. Toutes les excuses étaient bonnes pour ne pas agir alors que les scientifiques, preuves à l’appui, confirmaient que le climat est bien en train d’évoluer, que cela tient au CO2 et autres émissions de gaz à effet de serre, à la croissance économique et la création de richesse. Cela est dû au comportement des hommes, cela peut dévaster la planète.

Le monde se prépare à consommer beaucoup de carburant et à produire du gaz carbonique pour se rendre dans le paradis de Bali en Indonésie où va se tenir incessamment (du 3 au 14 décembre) la 13ème Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. On y parlera, une fois de plus, de ce qu’il conviendrait de faire, de ce que l’on sait déjà. Espérons que, cette fois, les réactions seront différentes car il y a urgence.

C’est scientifique

Les données scientifiques ne laissent aucun doute : si le changement climatique continue sur sa lancée, ce sera inévitablement la dévastation. Dans nos efforts pour mieux comprendre des choses encore difficiles à appréhender, ne perdons pas de vue que, derrière les phénomènes climatiques qui se produisent ici ou là, il y a toujours des êtres humains. Le changement climatique c’est aussi les millions de gens qui ont perdu leur logis lors du cyclone Sidr qui a frappé récemment le Bangladesh. Des milliers de gens sont morts parce que les riches n’ont pas réduit les émissions de gaz à effet de serre qui accompagnent leur développement.

En disant cela, nous savons bien que des sceptiques et des scientifiques purs et durs rétorqueront qu’il est difficile de prouver les relations de cause à effet, d’affirmer catégoriquement que ce cyclone était dû au changement climatique. C’est une catastrophe naturelle, elle n’a pas été provoquée par une attitude criminelle de la part des hommes. Et pourtant la science a clairement établi que la fréquence et l’intensité des cyclones croîtront à mesure que l’atmosphère terrestre se réchauffera. Nous ne parviendrons peut-être jamais à démontrer une corrélation directe entre les événements que nous observons autour de nous et le réchauffement climatique, mais dans un monde où pollueurs et victimes forment des groupes inégaux, il faut s’attendre à ce qu’il y ait de la mauvaise foi et du rejet des responsabilités dans l’air. A cette grande assemblée de Bali, les données scientifiques seront disponibles ; la politique, quant à elle, sera encore malodorante.

On parle, on n’agit pas vraiment

Alors que la nécessité d’agir devient de plus en plus pressante, le monde s’affaire à trouver des réponses dérisoires et mesquines. Dans les médias et la société civile, des campagnes organisées sont en cours pour dépeindre la Chine et l’Inde comme les méchants du film. Si ces pays veulent se développer, on les prévient : eux sont particulièrement vulnérables. Et on leur fait le baratin : « Nous (Occidentaux) ne voulons pas entrer dans le jeu des dénonciations et récriminations réciproques. Si nous avons créé le problème, il reste que c’est maintenant de votre intérêt de mettre le paquet pour faire le ménage. »

L’hystérie occidentale grandit, tout comme son inaction. En 1997 pourtant, ces pays avaient décidé de réduire un peu leurs gargantuesques émissions de gaz à effet de serre, dans l’intérêt de toute la planète. Il aurait fallu des mesures bien plus énergiques pour freiner le changement climatique. La vérité (dont on évite de parler) c’est que ces pays n’ont rien fait, absolument rien, pour contenir leurs émissions. Entre 1990 et 2005, les émissions des pays riches ont en fait augmenté de 11 pour cent. Ils n’ont pas tenu leurs engagements, ils ont laissé tout le monde tomber. Comment parviennent-ils malgré tout à échapper à leurs responsabilités ? Pourquoi montre-t-on du doigt la Chine et l’Inde, qui restent encore bien pauvres et pourtant déjà plus conscientes de leurs responsabilités environnementales ?

A cela il y a deux raisons. Premièrement, ils pensent pouvoir se dérober, très officiellement, car ils ont le droit de prendre en compte les faibles émissions des économies effondrées de l’ancienne Union soviétique afin de diluer les chiffres et les statistiques. Deuxièmement, ils s’en sortent parce que l’opinion mondiale est avec eux. Après tout, les émissions de gaz à effet de serre vont avec richesse et pouvoir. Qui va secouer la baraque ? Les pays riches savent que les Chinois, les Indiens, les Brésiliens, les Africains du Sud et les autres sont dans la course pour devenir riches et puissants. Eux aussi cherchent à monter à bord. Il ne s’agit pas de faire couler le bateau.

