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Le changement climatique et les entreprises en Inde

« Ce qui est bon pour les affaires est bon pour le climat »

Centre for Education and Documentation

08 / 2010

« Le changement climatique est l’affaire du 21ème siècle » affirme S.M. Trehan, directeur du management de Crompton Greaves, poids lourd du secteur de l’électricité. Son propos résume bien la réponse du secteur privé indien à la crise du climat.

Les entreprises indiennes considèrent le changement climatique davantage comme une chance que comme un risque. Selon une étude du Carbon Disclosure Project (une organisation non gouvernementale, à but non lucratif, qui fournit des informations aux investisseurs institutionnels sur les actions menées par les entreprises pour réduire l’impact négatif du climat), 79 % des entreprises indiennes étudiées identifient plusieurs risques commerciaux liés au changement climatique. Cela inclut les normes de réduction des émissions, la raréfaction de certaines ressources comme l’eau, et l’évolution des préférences des consommateurs vers des entreprises et produits responsables.

Parallèlement, 85% des entreprises indiennes voient aussi une opportunité dans le mouvement mondial de lutte contre le réchauffement climatique, notamment dans cinq secteurs clés à rendre plus verts : la construction, l’énergie, les transports, l’agriculture et l’eau. Près de la moitié des entreprises recherche des opportunités de commerce de crédits carbone et 21% ont déjà des projets MDP (mécanisme de développement propre) en cours.

En 2008, le gouvernement indien dévoilait son plan national d’action pour le changement climatique (National Action Plan for Climate Change, NAPCC). Alors que la société civile considère que ce plan n’aidera ni les pauvres ni le climat, le secteur des entreprises y a répondu avec enthousiasme. Le Conseil des Affaires pour le Développement Durable (Inde), a publié un Livre blanc intitulé « Plan d’action des entreprises sur le changement climatique » afin d’identifier les défis et opportunités offerts par le NAPCC. Écrit en collaboration avec l’Institut de Recherche sur l’Énergie, il « vise à compléter les efforts ministériels dans l’élaboration de plans d’action pour chaque mission nationale. Par cette initiative, nous avons identifié plusieurs voies pour notre industrie visant à réduire son empreinte écologique, mieux gérer son impact, devenir plus éco-efficace et jouer un rôle significatif dans la mise en œuvre du NAPCC. »

On estime que les technologies vertes nécessiteront des investissements d’au moins 500 milliards de dollars par an. D’après Vinod Kala, directeur d’Emergent Ventures, une entreprise de consultants sur le changement climatique, le soutien des institutions financières est nécessaire et vital dans la promotion des technologies écologiques. Le secteur bancaire, de son côté, affirme que « la mise en œuvre de l’agenda du changement climatique nécessitera des ressources supplémentaires. Les banques en Inde peuvent évaluer avec soin quels domaines seront les plus complémentaires à leur structure organisationnelle et à leur idéologie. »

Le plan du Gouvernement sur le changement climatique bénéficie donc du soutien enthousiaste des entreprises et des institutions financières.

Quelles sont les intentions du secteur des entreprises ?

Dans le monde développé, de nombreuses entreprises ont mesuré et annoncé leur empreinte carbone et leurs objectifs de réduction sur 5 à 10 ans. En Inde, selon une étude de KPMG, seules 41% des 70 entreprises phares ont des objectifs quantifiés de réduction d’émission de carbone d’ici 2010 et 38% n’ont aucun objectif.

Par ailleurs, parmi toutes les mesures présentées par les sociétés, les plus fréquentes sont l’utilisation de matériel efficace énergétiquement (94%) et la formation des employés à des pratiques respectueuses de l’environnement (77%). Peu d’entreprises sont engagées dans d’autres moyens de réduction des émissions : seules 29% des firmes analysent et mettent à jour leur chaîne de fournisseurs pour atteindre l’efficacité énergétique et seules 25% ont arrêté les services à forte consommation d’énergie.

Les forêts : les prochaines sur la liste ?

Le plan national d’action pour les MDP en Inde (2003) estime que l’Inde pourrait gagner 125 millions de dollars de 2008 à 2012 en séquestrant 5 Mt de carbone par an dans des activités de LULUCF (usage de la terre et des forêts). Cela désigne par exemple des grandes plantations sur les terres en friche, les forêts dégradées, les terres communales et les terres en jachère. Le programme national d’action sur les forêts a besoin de 29 MHa de terres non-forestières à reforester, afin d’amener la couverture forestière au taux magique de 33%. Les deux programmes nécessitent de gros investissements et bien que l’Inde ait un fond de réserve du CAMPA (fond de compensation de la déforestation créé par la diversion des forêts) cet objectif sera mieux atteint si les entreprises privées investissent dans le secteur forestier.

