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De l’objet au service, une chance pour le citoyen et l’environnement

Gabriel PLASSAT

01 / 2009

Le contexte

La mobilité est avant tout source de rencontre et de richesse. Au niveau mondial, nos déplacements individuels sont promis à une croissance importante liée essentiellement à une augmentation du niveau de vie et la volonté d’optimiser son « temps à soi ». Mais cette croissance risque de ne pas être homogène pour tous, allant de l’exclusion avec de véritables condamnés à demeure (1) à de nouveaux voyageurs spatiaux (2). En parallèle, réfugiés et dérèglement climatiques, tensions énergétiques et alimentaires pourraient être les enjeux associés à cette croissance par l’intermédiaire des émissions de Gaz à effet de serre. Le couple Moteur à Combustion Interne - MCI/carburant liquide fossile permet, depuis un siècle, cette mobilité individuelle des personnes, mais également des marchandises. Quelles évolutions majeures peut-on attendre ? Comment assurer à tous une mobilité libre et durable ?

Tout d’abord, quelques rappels sur les fondamentaux qui ont conduit à cette suprématie.

Depuis un siècle, l’industrie automobile améliore et invente ses propres méthodes de conception et de réalisation, excelle dans son cœur de métier, l’optimisation des compromis : standardisation mondiale contre produits adaptés aux besoins locaux, création interne de valeur contre sous-traitance et, futur pivot du changement à venir, marge bénéficiaire contre performances pour le client, dont l’efficacité énergétique. Aujourd’hui, la réalisation d’une automobile mobilise plusieurs milliers d’ingénieurs pendant 3 à 5 ans dans un travail collaboratif international, complexe et tendu. Cette durée va encore se réduire dans les années à venir pour suivre au plus près les « besoins » des clients, à l’instar des vêtements de mode. En parallèle, l’usine et l’ensemble des moyens de production sont étudiés, développés et construits, et plusieurs milliards d’euro sont alors engagés. Plusieurs milliers de véhicules identiques et tous différents sortent alors tous les jours des lignes de production. Sont également produits jusqu’à 4 000 moteurs/jour usinés au micron, coûtant moins de 1 000 euros, démarrant au 1er tour de clé, sans aucune validation unitaire préalable.

Simultanément, de l’exploration à plusieurs milliers de mètres sous l’eau jusqu’au raffinage nécessitant des procédés sous contraintes économiques et environnementales sans cesse renforcées, l’industrie pétrolière commercialise des produits exceptionnels sans aucune reconnaissance du public. Essentiellement produits par la nature et le temps, les produits pétroliers possèdent de hautes caractéristiques (notamment leur densité énergétique en volume et la propriété d’être liquide à température/pression ambiante, critères importants pour les transports) à un prix très bas, biaisant notre rapport à l’énergie. En effet, l’énergie équivalente produite par la force humaine payée au salaire minimum coûterait un prix 600 fois supérieur !

Ce mariage moteur thermique/pétrole, dès le départ, a balayé tous les concurrents utilisés auparavant : électricité, gaz, charbon pulvérisé, huile… Pour moins de 8 000 euros (et demain encore moins !), le véhicule démarre par toutes les températures extérieures, assurant rapidement 20 +/- 0,5°C dans l’habitacle, roule à plus de 100 km/h en quelques secondes. Dotée d’une autonomie de plus de 1 000 km assurée par un remplissage effectué en seulement 2 minutes, ne nécessitant quasiment aucun entretien durant 250 000 km, l’automobile MCI/pétrole rassemble les technologies du spatial au prix de l’électroménager. Aucun concurrent n’a, à ce jour, réussi à égaler ces performances.

Mais à partir de maintenant, les contraintes sur les ressources, rendues visibles par l’indicateur prix, et l’enjeu climatique, s’imposent de plus en plus fortement au citoyen, et imposent d’étudier d’autres voies. Cependant le couple MCI/pétrole a appris à progresser sous ces contraintes (économiques, environnementales) repoussant progressivement l’hypothétique remplacement.

(R)évolution de l’objet automobile

Pile à combustible, hybridation, plug-in, lithium polymère… une palette de « solutions » est annoncée au public : la voiture a un avenir, elle évoluera, nous dit-on. Cette fuite en avant technologique est-elle toujours crédible ? Va-t-elle s’appliquer pour tous ?

Rappelons tout d’abord que les technologies actuelles apportent dès aujourd’hui un potentiel de gain énergétique très important. Un exemple : la dernière SMART équipée d’un moteur Diesel « simple » émet 87gCO2/km (consommation de 3,3 l/100 km) pour une masse de 800 kg. La question n’est donc plus comment faire un véhicule qui émet moins de 90gCO2/km, mais pourquoi ne commercialise-t-on pas des véhicules de 800 kg ? La réponse vient en grande partie du compromis énoncé préalablement : marge bénéficiaire contre efficacité énergétique.