Le fond du problème c’est l’énergie

Le monde a besoin d’énergie pour tout faire marcher, les usines, les voitures, d’où le changement climatique. Après des années de débats, de parlotes, aucun pays n’est encore parvenu à dissocier croissance et augmentation des émissions de dioxyde de carbone.

Aucun pays n’est encore parvenu à se doter d’une économie faiblement émettrice de carbone et à réinventer les chemins de la croissance.

C’est bien là que réside le défi. Après ces années de parlote, les nouvelles énergies renouvelables (éolien, solaire, géothermique, biocarburants) représentent tout juste 0,5 pour cent des apports mondiaux d’énergie primaire. Il est faux d’affirmer que les sources renouvelables apportent plus d’électricité que l’énergie nucléaire. C’est toujours l’ancienne énergie renouvelable (hydroélectrique) qui éclaire le monde. Il est tragique que le monde se réfugie derrière la pauvreté de certaines populations pour bidouiller son arithmétique. Le secteur renouvelable c’est essentiellement la combustion de la biomasse (bois de feu, bouses, feuillage, brindilles…) dont se servent les gens désespérément pauvres pour faire la cuisine et éclairer leur logis. Et c’est cela qui donne au reste du monde un temps de répit.

Revenons à la réalité

Pour le moment, les pays riches se contentent de petites mesures pour résoudre de gros problèmes. Ils veulent conserver les centrales au charbon, tout en montrant du doigt, sur le même sujet, la Chine et l’Inde. Ils veulent en construire de nouvelles. Ils estiment qu’ils peuvent continuer à polluer et à rafistoler. La solution qu’ils ont trouvée c’est le piégeage du carbone et son entreposage souterrain, et hop, plus de problème ! Ainsi espèrent-ils pouvoir manger le gâteau et en même temps le conserver.

Ils veulent aussi garder toutes leurs voitures particulières et rouler encore plus, en cultivant du carburant. Qu’importe si le biocarburant n’est qu’une part infime de la consommation totale. Si toute la production américaine de maïs servait à faire du carburant, cela ne représenterait que 12 pour cent de la consommation actuelle d’essence dans ce pays. Qu’importe s’il n’y a pas assez de terres pour faire pousser à la fois la nourriture et des biocarburants. Les biocarburants, soutenus maintenant par de grosses firmes qui ont des intérêts à la fois dans le pétrole et l’agro-industrie, ne sont malheureusement pas la réponse au défi auquel on est confronté. Le problème c’est que les gens importants n’examinent pas la vraie solution. Les scientifiques disent de réduire de façon drastique les émissions de gaz à effet de serre, mais aucun pays ne parle de limiter la consommation alors que toutes les analyses démontrent que si l’efficiency (efficacité énergétique) fait partie de la solution, son effet est insignifiant si elle ne s’accompagne pas de la sufficiency (contentement avec moins). Les performances énergétiques des voitures s’améliorent mais il y a plus de voitures et on roule davantage ; donc les émissions augmentent.

Quel chemin prendre ?

Premièrement, nous devons convenir que les pays riches doivent réduire sérieusement leurs émissions de gaz à effet de serre. Ceux-ci se sont accumulés au fil du temps dans l’atmosphère tandis que le monde créait des richesses. C’est « la dette naturelle » qui a déjà provoqué une instabilité climatique. Et maintenant les pays émergents en quête de croissance économique vont aussi y mettre du leur. Cela ne donne pas le droit aux pays riches de botter en touche et de rejeter les mesures sévères et obligatoires indispensables pour réduire leurs émissions. Le principe est clair : les pays riches doivent réduire leurs émissions pour que nous (les pays pauvres) puissions nous développer.

