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Dépénalisation et acceptation de l’homosexualité en Inde : un long combat

Valérie FERNANDO

07 / 2011

Une avancée juridique : la décriminalisation de l’homosexualité

L’homosexualité était, jusqu’en 2009, pénalement répréhensible en Inde. La section 377 du chapitre XVI du Code Pénal indien criminalise en effet « les relations charnelles contre-nature », passibles de la prison à vie. Alors que dans l’Inde précoloniale on observait une certaine tolérance par rapport aux pratiques homosexuelles, la colonisation britannique a été marquée par la morale chrétienne conservatrice qui est à l’origine de cette législation datant de 1861. Comme le soulignait, non sans ironie, le réalisateur gay Nishit Sharan : « La section 377 fut un cadeau de nos merveilleux maîtres coloniaux, qui, notons-le, ont eux-même abrogé cette loi en 1967 » (1). Bien que rares sont les homosexuels ayant été emprisonnés sous la « section 377 », cette loi dite aussi « loi anti-sodomie » a été largement utilisée, notamment par les forces de l’ordre, pour pratiquer du chantage, extorquer de l’argent ou abuser physiquement voire sexuellement les homosexuels.

Cette loi anachronique a finalement fait l’objet d’une remise en cause par le jugement historique de la Haute Cour de Delhi du 2 Juillet 2009 qui décriminalise le rapport homosexuel entre adultes consentants. Qualifiant la section 377 d’atteinte aux droits fondamentaux de l’homme (2), la Haute-Cour déclare que la loi viole les droits fondamentaux à la vie, à la liberté et à l’égalité inscrits dans les articles 14 (égalité devant la loi), 15 (non-discrimination en fonction de la religion, de la race, de la caste, du sexe et du lieu de naissance) et 21 (protection de la vie et de la liberté individuelle) de la Constitution indienne.

Selon Arvind Narrain, membre fondateur de Alternative Law Forum, organisation basée à Bangalore qui offre des services juridiques, ce jugement redonne aux LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres) à la fois toute leur dignité et toute leur citoyenneté morale car, jusqu’à présent, la citoyenneté indienne n’était considérée qu’à travers le prisme de l’hétérosexualité (3).

Un combat de longue haleine

Selon A. Narrain, la lutte pour les droits des homosexuels remonte approximativement à 1993, avec l’organisation, à Delhi, d’une première manifestation de protestation contre la violence policière à l’encontre des LGBT. Par la suite, la voix des homosexuels s’est faite entendre à diverses reprises, par exemple lors des manifestations de 1998 contre les violences déclenchées par des fondamentalistes hindous suite à la sortie du film Fire de la réalisatrice Deepa Mehta, qui met en scène l’homosexualité féminine (4).

Nithin Manayath estime d’ailleurs que « les groupes lesbiens en Inde ont joué un rôle plus radical et politique, car ils venaient des mouvements de femmes. […] C’est par les groupes de femmes et groupes lesbiens que le mouvement gay a rejoint le réseau plus large des mouvements sociaux. » (5)

Des marches ont aussi été organisées contre l’arrestation en juillet 2001, à Lucknow, de travailleurs sociaux de Bharosa et de la Fondation Naz, deux organisations travaillant avec les homosexuels notamment dans la prévention du sida. Les membres de ces organisations étaient accusés de promouvoir l’homosexualité en violation de la section 377 (6).

Mais le jugement tant attendu de la Haute Cour de Delhi est plus précisément le fruit d’un long combat juridique de 8 ans mené par cette même Fondation Naz, basée à Delhi, qui a déposé une action d’intérêt public (Public Interest Litigation, PIL) auprès de la Haute Cour de Delhi en 2001 en vue de la légalisation de l’homosexualité entre adultes consentants. Ce mouvement pour l’abrogation de la section 377 était aussi soutenu par d’autres organisations tels que le collectif d’avocats Lawyers Collective, lié à la Fondation Naz, ou Voices Against 377, coalition de LGBT et militants des droits de l’homme et de la femme.

Le processus judiciaire fut de longue haleine, la Haute Cour refusant d’abord de juger de la question, arguant que les organisations n’était pas habilitées à déposer un PIL. Mais la Cour Suprême ayant confirmé la validité du PIL, la Haute Cour a finalement été appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de la section 377.