Actuellement, les constructeurs utilisent les technologies pour « offrir » au client des « nouveaux services » de confort, de sécurité, d’espace, et des « pseudo » performances (puissance maxi du moteur, vitesse maxi), qui ne seront jamais utilisées par le client mais qui intègrent une forte valeur marchande. Ainsi, un gain sur le rendement moteur, un allègement, ne sont pas utilisés uniquement pour réduire la consommation, mais pour proposer plus de puissance, plus de confort, tout en conservant une consommation « acceptable » : la berline haut de gamme hybride affiche une consommation identique à un véhicule plus simple mais pas le même statut… Le potentiel d’efficacité énergétique est donc utilisé sous forme de valeur marchande visible, génératrice de bénéfice. Tant que l’efficacité énergétique n’aura pas une valeur marchande suffi sante, le gain énergétique observable par le client sera réduit.

Ce changement majeur pourrait venir de nouvelles contraintes. Actuellement, limitées mais déjà à l’œuvre, ces « nouvelles » contraintes vont venir bouleverser les modèles technico-économiques de l’industrie automobile.

Demain, tous surveillés ?

Développement des radars, caméras urbaines, téléphones portables, GPS embarqués, nos objets nomades deviennent en retour des traceurs de notre mobilité. Un secteur économique, le plus puissant de la planète (3), commence à utiliser ces technologies pour assurer la stabilité de la croissance économique, renforcer la prospérité des marchés, favoriser l’innovation. Les surveillances publiques (radar) et privées (assurances) limiteront le conducteur dans sa liberté de conduite.

L’assureur, avec les contrats Pay As You Drive, calcule les primes pour chaque trajet selon l’heure du jour, le type de route et le kilométrage, détaillés sur une facture d’assurance mensuelle. Le coût de la « boîte noire » se chiffre à 100 euros mais pourrait générer des économies sur l’assurance de près de 30% par an. Mais, en retour, la mobilité devient surveillée, la liberté réelle réduite… A plus long terme, la surveillance pourrait s’étendre à notre santé (4)  (5), la liant à la mobilité, relançant la propulsion humaine, mais aussi, créant de nouveaux exclus. L’information est un élément essentiel de compréhension des risques avec une valeur économique pour le client et l’assureur.

De nouvelles zones géographiques aux accès limitées

La plupart des pays européens et des mégalopoles mondiales mettent en œuvre des Zones à Faibles Emissions (ZFE) ou des péages urbains (6) dans lesquels l’accès est réduit pour certains véhicules sous conditions de performances environnementales minimales (émissions polluantes, GES, bruit). La mauvaise qualité de l’air urbain, couplée à une augmentation de la population, conduisant à un besoin croissant de mobilité donc des congestions, explique ce phénomène. La voiture ne permet plus d’aller partout. Sous cette contrainte de « nouvelles » formes de véhicules (2-3 roues) vont se développer.

Un coût de la mobilité en croissance

Le prix de la mobilité individuelle est en croissance, avec un point de départ bas rendant le potentiel d’augmentation, et donc de contraintes, important. Au prix du carburant, taxes comprises, des taxes ZFE, pourrait venir se rajouter une taxe CO2 rendant le prix à la pompe très attractif… pour le vol, notamment dans le transport de marchandises. Ce phénomène, lui aussi en développement, aura plusieurs conséquences : augmentation de la surveillance, avantage des carburants gazeux, développement d’un marché noir sans garantie de qualité, puis à plus long terme nécessité de transférer les taxes du carburant vers un produit non physique. La mobilité sera de plus en plus chère, elle sera source majeure d’innovation, mais également d’exclusion.

Des contraintes d’image et d’usage.

Le principe pollueur/payeur, un des mieux accepté par l’opinion publique, pourrait faire peser sur les acheteurs particuliers ou professionnels une contrainte morale croissante. Par ailleurs, la société évolue et sa (ou ses ?) mobilité également : impact du vieillissement nécessitant des modes spécifiques (7), de l’éclatement du modèle familial induisant une souplesse aujourd’hui impossible – une semaine un deux roues (le couple), une semaine un minibus (mes enfants et ceux de ma compagne), de l’arrivée sur le marché du travail de la génération Y qui ne travaille plus dans l’entreprise (8). Les besoins en termes de types de véhicule se diversifient. Les évolutions sur le « hard » ne suffiront pas, le « soft » pourrait devenir la principale source de progrès.