Le lobby de la pâte à papier et du papier a tenté depuis 1992 de louer les « forêts dégradées » pour répondre à la demande croissante de matières premières de l’industrie du bois. Il affirme, sans succès, que la demande industrielle peut être satisfaite en augmentant les plantations privées protégées dans les terres forestières dégradées, ce qui permettrait de réduire les coûts d’importation. En 1994, quand le gouvernement indien a tenté de faire passer une nouvelle loi légitimant la récupération des « forêts dégradées » par les industries, il a rencontré une forte résistance des communautés locales, des ONG mais aussi de la Commission au plan et de son comité d’expert dirigé par Saxena. Le rapport Saxena (1998) réfute catégoriquement l’affirmation de l’industrie selon laquelle les terres dégradées ne contribuent pas à la biodiversité et que les communautés ne les utilisent pas. Le rapport montre que la cession des forêts aux industries serait néfaste du point de vue écologique et social et serait injuste pour les communautés qui utilisent les forêts comme moyen de subsistance notamment. Enfin, aucune forêt du pays ne peut être considérée comme « absolument dégradée ».

Depuis les accords de Copenhague, le gouvernement indien encourage les projets REDD (réduction des émissions de la déforestation et de la dégradation des forêts) et cherche à profiter des ressources forestières. Cela ouvre une nouvelle fenêtre d’opportunités pour les acteurs privés.

Le carbone : une opportunité pour les affaires

Avec le NAPCC, le gouvernement indien utilisent le Mécanisme de Développement Propre comme un levier pour encourager l’usage des technologies propres par les entreprises indiennes et leur participation au marché du carbone d’une valeur de 30 milliards de dollars. Aujourd’hui, l’Inde représente plus d’un tiers de tous les projets de MDP recensés dans le monde, avec 398 projets en 2009, deuxième après la Chine. En Asie, l’Inde a 32% de projets approuvés et en volume de réduction certifiée d’émission a 19% du total de l’Asie.

L’autorité nationale des mécanismes de développement propre du Ministère de l’Environnement et des Forêts indien a approuvé environ 1200 projets, dont plus de 350 ont été enregistrés. L’investissement total dans le marché des crédits carbone est de plus de 1000 milliards de roupies. Les projets sont principalement liés à l’efficacité énergétique, la biomasse et l’hydroélectricité.

Deux des principales firmes indiennes, Tata et Reliance, font partie de ce marché. Tata Motors a gagné 3,6 millions de dollars de la vente de crédits carbone sur le Chicago Climate Exchange. Reliance Power devrait générer 37,5 millions de crédits, gagnant 40 milliards de roupies de ses crédits carbone par son seul projet électrique Sasan. Reliance couvrira 1/5ème du coût total du projet de 195 milliards de roupies de ce qui est le plus grand contrat électrique d’Inde, un méga-projet de 4.000 MW devant alimenter 4 États indiens.

Le MDP : bon ni pour les populations, ni pour le climat

Le fer réduit direct

L’un des plus grands contrevenants sont les usines indiennes de fer réduit direct, qui représentent 20% de la production mondiale, près de 20 millions de tonnes de fer réduit direct (FRD). Au Chhattisgarh, capitale du FRD, des usines comme SKS Ispat ont été créées par l’Agence de Conservation de l’Environnement du Chhattisgarh. Elles peuvent ainsi polluer en toute impunité. Chaque usine enregistrée depuis 2006 gagne des milliers de dollars chaque année grâce aux MDP mais fait peu pour protéger l’environnement local.

Ces usines émettent des taux de matières en suspension plus élevés que la norme autorisée, libèrent des fumées nocives et ne disposent pas des déchets de manière sûre. Un audit environnemental sur les MDP de la Chambre des Communes britanniques indiquait il y a trois ans que l’industrie des crédits carbone encourage clairement la pollution et le réchauffement climatique en s’associant avec l’industrie du fer réduit direct indien, « notoirement sale ».

Le projet électrique Swasti

Le SPEL (Swasti Power Engineering Ltd) a reçu l’approbation pour le MDP début 2007 pour développer un projet hydroélectrique de 22,5 MW sur la rivière Bhilangana dans l’Etat himalayen de l’Uttarakhand. Ce projet visait à exploiter les eaux pérennes de la rivière Bhilangana, un affluent de la rivière sacrée Bhagirathi (Gange). L’entreprise devrait faire d’énormes profits, le projet devant générer une somme importante de crédits carbone (624.000 Certified Emission Reduction ou CER) d’ici 2012 et 1.093.000 CER d’ici 2020, c’est-à-die 8 à 15 millions d’Euros. Mais ACRES International, une société américaine, détient une partie de SPEL et a été condamnée pour corruption en 2002 et est sur la liste noire de la Banque mondiale.

Les 80 familles qui vivent dans le village où doit être construit la centrale n’ont pas été consultées sur le projet, ni par le gouvernement ni par SPEL, alors qu’il va fortement les affecter. La principale objection des villageois est que le projet utilise et contrôle l’eau de la rivière avant qu’elle n’atteigne leurs canaux d’irrigation, ce qui affecte fortement l’agriculture dans la vallée de Bhilangana.