Par ailleurs, le mouvement pour la dépénalisation de l’homosexualité a dû faire face aux réticences très fortes et au conservatisme du Gouvernement de l’Union indienne face auquel la Haute Cour de Delhi a su faire preuve d’indépendance et de progressisme. Dans sa défense de la section 377 devant la Haute Cour, le Gouvernement affirmait en effet que la décriminalisation de l’homosexualité “ouvrirait les vannes aux comportements délinquants », faisant allusion à la pédophilie, et que l’homosexualité était « un vice social » et le « reflet d’un esprit pervers ».

D’autres éléments ont joué en faveur de la décriminalisation de l’homosexualité, tels que les propos d’Anbumani Ramadoss, alors Ministre de la Santé de l’Union indienne, qui avait appelé en 2008 à la légalisation de l’homosexualité dans le cadre plus particulier de la lutte contre le sida (7).

En effet, la criminalisation de l’homosexualité rendait difficile voire impossible l’accès aux soins pour les homosexuels qui encouraient toujours le risque d’être dénoncés, harcelés ou emprisonnés. De leur côté, les médecins pouvaient être condamnés pour avoir traité un homosexuel et un travailleur social pouvait être arrêté pour avoir fait de la prévention auprès d’homosexuels. L’Inde est pourtant le pays à la plus forte population de personnes séropositives, avec une prévalence globale de 0,31 % et de 7,3 % parmi les gays. En 2008, le nombre de gay en Inde était estimé à 2,46 millions par le Ministre de la Santé (8) (et le nombre de lesbiennes et transgendres à plusieurs centaines de milliers) mais les chiffres réels sont sans doute plus élevés. Nul doute que la décriminalisation de l’homosexualité aura effectivement des conséquences importantes en matière de lutte contre le sida.

La bataille judiciaire n’est cependant pas terminée. La Cour Suprême doit encore se prononcer suite à l’appel interjeté contre la décision de la Haute Cour de Delhi par des organisations essentiellement religieuses (hindoues, musulmanes et chrétiennes). Et le combat continue quant à la demande d’abrogation de la section 377 qui seule constituerait une véritable reconnaissance des droits des homosexuels.

Quelques avancées symboliques dans l’acceptation de l’homosexualité en Inde

Le jugement de juillet 2009 est à l’image d’une frange de la société indienne : en mouvement et s’accommodant de plus en plus mal de lois conservatrices. C’est ainsi que les homosexuels osent de plus en plus investir l’espace public et revendiquer leur identité, une identité qui passe aussi largement par leurs préférences sexuelles et amoureuses. Les premières gay pride parades (marches de la fierté) ont été organisées en 2008 dans les grandes villes de Delhi, Bangalore, Chennai, Bhubhaneshwar, Kolkata et Mumbai. Même si elles restent plutôt le fait de classes sociales aisées et urbanisée (9), elles ont attiré plusieurs milliers de participants.

L’homosexualité est également un thème de plus en plus présent dans le cinéma indien. En avril 2010, s’ouvrait le premier Festival international du Film Queer de Mumbai, baptisé Kashish (« attraction », « charme » en hindi), consacré à l’homosexualité, en partenariat avec l’association gay Hamsafar, le magazine queer Bombay Dost et l’Alliance Française de Mumbai. Le film Dunno y… na jaane kyu, projeté en clôture du festival, a été réalisé après le jugement de 2009 et est le premier film « bollywood » à aborder directement la question de l’homosexualité dans la société indienne.

Plus récemment, le film I am (Afia, Megha, Abhimanyu, Omar) du réalisateur indépendant Onir, nettement plus apprécié des critiques pour sa qualité cinématographique, consacrait le dernier volet de ces quatre portraits à la mise en lumière des difficultés rencontrées par les homosexuels indiens pour vivre en toute liberté leurs relations amoureuses, placées comme elles l’étaient jusqu’à récemment sous la menace constante de la répression et de la violence policières.

Dans les médias indiens la parole s’est aussi libérée. A la suite du jugement de la Haute Cour de Delhi, les journaux ont multiplié les dossiers spéciaux sur l’homosexualité, mêlant analyses, récits, témoignages visant tous à dénoncer les discriminations, la violence, l’oppression et le harcèlement dont sont victimes les homosexuels en Inde.

Enfin, au niveau plus intime de la famille, l’acceptation par les parents de l’homosexualité de leurs enfants trouve aussi son expression publique. Face à l’appel interjeté contre le jugement de 2009 par des organisations religieuses, 19 parents d’homosexuels se sont regroupés pour défendre cette décision de justice et soutenir leurs enfants dans leur combat quotidien. Dans une pétition adressée à la Cour Suprême, ils réaffirment le droit de chacun de vivre son orientation sexuelle sans ostracisme social, moral ou religieux (10). Un témoignage émouvant concerne le jeune réalisateur Nishit Saran qui avait filmé en 1999 son « coming out » avec sa mère, laquelle exprimait alors son amour pour son fils et son soutien sans faille (11). Le jeune homme étant décédé accidentellement en 2004, sa mère Minna Saran continue ce combat en son nom.