Deuxièmement, nous devons en effet convenir que les pays pauvres et les pays émergents ont besoin de se développer. Pour eux, les engagements de réduction des émissions ne seront pas juridiquement obligatoires mais se fonderont cependant sur des objectifs et des programmes nationaux. Pour ces pays, il faudra trouver des stratégies de croissance à la fois faiblement émettrices de gaz à effet de serre et ne remettant pas en cause leur droit au développement. Des pays comme l’Inde et la Chine offrent à la planète la chance d’éviter une aggravation des émissions parce qu’ils sont encore à construire leurs infrastructures en matière d’énergie, de transport, d’industrie. Nous (Indiens, Chinois…) pourrions investir dans des technologies permettant de faire de grands bonds en avant. Nous pourrions construire des villes autour de transports publics performants, fonder notre sécurité énergétique sur des systèmes locaux et interconnectés (utilisant biocarburants et autres sources renouvelables, appliquer dans nos industries les technologies les plus performantes sur le plan de l’énergie et de la pollution. Nous (dans ces pays émergents) savons bien qu’il n’est pas de notre intérêt de polluer puis ensuite de nettoyer, ni de manquer d’efficacité avant de procéder à des économies d’énergie. Mais les nouvelles technologies sont chères. La Chine et l’Inde n’ont pas envie d’investir par entêtement dans des procédés sales et particulièrement consommateurs d’énergie. Ils font comme faisaient avant eux les pays qui sont maintenant riches : croître, lâcher plus de gaz à effet de serre, faire de l’argent puis un jour investir dans des procédés plus efficaces.

Une mécanique enrayée

Si l’on pense que les pays émergents pourraient fort bien passer directement à des technologies plus propres, pourquoi cela ne se fait-il pas ? Pourquoi ces grandes phrases qui débouchent sur si peu de choses ? Lors des négociations du Protocole de Kyoto, le monde a décidé d’inventer le Mécanisme de développement propre afin de financer les transitions technologiques dans les pays pauvres. Les pays riches avaient une idée fixe : parvenir à remplir leurs obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre au moindre coût, en passant par les pays du Sud. La valeur de l’unité de transaction (une tonne d’équivalent CO2) n’est pas du tout en rapport avec le coût des options énergies renouvelables et high-tech. Ce MDP est, dans son application, un système de développement au rabais et de plus en plus entaché de corruption, compliqué à souhait, avec des règles qui détournent les gouvernements d’envisager des évolutions profondes, de promouvoir des politiques novatrices favorables aux énergies et modes de production propres. Une politique pourtant sensée et déjà bien lancée n’est pas valable dans le cadre du MDP : comme elle ne répond pas au critère d’additionnalité, elle ne peut prétendre à un financement. C’est un théâtre de l’absurde qui devrait nous tirer des larmes. La Conférence de Bali doit réformer, réinventer le MDP pour qu’il devienne un outil efficace au service du bien public. Afin de l’inciter à opter pour les meilleures technologies disponibles capables de faire passer notre monde par les mutations indispensables, il s’avère nécessaire de fixer un prix plancher pour les crédits d’émission. Le MDP ne pas doit être uniquement au service d’intérêts privés.

Il faut bien prendre conscience de la dure vérité. Pour qu’un accord mondial sur le climat donne des résultats, il devra en toute chose reposer sur l’équité, les quotas de droits à polluer de chaque pays étant calculés sur la base d’un seul et même taux d’émission pour tous les habitants de la planète.

Messieurs les Indiens, bougez-vous !

Pour les responsables politiques de notre pays, les choix sont simples : jouer un rôle crucial à cette croisée des chemins, ou bien entrer dans un spectacle en trompe-l’oeil, dire que ça ne presse pas, ou bien se battre pour les victimes du changement climatique et exiger des pays riches qu’ils prennent des mesures plus sérieuses, prétendre que ce problème disparaîtra quand nos pays encore pauvres se seront enrichis, ou bien montrer à la fois aux pays riches et aux pays pauvres qu’il peut exister d’autres chemins vers la croissance et le progrès. Ne laissons pas nos leaders politiques tergiverser. Il n’y a pas trente-six façons de faire. Le changement climatique est une situation de crise extra-ordinaire qui exige des solutions extra-ordinaires, ni plus ni moins.

Key words

climate change, greenhouse effect, emerging countries, developed countries

file

Dix ans après Kyoto (Notre Terre n°24, décembre 2007)

Notes

Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)

Source

CRISLA, Notre Terre n° 24, décembre 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.

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