La contribution de Tata au changement climatique

La Société Financière Internationale, institution de la Banque mondiale opérant avec le secteur privé, projette de soutenir une énorme centrale électrique au charbon à Mundra, dans l’État du Gujarat. Le complexe de cinq centrales de 800 MW coûtera 4,14 milliards de dollars pour sa construction et sera détenu et géré par Tata Power Company Ltd, une filiale du groupe Tata, la plus grande multinationale indienne.

Les revenus de Tata Power en 2007 étaient de 1,6 milliards de dollars. On s’interroge donc sur le montant de l’aide fourni par la Banque mondiale à Tata. Plusieurs autres entreprises sont concernées, comme Toshiba qui fournira les générateurs de turbines à vapeur.

Une fois opérationnelle, la centrale de Mundra sera le troisième plus grand émetteur de gaz à effets de serre de l’Inde. Et pourtant la Banque mondiale doit rendre cette centrale éligible aux crédits carbone ! Tata affirme qu’elle émettra 3,6 millions de tonnes de CO2 en moins que toute autre centrale à charbon de cette taille en Inde. Elle pourrait tirer 70 millions d’Euros par an de ces réductions. Pour l’année fiscale 2007-08, les profits nets de Tata Power ont augmenté de 25%, atteignant 184 millions de dollars. Ce n’est clairement pas une entreprise qui est en difficulté et qui aurait besoin de revenus supplémentaires pour améliorer son efficacité.

Dans la logique étrange du marché carbone, que la Banque mondiale structure et dans lequel elle investit, des pays B peuvent donc gagner des crédits en aidant une entreprise, même une des plus riches du monde comme Tata, à capturer quelques émissions de carbone, tant que ces émissions sont capturées dans un pays en développement.

Une aubaine pour l’énergie éolienne

On affirme souvent que les projets d’énergie renouvelable dans le cadre des MDP sont par essence de bons projets visant à réduire les émissions de GES et promouvant la durabilité locale.

L’énergie éolienne s’est développée rapidement ces 10 dernières années dans l’Etat du Maharashtra. En 1996, l’Agence de Développement de l’Energie du Maharashtra (MEDA) initiait un projet d’énergie éolienne avec Suzlon Energy Ltd qui a acquis de larges terres dans la région de Satara dans l’intention de construire des infrastructures d’énergie éolienne et de vendre les centrales électriques avec la terre à d’autres compagnies à un prix minimal de 50 millions de roupies (765.000 Euros) chacune. Aujourd’hui, la région de Satara a plus de 1.000 turbines éoliennes détenues par MEDA, Suzlon, Bajaj Auto, Tata Motors sur environ 40 km².

L’attrait d’infrastructures peu chères et de subventions importantes à la source ont attiré les entreprises vers Satara tandis que la possibilité de gagner des revenus supplémentaires par la vente de crédits carbone était une autre forte incitation. De nombreuses entreprises ont demandé leur enregistrement pour le MDP principalement avec des projets d’énergie éolienne regroupés. Mais aucune nouvelle turbine ou infrastructure éolienne n’a été mise en place pour les projets de MDP.

Les compagnies privées opérant sur le site vendent l’électricité à l’Agence de l’Electricité de l’État du Maharashtra (MSEB) à 3,16 roupies par unité, alors qu’elles consomment l’électricité fournie par MSEB à un taux réduit de 1,20 roupies l’unité. En 2006, Suzlon a fait l’objet d’une enquête du fisc indien qui a découvert qu’elle avait fait de fausses déclarations en minimisant ses équipements éoliens pour échapper aux impôts, le tout s’élevant à 200 millions de dollars.

Conclusion

Sunita Narain, du CSE, résume ainsi le statut des projets de MDP en Inde : « Les MDP sont un mécanisme de marché, non de l’action climatique. Le plus grand défaut du MDP est qu’il vise à être la méthode de réduction la moins coûteuse pour les pays industrialisés. Il n’y a eu aucun transfert de technologies des pays riches aux pays pauvres ni d’investissement dans les technologies de charbon propre pour les pays pauvres. »

Le MDP dévoile la face cachée trouble du monde des affaires indiens et le chemin qu’il s’est frayé dans le gouvernement et les structures de décision politique. La manière dont le marché du carbone est conçu et opère entraîne de tels abus. Il est évident que plus tôt la politique climatique s’éloignera de la dépendance exclusive aux marchés pour proposer des solutions durables, le mieux ce sera pour le monde et son avenir.

Key words

climate change, company, private sector, world bank, Kyoto protocol


, India

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L’Inde et le changement climatique

Notes

Lire l’article original en anglais : Climate change and the Indian Corporate Sector

Traduction : Valérie FERNANDO

Pour aller plus loin :

Source

Original text

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