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La voiture low cost n’est pas la solution pour la planète !

Denis Baupin

01 / 2009

Renault, Tata, Fiat… : tous les constructeurs automobiles du monde sont sur le pont ! L’avenir, lit-on ici et là, est aux voitures à bas prix. Le segment des voitures « low cost » devrait représenter à l’horizon 2010 environ 26 % du marché mondial, et quelque 18 millions de véhicules neufs à moins de 10 000 euros seront écoulés dans le monde en 2012. Le « potentiel » est, il est vrai, alléchant tout particulièrement dans les pays émergents. Le parc automobile chinois devrait être multiplié par sept pour atteindre 270 millions de véhicules d’ici 2030. Les Indiens qui ont acheté 1,1 million d’automobiles en 2005 devraient en acquérir le double en 2010. Et si l’on en croit les constructeurs, ce développement du low cost serait bien plus qu’un « business plan » mais la réponse à une demande d’ascension sociale légitime. Ainsi le PDG indien Ratan Tata déclarait récemment : « chacun doit avoir la possibilité d’acheter une voiture low-cost pour qu’il n’y ait plus en Inde de famille de 4 personnes sur une moto ».

Mais cette vision idyllique se heurte de plein fouet à la réalité en faisant l’impasse sur un contexte planétaire particulièrement préoccupant.

Si l’on écoute les experts du climat, selon lesquels les scénarios évoqués par le GIEC sont tous largement dépassés par la réalité, si l’on écoute les géologues, qui estiment que l’on est entré dans une phase de diminution de la production pétrolière, avec à la clé un prix du pétrole qui va rester élevé, si l’on écoute enfin ce que nous disent les scientifiques, les médecins notamment, sur la pollution de l’air générée par l’automobile… on ne peut être que très circonspect sur l’avenir de l’automobile.

Il ne s’agit pas ici de crier « haro » sur l’automobile. La voiture a été par le passé un élément de progrès, elle a donné plus de mobilité aux gens, et a rendu des territoires plus accessibles. Mais aujourd’hui, à bien des égards, l’automobile est très clairement plus un problème qu’une solution.

La lourde responsabilité des constructeurs automobiles

Et force est de constater le manque total d’anticipation de l’industrie automobile face à la nouvelle donne énergétique et climatique. En continuant à produire des véhicules de plus en plus lourds, de plus en plus puissants, de plus en plus gaspilleurs, les constructeurs ont une très lourde responsabilité.

Un exemple : la plupart des véhicules peuvent rouler jusqu’à 190 ou 200 km/h. Pour pouvoir rouler à cette vitesse, quand bien même la loi l’interdit totalement, le moteur du véhicule doit être suffisamment puissant, ce qui génère une surconsommation et une surpollution totalement inutiles. Un véhicule qui a été conçu pour pouvoir rouler à 190 km/h va consommer, polluer, émettre 40 % de gaz à effet de serre de plus qu’un véhicule qui aurait été bridé à 130 km/h, même quand il roule à 30 km/h en ville : un gaspillage insensé des ressources et une pollution qui pourrait largement être évitée, et un surcoût de 40 % pour le consommateur otage auquel on n’a évidemment jamais donné le choix.

L’illustration la plus flagrante de la cécité des constructeurs est le développement du 4X4 en ville, totalement à rebours de l’histoire. Cette offre contre nature illustre à quel point la question de l’image de soi associée à la possession d’une automobile reste prédominante. Les constructeurs ont d’ailleurs beaucoup investi en ce sens, avec plus d’un milliard d’euros consacrés par an à la publicité rien qu’en France. Nous sommes quotidiennement abreuvés de spots présentant des véhicules qui remontent des pentes de ski, surfent sur des vagues, roulent sur la lune, traversent des cyclones… autant de situations quotidiennes pour l’usager d’une voiture ! Au travers de ces messages, on présente un usage fantasmé de l’automobile, gage d’une liberté totale de mouvement, d’une puissance sans rapport avec le monde réel, et d’une image de soi qui serait liée à la possession du bolide. On vend à l’usager un rêve… qui tourne rapidement au cauchemar !

Non seulement, l’usager ne bénéficiera pas de la mobilité et de la puissance promises, passant l’essentiel de son temps dans les embouteillages, prisonnier d’un véhicule trop large par rapport à ses besoins, mais il est en plus également pris en otage, par une charge financière de plus en plus lourde liée au prix croissant de l’énergie. Un prix cher payé pour un supposé statut social associé au véhicule, au moment où cette image est de plus en plus dégradée (pollution, accidentologie, etc.). Les automobilistes ne seront pas les seules victimes de ce manque d’anticipation. L’ensemble des salariés du secteur de l’automobile sont aujourd’hui clairement menacés. En témoignent les licenciement massifs annoncés par GENERAL MOTORS ou encore par Renault. Deux constructeurs qui on investi massivement dans le créneau de véhicules puissants et notamment de 4 x 4, particulièrement ces dernières années… alors que le producteur de la Smart a lui des difficultés à produire suffisamment de véhicules pour répondre à la demande.