En conséquence, sous ces nouvelles tendances réduisant la liberté de lieu, la liberté de conduite et d’action, augmentant les coûts, la voiture pourrait faire moins rêver car elle ne sera plus un symbole de liberté. En 2008, 44% des Japonais ne considèrent déjà leur voiture que comme un « simple moyen de transport » et, d’après la Fédération des constructeurs japonais, « il ne fait aucun doute que le secteur paie le prix d’une longue période de crise au cours de laquelle le regard que les Japonais posaient sur leur voiture a totalement changé » (9). Pour conserver une mobilité, source de richesse et nécessaire à une société équilibrée, dans ce contexte en évolution, l’objet automobile devra évoluer.

Ainsi à moyen terme, avec des différences selon les marchés au niveau mondial, l’automobile pourrait évoluer selon deux voies principales. Pour le haut de gamme, comme un vêtement de luxe : hautes technologies, multicarburant, « sur mesures », communicant, un cybercar. Pour les gammes moyennes et basses, l’objet automobile sera de plus en plus fonctionnel conduisant, dans un premier temps, vers des véhicules « low cost », puis utilisant ces derniers pour mettre en œuvre la « 3ème voie », décrite ci-dessous. Cette scission entre des véhicules « fournisseurs » d’émotions et d’autres fournissant uniquement un service de mobilité est le point central d’une évolution majeure de ce secteur.

Le vêtement de luxe

Vitrine technologique utilisant des groupes motopropulseurs (GMP) à haute efficacité énergétique et multicarburant (liquide puis hydrogène), châssis et carrosserie avec des nanotubes de carbones, communiquant avec les autres véhicules et les infrastructures, ce véhicule sera produit par certains constructeurs automobiles « classiques » utilisant des modes de conception globalisés (mondiaux) et dé-intégrés, sur le modèle de DELL (production à la demande). Ce véhicule vecteur d’émotion et de statut se développera de la berline au petit véhicule urbain. Acheté par des particuliers, mais surtout par des entreprises comme moyen de promotion, ce sera un objet de mode.

Le Low cost.

Il répond aux contraintes par un objet fonctionnel basique. Des technologies innovantes pourront néanmoins être utilisées quand elles permettent d’atteindre le cahier des charges à moindre coût : éventuellement l’allègement par des nanotechnologies, les GMP restant classiques. Se rapprochant de l’industrie du véhicule lourd par ses spécifications limitées aux besoins essentiels (prix kilométrique, fiabilité, revente), le business-modèle commencera à changer. Les acteurs principaux seront les constructeurs asiatiques, chinois et peut être certaines marques de constructeurs européens. Cette étape pourrait être temporaire pour conduire à la suivante,

La 3ème voie, entre le VP et le bus public.

Utilisant des véhicules à faibles prix produits à très grand volume, la 3ème voie ouvrira la perspective de nouveaux services de mobilité dont la plupart sont à inventer.

En permettant une mobilité fluide, équitablement répartie, « citoyenne », faiblement carbonée, la 3ème voie pourrait devenir une source d’épanouissement pour les citoyens. En s’adressant uniquement à des entreprises fournissant la mobilité, le cahier des charges du véhicule ne sera que fonctionnel, rendant possible une forte standardisation. Les véhicules auront des formes multiples : 2 à 4 roues, motorisations humaine électrique-thermique, du 2 places au minibus, « couplable » aux modes lourds traditionnels.

L’apport des technologies de l’information (10) et de la robotique (11) sera essentiel pour assurer une multimodalité fluide, améliorer la sécurité tout en réduisant les coûts d’exploitation (cybercar) et permettre une automatisation de certains usages. Ceci sera sans doute complété par les progrès apportés par le web2.0, l’ouverture des bases de données liée à la mobilité (12), la diffusion étendue d’objets nomades, permettant une utilisation et des transferts des différents modes simplifiés, avec en contrepartie une surveillance accrue qu’il faudra protéger. De même, des efforts particuliers devront être apportés pour réduire une exclusion sociale de la mobilité (exclus des villes, exclus des NTIC…).

Ces véhicules pourront avoir des efficacités énergétiques bien supérieures (faible masse, faible vitesse maximale, gestion optimisée du trafic et de la conduite…), utiliser des filières énergétiques différentes, électriques ou thermiques, gérées par des professionnels. Comme IBM a été supplanté par Microsoft, lui-même par Google, l’évolution de la mobilité pourrait ainsi passer de l’objet automobile au service. De nombreuses innovations non techniques seront également nécessaires au niveau des modes de commercialisation et de distribution. Ces objets dont la principale valeur ajoutée ne viendra pas forcément du cœur de métier d’un constructeur automobile (électronique, télécommunication, stockage chimique…) pourraient voir alors les rôles s’inverser : des voitures Hitachi, NEC ou Sanyo, puisque la marque devient secondaire. On ne vendra pas en effet des kilomètres par mois comme on vend aujourd’hui une tonne de métal et de plastique.

