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Mensonges aux riverains

Sylvain LAVELLE

03 / 2010

La scène se passe dans une petite ville du Limousin du nom de PREMONT. PREMONT est dotée d’un réseau de chauffage urbain, organisé autour d’une chaufferie centrale construite dans les années 1960. La mairie de PREMONT concède la gestion de cette chaufferie à l’entreprise BRIARD. BRIARD a donc pour abonnés l’ensemble des riverains du périmètre de concession raccordés au chauffage urbain.

En 1993, BRIARD décide, en accord avec la mairie, de construire un nouveau bâtiment d’une superficie de 350 mètres carrés à côté de la chaufferie urbaine, de manière à y installer une unité de cogénération composée de cinq moteurs à gaz aptes à produire de l’électricité, qui serait revendue à EDF, et de la chaleur, qui approvisionnerait le chauffage urbain. Cette décision est en partie dictée par la volonté d’améliorer le rendement de la chaufferie et de réduire la consommation de fioul lourd. Elle fait l’objet d’un avenant au contrat de concession entre la mairie de PREMONT et BRIARD.

Rock Hunter, jeune cadre de BRIARD, est responsable du site de la chaufferie. A ce titre, alors que les travaux débutent en juin 1993, on le charge d’inspecter quotidiennement l’avancée des choses et de faire part d’éventuelles anomalies à son chef d’agence. Il est fait appel à un sous-traitant pour la construction du bâtiment et l’objectif est que la nouvelle installation soit opérationnelle en date du 1er novembre.

Conformément à la planification des travaux, une des premières réalisations fut, à partir du mois de juin, l’abattage et l’extraction d’un certain nombre de grands peupliers (trentenaires pour certains) entourant le site, l’installation d’une grue de chantier et le défrichage du terrain en vue de la pose des fondations. Or ces mises en route n’allèrent pas sans susciter une certaine surprise auprès des habitants des immeubles d’habitation jouxtant directement l’endroit. Dès les premiers jours, nombre d’entre eux vinrent se plaindre du bruit des travaux et, surtout, en demandèrent le but. La mairie de PREMONT, contactée par eux, les renvoyait systématiquement auprès de BRIARD. Rock Hunter, en première ligne, accueillait ces personnes et, sur la demande de sa hiérarchie, leur expliquait qu’il s’agissait de travaux de maintenance et de mise en conformité du bac de rétention de fioul lourd. Ce n’était pas complètement faux, une partie du bâtiment projeté prenant la place d’une des deux cuves de fioul extérieures, qu’il s’agissait donc de faire disparaître.

Rock Hunter se rendit vite compte néanmoins que les riverains ne se contenteraient pas de telles explications ; ils firent faire notamment des constats d’huissier, manifestant que des travaux de construction avaient lieu sans autorisation officiellement affichée. Rock finit par comprendre que la réticence de BRIARD à une totale transparence s’expliquait par deux raisons. D’abord, les modalités de revente d’électricité à EDF n’étant que partiellement conclues, BRIARD ne voulait pas trop publiciser ce projet. D’autre part, BRIARD avait souhaité démarrer les travaux sans attendre le retour de la demande de permis de construire déposée auprès de la préfecture, car elle espérait recevoir les moteurs à gaz fabriqués en Autriche fin septembre et procéder à leur mise en service au 1er novembre, sans quoi des pénalités financières, prévues par le contrat avec EDF, pourraient lui être imposées.

Le permis de construire arriva enfin vers la mi-juillet, ce qui calma momentanément la situation. Mais les riverains portèrent bientôt leur désaccord sur l’enlèvement des arbres. Rock Hunter se vit maintenant forcé d’expliquer que toutes les plantations nécessaires auraient lieu à l’issue des travaux. Enfin, vers la mi-septembre, la mairie de PREMONT se décida à assumer ses responsabilités et, par voie de presse et par prospectus, expliqua les travaux, en insistant sur les bienfaits à en attendre pour l’environnement (diminution de moitié des consommations de fioul lourd, priorité au gaz…) et pour les abonnés, qui verraient leur facture de chauffage baisser de façon sensible. Un an plus tard, en juin 1994, les tensions avaient complètement disparu et un point put être fait par la mairie, à l’occasion duquel BRIARD démontra la tenue des engagements pris et dévoila les espaces verts reconstruits.