Des low cost… qui s’avèrent être des high cost

Dans ces conditions, la voiture low cost apparaît bien comme un mirage : non seulement une impasse mais en plus une arnaque. Ces voitures n’ont de low cost que le coût d’achat. Si on prend en compte le coût d’usage de la voiture sur l’ensemble de sa durée de vie, on se rend compte au contraire que ce n’est pas une low cost mais plutôt une high cost !

Comparons la Dacia Logan à la Cuore II de Daihatsu, numéro un au palmarès de l’ADEME. Le coût d’achat de la Logan (7 600 euros) est certes largement inférieur à celui de la Cuore (11 300 € desquels il faut d’ailleurs retirer 700 € de bonus). Mais, sur les 150 000 km qu’elle va parcourir, le coût de fonctionnement de la Logan est de 17 550 € alors que celui de la Cuore est de 11 300 €. Au total : 25 150 € pour la Logan, contre 21 200 € pour la Cuore !

En ce qui concerne les rejets de gaz à effet de serre, le résultat est encore plus frappant : une Logan émet entre 165 et 185 g de CO2 par km, soit sur une durée de vie de 150 000 km, environ 27,75 tonnes de CO2. La Cuore, avec 104 g de CO2 par km, n’en émettra dans le même temps que 15,6 tonnes. On constate donc que la soit-disant voiture low cost est non seulement une hérésie environnementale, ce dont on pouvait se douter, mais également une hérésie sociale puisque le consommateur payera fi nalement beaucoup plus cher.

« Colonialisme écologique » ou « post-colonialisme » ?

S’opposer au développement des véhicules low cost, c’est forcément affronter aussi la question de l’égalité de tous face à l’automobile et la démocratisation de l’accès à cet outil. L’idée selon laquelle on devrait tous être égaux et avoir le même accès face au droit à la mobilité est un principe que l’on ne peut qu’approuver. Mais le conditionner à la généralisation du modèle « tout automobile » c’est y renoncer par avance.

Il est illusoire de penser, notamment au vu des ressources disponibles, qu’il puisse y avoir un accès de tous les habitants de la planète au niveau de motorisation des pays développés. Il ne s’agit pas d’interdire l’accès à l’automobile à tous ceux qui n’en ont pas mais bien d’éviter d’exporter un modèle dont on sait qu’il est voué à l’échec.

Lester Brown avance un chiffre particulièrement intéressant : si la Chine devait un jour se retrouver avec un taux de possession de voitures de 3 véhicules pour 4 habitants comme aux Etats-Unis, cela représenterait 1,1 milliard d’automobiles… alors que la flotte actuelle, pour l’ensemble de la planète, est de 800 millions. Les infrastructures qui seraient nécessaires en termes de réseaux routiers et de parkings nécessiteraient l’aménagement d’une surface à peu près égale à celle dévolue actuellement à la culture du riz, qui est l’aliment de base des Chinois.

Affirmer qu’il n’y aura pas « démocratisation » de l’accès à l’automobile pour tous via le low cost, c’est même prendre le risque d’être accusé de colonialisme écologiste par les constructeurs ! J’en ai fait l’expérience. Le fait qu’ils aient, pétroliers et constructeurs, bâti leur empire sur l’exploitation éhontée des ressources (matières premières et énergie) du Sud de la planète, souvent en soutenant des régimes dictatoriaux et corrompus, ne les incite visiblement pas à un minimum de décence. Pas plus que le fait de limiter leur intérêt pour les habitants des pays émergents aux seuls solvables, ceux qui ont atteint un niveau de consommation compatible avec l’accession au statut enviable de public cible.

Le colonialisme bien sûr, n’est pas du côté de ceux qui dénoncent l’impasse, mais de ceux qui vendent un modèle de développement illusoire. Illusoire non seulement pour les consommateurs potentiels, mais aussi pour les économies de ces pays.

Car inonder les marchés de voitures low cost ne pourra que générer une dépendance supplémentaire pour des pays qui jusqu’alors n’étaient pas ou peu dépendants du pétrole.

De plus, miser sur le développement de l’automobile individuelle dans les pays émergents ou pauvres a des conséquences particulièrement lourdes en termes de priorités d’investissements publics et d’aménagement de l’espace. Au regard des moyens publics faibles de ces pays, investir des budgets considérables pour adapter et développer leurs infrastructures routières, qui plus est pour la seule élite ayant les moyens d’accéder à l’automobile individuelle, ne peut se faire qu’aux dépens d’autres priorités : un choix qui pèserait lourd, économiquement, environnementalement et socialement.