De nouveaux entrants sont alors susceptibles de proposer ces services, comme Virgin (13), Apple ou Google (14), un grand distributeur (15), un assureur, une banque, un bouquet d’entreprises mondiales, comme Renault/NEC/Continental pour le projet Israélien Better Place, Air France/Veolia, un constructeur de low cost asiatique ou indien de voiture mais également de deux/trois roues.

En parallèle, le centre de gravité se déplacera vers l’Asie. Aidés par des marchés intérieurs aux perspectives exceptionnelles, l’Inde et la Chine verront naître dans les années à venir des constructeurs mondiaux, maîtrisant déjà aujourd’hui les technologies hybrides, issus de la fusion de la multitude d’industriels actuels, capables de proposer des véhicules mais également ces nouveaux services.

Compte tenu des enjeux environnementaux, il faut accélérer cette transition pour garantir à l’ensemble des citoyens des services de mobilité de haute qualité, tout en protégeant les plus faibles. Cela pourrait passer par la sobriété et l’innovation.

La sobriété nous est imposée par les générations futures. Le passage de l’objet automobile vers le service à la mobilité pourrait être un facteur important de changement en matière d’efficacité énergétique : ne pas posséder de voiture conduit à la multimodalité synonyme de sobriété, à l’optimisation du choix du véhicule pour chaque utilisation. Si la cible est connue, la route reste à tracer.

Pour cela, de l’innovation ! Malheureusement, cette dernière ne se commande pas, elle surgit. Un élément marginal au départ va transformer la perception d’une problématique, germe d’un changement. Si ce dernier n’est pas écrasé par le conformisme, il prendra racine et se diffusera. Décloisonner les sujets, élargir la taille du système à considérer pour reformuler nos problématiques, changer d’angle.

Technologies moteurs, carburants de synthèse, constructeurs automobiles, urbanisme, économie de marché, intégration des externalités, technologies de l’information, bancassurance, protection des données privées, précarité, environnement, mieux vivre… des sciences « dures » au social, du local au mondial, les champs d’actions sont immenses, et les chemins, nécessairement de traverse, sont à découvrir !

1 - Domicile-travail : Les salariés à bout de souffle, Eric Le Breton
2 - Virgin va commercialiser les premiers vols spatiaux : www.virgingalactic.com
3 - Rapport 2007, L’assurance durable, Rapport inaugural du Groupe de travail Assurance du Programme des Nations Unies pour l’Environnement Finance Initiative (UNEP FI)
4 - Voir appel à projets dans le cadre du 7ème PCRD européen concernant les technologies de l’information et la communication – chapitre santé, ftp://ftp.cordis.europa.eu/pub/fp7/ict/docs/ict-wp-2007-08_fr.pdf
5 - Virgin commercialise actuellement aux USA des services de surveillance de la santé, www.virginhealthmiles.com
6 - De nombreuses zones à faibles émissions existent actuellement en Europe : www.lowemissionzones.eu
7 - Toyota propose Mobility Robot. Affichant 150 kilogrammes sur la balance, il s’agit d’un fauteuil roulant devant permettre un déplacement de façon autonome, confortable et sécurisée, www.generation-nt.com/fauteuil-roulant-autonome-mobilityrobot-toyota-actualite-50425.html
8 - Conversion d’avenir, émission de la chaîne Public Sénat, décrit cette génération Y qui arrive sur le marché du travail : www.publicsenat.fr/cms/video-a-la-demande/vod.html?idE=56124
9 - Le Monde Diplomatique – septembre 2008
10 - La FING travaille sur l’apport des TIC dans la mobilité, dans le cadre du programme Villes2.0, www.fi ng.org/jsp/fi che_pagelibre.jsp?STNAV=&RUBNAV=&CODE=85225280&LANGUE=0&RH=ASSOEDHEC
11 - Toyota a racheté la branche Robot de Sony. Toyota a acquis diverses technologies de Sony, y compris certains brevets majeurs, qui s’appliquent aux « modes de transports » de seconde génération
12 - Les services de géolocalisation notamment pour permettre une mobilité différente commencent à apparaître : www.avego.com
13 - Virgin va commercialiser les premiers vols spatiaux et commercialise actuellement aux USA des services de surveillance de la santé, www.virginhealthmiles.com, www.virgingalactic.com
14 - Système U propose depuis Octobre 2008 des locations de véhicules à 5 euros/jour
15 - Piaggo homologue son MP3 250 et 400 cm3, en tant que TQM, que l’on peut donc conduire uniquement avec le permis voiture

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