C’est donc dans une situation délicate que Rock Hunter s’est retrouvé plongé à l’occasion de cette affaire, forcé en permanence de choisir entre son entreprise et les riverains, entre la loyauté requise par son employeur et sa volonté d’être sincère, transparent et honnête avec ces personnes qui étaient également ses abonnés et ses « clients ». Revenant sur ces évènements, toujours meurtri d’avoir dû mentir sans ciller à des gens inquiets et dissimuler une vérité qui n’avait rien d’exceptionnel, Rock se dit que plusieurs marges de manÅ“uvre auraient pu être ouvertes pendant ces évènements.

Rock, rétrospectivement, en veut à BRIARD. Celle-ci a fait le choix d’aller vite au détriment de règles de base primordiales, notamment en termes de communication avec les gens. En particulier, les bonnes relations commerciales qu’elle entretenait avec la mairie de PREMONT lui auraient permis, si elle l’avait souhaité, d’attirer l’attention des élus afin que ceux-ci informent au plus tôt la population. Mais manifestement, BRIARD avait dès le début, et sans rien en ignorer, considéré comme un facteur négligeable l’opposition et la surprise sociales pouvant se manifester. A peine a-t-elle, dans un accès de prévention assez hypocrite, pris soin de ne monter aucun mur et de seulement procéder au coulage de piliers tant que le permis de construire n’était pas officiellement délivré. C’est d’ailleurs, au final, son propre intérêt commercial au long terme qui lui a échappé.

Rock, également, en veut à la mairie de PREMONT et aux élus. Ceux-ci n’ont vu que leur intérêt au plus court terme et ont fui leur responsabilité qui aurait dû être de faire partager à la population les décisions d’intérêt général. Il eût par exemple été facile, à condition d’accepter un retard dans le projet, d’organiser une enquête publique qui aurait permis d’asseoir un consensus autour des travaux envisagés. Surtout, face aux inquiétudes manifestées par les riverains, il aurait été sage de décider un arrêt momentané des travaux, d’informer et de discuter et, par exemple, d’organiser une journée porte ouverte de la chaufferie, en y incluant une information générale sur l’évolution technologique nécessaire pour faire face à la concurrence, répondre à l’ouverture du marché de l’électricité et honorer les préoccupations environnementales. Cette solution de proximité est celle qui semble à Rock la plus réaliste et la plus efficace.

Mais Rock, surtout, s’en veut à lui-même et s’accuse de faiblesse. Il s’en veut d’avoir appliqué les yeux fermés les directives de BRIARD et, bien souvent, d’avoir fait l’autruche auprès des riverains, noyé le poisson, répondu à côté des questions pour ne pas avoir à mentir de façon frontale. Ces mois ont été longs, pendant lesquels, il en est conscient, on se servait de lui comme d’un « bouclier » pour évincer les importuns, profitant de son contact facile pour amener les gens à ne pas faire de vagues. Il en veut à l’entreprise qui lui a imposé cette souffrance. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Parce qu’il était dans une logique classique de décision d’entreprise, qu’il manquait de recul, qu’il craignait que faire des histoires n’ait une incidence négative sur sa carrière. Il sait qu’il réagirait autrement aujourd’hui. Il aurait pu, pense-t-il maintenant, se montrer plus convaincant auprès de sa direction et, par exemple, exiger qu’un responsable soit présent sur place et explique la vérité aux plaignants, sous peine de se retirer du suivi des travaux. Il a, en un mot, privilégié l’entreprise à ses propres clients, ce qui, réalise-t-il aujourd’hui, est un non-sens absolu, les clients faisant vivre l’entreprise et lui donnant sa raison d’être. En résistance au mensonge imposé, Rock suggère donc le courage, la transparence, la responsabilité au regard de ses convictions et de ses décisions et l’effort d’appréhender le long terme.

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