Une lente évolution des mentalités

La révolution des mentalités indiennes dans le sens de l’égalité des droits pour l’ensemble des citoyens, dont l’acceptation de l’homosexualité n’est qu’un élément, est un long processus, qui n’en est qu’à ses débuts. La reconnaissance de leurs droits et la possibilité pour les homosexuels de porter plainte pour discrimination est sans conteste une avancée considérable et essentielle dont il faut se réjouir. Pour autant, elle ne saurait masquer les forces conservatrices et réactionnaires qui dominent dans la société indienne. L’appel interjeté contre le jugement de 2009 par divers groupes, religieux ou politiques, en est une manifestation criante.

Pour être véritablement effectives, les avancées au niveau des droits doivent s’accompagner d’une acceptation et d’une (r)évolution sociales, comme l’explique Arvind Narrain (12) :

« A un premier niveau, nous parlons de droits : le droit d’aimer les personnes de notre choix quelque soit le genre ou l’orientation sexuelle, le droit d’être libéré de toute violence, le droit de ne pas être l’objet de discrimination et, plus important, le droit à la vie elle-même. A un autre niveau plus fondamental nous parlons de la liberté de créer un monde différent, un monde qui ne serait pas gouverné par le cadre restrictif de l’hétérosexualité et de la patriarchie »

Les mentalités indiennes dominantes s’opposent à toute forme d’alliance qui pourrait mettre en question le statu quo d’une société fondée sur la famille patriarcale. Les unions homosexuelles, qui représentent un danger pour la lignée et l’héritage, sont aussi peu acceptées que les mariages inter-castes ou entre communautés religieuses différentes.

Il s’agit aussi de lutter contre une conception essentialiste, rigide et uniforme de la « culture indienne » qui, selon les conservateurs, condamnerait voire ne connaîtrait pas l’homosexualité, présentée comme une maladie importée de l’Occident :

« Les droits des personnes homosexuelles sont vus comme incarnant un discours occidental, et donc pas particulièrement pertinent dans le contexte d’un pays en développement. C’est du point de vue de la population des pays en développement qu’il faut répondre à la question de la “ pertinence ''. […] Ce qui est rigoureusement laissé de côté dans cette définition de la culture est la facette homosexuelle de la tradition (comme elle est décrite dans l’ouvrage récent de Ruth Vanita et Salim Kiwai, History of Same Sex Love in India) ainsi que les pratiques vivantes des communautés traditionnelles telles que les hijras, aux côtés des communautés modernes que sont les communautés gays/lesbiennes, bisexuelles et transgenres. » (12)

C’est dire aussi à quel point l’homosexualité est présente dans tous les milieux socio-économiques, et non pas au sein de la seule élite urbanisée et occidentalisée.

Le psychanalyste indien Sudhir Kakar et l’écrivaine Katharina Kakar attirent l’attention sur le fait qu’en Inde les relations sensuelles entre personnes de même sexe sont fréquentes, en raison notamment de l’interdit qui pèse sur les relations entre hommes et femmes avant le mariage. Mais elles ne sont alors ni vécues ni perçues comme de l’homosexualité. En revanche, affirmer que l’on a une préférence ou une attirance exclusive pour des personnes du même sexe est inacceptable dans la mesure où le couple y est d’abord le lieu de la procréation et de la fondation d’une famille. La relative tolérance à l’égard de pratiques homosexuelles « amoindrit [donc] d’une certaine manière le conflit autour du comportement homosexuel » mais « pour de nombreux homosexuels cela sert également à masquer leur orientation sexuelle. Cela leur ôte aussi la possibilité d’un aspect essentiel de connaissance de soi. » (13)

La vie et l’épanouissement individuel des personnes homosexuelles sont donc le plus souvent entravés par la pression sociale et familiale. Il ne leur est pas donné de vivre ouvertement et librement leur préférence amoureuse et nombreux sont ceux qui se marient pour éviter la stigmatisation, le reniement et l’ostracisme.