Les solutions de demain

Heureusement les alternatives existent. Tout d’abord, évidemment, accorder la priorité au développement des transports collectifs dans tous les pays, notamment dans les zones urbaines qui accueillent la majorité de la population de la planète. Beaucoup de grandes villes du sud de ce monde ne nous ont d’ailleurs pas attendus et certaines ont mis en place des dispositifs particulièrement efficaces, en faisant preuve d’une réelle volonté politique. Bogota ou Curitiba, par exemple, ont développé des systèmes de bus en site propre qui transportent plus de passagers que les lignes de métro parisiennes ! Et ce sont aujourd’hui les villes du Nord de la planète qui s’inspirent de leur exemple.

De même, particulièrement en dehors des zones urbaines, il faut miser sur tous les dispositifs innovants ou traditionnels de mutualisation des besoins de déplacement. Dans les pays du nord, on redécouvre le co-voiturage, mais les systèmes de taxis collectifs, taxis brousses, etc. existent d’ores et déjà dans beaucoup de pays en voie de développement. Preuve s’il en est que l’ingéniosité humaine permet d’inventer des dispositifs qui permettent de partager une ressource rare, d’en avoir un usage sobre. Et que parfois, la pénurie peut être bonne conseillère pour éviter le gaspillage.

Il y a aussi un avenir pour la voiture, au Nord comme au Sud. Mais pas la voiture que nous avons connue jusqu’alors. Ce qui doit caractériser l’automobile du 21ème siècle c’est la sobriété : elle devra être beaucoup plus petite, moins lourde, moins rapide, moins consommatrice d’énergie et d’espace.

Peu polluante, elle devra aussi sortir du tout-pétrole. La voiture, elle aussi, pourrait profiter du boom des énergies renouvelables. Certains prospectivistes imaginent par exemple de coupler motorisation électrique des véhicules et multiplication des éoliennes. Cette hypothèse imaginée pour un pays très pétro-dépendant comme les Etats-Unis, pourrait très vite devenir réalité (sous forme expérimentale) en Australie. On imagine évidemment l’intérêt de tels modèles pour des pays dont les réseaux énergétiques sont bien plus faibles encore.

Imaginer une telle voiture d’avenir suppose une double révolution idéologique dans le monde des constructeurs : d’une part accepter de passer de la voiture idéalisée pour revenir à une voiture utilitaire. Et d’autre part, en finir avec l’idée de la voiture polyvalente : le même véhicule qui sert pour emmener la famille en vacances ou aller tous les jours seul au travail.

Car un « usage écologiquement responsable » de l’automobile implique de passer de la voiture propriété individuelle à la voiture d’usage. La voiture devient alors le complément du reste des modes de déplacement, « la voiture balai », celle qu’on utilise quand le transport collectif, le vélo, les modes de déplacement les plus usuels ne suffi sent pas.

Au-delà du développement de dispositifs comme l’autopartage ou le co-voiturage, il faut maintenant miser sur des bouquets de services innovants. Nous avions notamment proposé lors de la campagne des municipales à Paris, que la carte NAVIGO permette d’accéder non seulement aux transports collectifs, mais également à un ensemble d’autres services comme VELIB, l’accès à des voitures en autopartage ou au co-voiturage, deux courses de taxi à tarif réduit par mois, etc. Bref, faire en sorte que celui qui abandonne sa voiture individuelle puisse avoir accès aisément à tout un panel de solutions alternatives.

Le rôle crucial des villes

Ce bref panorama des alternatives à la voiture low cost ne serait pas complet si on n’y incluait pas deux pistes supplémentaires impératives. La première est l’urgente reconversion de l’industrie automobile menacée d’une crise à la hauteur – voire pire – de celle qu’a vécue la sidérurgie. Des dizaines de milliers voire des centaines de milliers de salariés sont aujourd’hui menacés par l’évolution des modes de déplacement (qu’il s’agisse d’ailleurs du transport de personnes ou de marchandises) et du prix de l’énergie. Barack Obama ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui lie toute aide au secteur automobile américain à son évolution profonde. Même Arnold Schwarzennegger s’y était converti !

La seconde est qu’il nous faut également travailler sur le « design » de la ville, sur la façon dont elle est conçue. La ville écologique doit être la plus compacte possible (à l’opposé des modèles américain ou australien) pour être la moins dépendante de l’automobile.

Les villes hébergent plus de la moitié des habitants de la planète et sont responsables de 75 % des émissions de gaz carbonique. Elles ont un rôle crucial à jouer. Elles sont clairement appelées à être des éléments moteurs de la lutte contre le dérèglement climatique. Il nous faut donc inventer les dispositifs de mobilité de demain, mais aussi « la ville qui va avec ».

En matière de mobilité, les solutions de demain sont donc largement connues : elles permettent à la fois de réduire les impacts environnementaux (pollutions locales et globales), les injustices sociales (en donnant un droit à la mobilité à ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir une voiture) et de créer des millions d’emplois, qui plus est non délocalisables ! Ne manque que la volonté politique.

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