L’histoire de Leela et Urmila, deux jeunes femmes policières vivant dans une petite ville du Madhya Pradesh fait quelque peu figure d’exception. Elles parvinrent à se marier religieusement en 1988, le prêtre invoquant tout de même plutôt l’union de deux âmes que de deux corps. Mais, généralement, « pour les femmes qui aiment une autre femme, l’alarme est encore plus forte car, en tant que “femmes”, elles sont les dépositaires supposées de l’honneur et du déshonneur. Il n’est pas étonnant que nombre d’entre elles qui sont “découvertes” soit s’enfuient de leur maison soit se suicident pour échapper au traumatisme »  (14). Les exemples sont en effet nombreux de femmes désespérées de ne pouvoir vivre leur relation homosexuelle et préférant la mort au mariage forcé avec un homme (15).

Les discriminations au travail sont également un obstacle à une intégration socio-professionnelle harmonieuse, les homosexuels étant souvent harcelés ou licenciés après avoir fait part de leur homosexualité. Leela et Urmila n’y ont pas non plus échappé : elles ont été radiées des forces de police suite à leur mariage.

Le corps médical indien lui-même reste très conservateur et nombreux sont les médecins qui soit nient l’existence de l’homosexualité en Inde, soit la condamnent fermement, allant jusqu’à considérer le sida comme une juste punition (16). En face de leurs patients homosexuels, les médecins et counsellors (psychothérapeutes) proposent souvent une forme de thérapie comportementale incluant des chocs électriques, ou bien des traitements hormonaux ou psychiatriques. Il s’agit de faire d’un homosexuel un hétérosexuel, pratiques désastreuses bien évidemment vouées à l’échec, qui renforcent surtout le traumatisme et le sentiment de culpabilité de la personne venue chercher une aide afin de mieux vivre dans son corps et dans sa tête. (17)

Le combat continue…

Les propos tenus le 4 juillet 2011 par l’actuel Ministre de la Santé de l’Union indienne, Ghulam Nabi Azad, lors d’une conférence sur le sida à Delhi, rappellent que la bataille pour l’acceptation sociale de l’homosexualité en Inde est loin d’être gagnée. Il affirmait en effet que « les relations sexuelles entre hommes ne sont pas naturelles ».

Suscitant l’indignation en Inde et à l’étranger et largement relayées par les médias, ces « sorties » sont surtout destinées à rassurer les différentes communautés religieuses, largement opposés à la reconnaissance de l’homosexualité, et dont l’influence sur les électeurs détermine certaines prises de position de la classe politique indienne.

Scandé par des décisions de justice assurant généralement la protection des droits constitutionnels de l’individu, le combat entre les tendances conservatrices de la société indienne et ses mouvements progressistes se poursuit donc.

1 Nishit SARAN, « My sexuality is your business », in Indian Express, February 8, 2000
2 « Nous déclarons que l’article 377, dans la mesure où il criminalise les actes sexuels consensuels entre adultes en privé, constitue une violation de […] la Constitution »
3 Lire l’entretien dans Frontline, Vol. 26, Issue 15, July 18-31, 2009
4 Ce film a par ailleurs suscité une controverse chez les féministes qui y dénoncent une vision caricaturale de l’homosexualité féminine et une justification indirecte du patriarcat, l’homosexualité féminine n’y étant décrite que comme la conséquence de mariages ratés et de l’abandon sexuel des épouses par leurs maris respectifs.
5 Nithin MANAYATH, « Happy Together », in Tehelka, Vol 5, Issue 41, October 18, 2008
6 Patralekha CHATTERJEE, « AIDS in India: police powers and public health », in The Lancet, 11 March 2006
7 « Anbumani: legalise homosexuality », in The Hindu, September 3, 2008
8 « Ramadoss says India must recognise gays », in IBN India, Septembre 29, 2008
9Parvez SHARMA, « Gay pride only goes so far in India », in The Guardian, 30 December 2010.
10 Krishnadas RAJAGOPAL, « In defence of their gay children, 19 parents go to SC », in Indian Express, February 9, 2011
11 Nishit SARAN, Summer in my veins, 1999
12 Arvind NARRAIN, « Queer people and the law », in Seminar, n°524, April 2003
13 Sudhir KAKAR, Katharina KAKAR, The Indians. Portrait of a People, Penguin Books, 2007
14 Amrita NANDY-JOSHI, « Quilts of Love », in Tehelka, Vol 6, Issue 26, July 4, 2009
15 Somak GHOSHAL, « The Well of Loneliness », in The Telegraph, November 25, 2008
16 Refugee Review Tribunal, RRT Research Response, Australia, 2006
17 Vinay CHANDRAN, « Ain’t no Cure for Love », in India Together, 6 April 2006

Key words

sexuality, minority group, legislation


, India

Notes

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Source

Original text

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