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Méthodes d’enquête et de dénonciation des violations de droits de l’homme en Ouganda

Joan KAKWENZIRE

10 / 1994

Au cours des trente dernières années d’indépendance (1962-1992), les gouvernements qui se sont succédé en Ouganda ont désagrégé le tissu social et donné l’image d’un pays perpétuellement confronté à la violence et à l’effusion de sang. Ainsi, on évalue à quelque 800 000 personnes le nombre de disparus entre 1962 et 1986. En 1986, le gouvernement du Mouvement de Résistance Nationale (NRM) arriva à la tête de l’Etat après cinq années de guérilla d’usure, mettant fin à une période de troubles politiques marquée par des massacres généralisés, la destruction de biens, l’abus de pouvoir, le mépris des droits de l’homme et de la primauté du droit, en violation des dispositions de la Constitution ougandaise et de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dont l’Ouganda est signataire.

La société ougandaise exigea alors l’ouverture d’une enquête pour identifier les personnes qui avaient commis ces atrocités en vue de les punir. Une Commission d’enquête sur les violations des Droits de l’Homme (CIVHR), chargée de recenser les crimes commis dans le passé fut donc créée en 1986. Parallèlement, l’« Inspectorate of Government Business » (IGG) fut institué pour enquêter sur les crimes commis à partir de 1986.

La composition de la CIVHR

La Commission est dirigée par un juge de la Cour Suprême, aidé dans sa tâche par cinq membres de la Commission issus de différents milieux sociaux. Le secrétariat compte 26 personnes, la section juridique, 4 avocats avec à leur tête un Conseiller principal. Cette section oriente les enquêtes, établit le calendrier des audiences et apporte les preuves formelles à la Commission. La section d’investigation, composé de 22 personnes, est dirigée par un officier supérieur de police. C’est elle qui recueille les plaintes, en assure le suivi, enregistre les déclarations, identifie les témoins et établit les dossiers de procédure pour l’accusation. La Commission exerce ses fonctions sous la responsabilité du Ministère de la Justice et des Affaires constitutionnelles.

Procédures d’enquête

1) La publicité initiale: la prestation de serment des membres de la CIVHR fit l’objet d’un battage publicitaire et médiatique considérable, et la population fut encouragée à venir déposer plainte. Le décret-loi fondant juridiquement la CIVHR fut traduit dans toutes les langues locales et distribué par l’intermédiaire des Administrateurs de région et des Conseils de résistance des villages de manière à atteindre le maximum possible de citoyens ordinaires. La population était invitée à adresser ses plaintes au siège de la Commission à Kampala, ou auprès de l’administrateur de région en attendant la visite des enquêteurs.

Démarrées en décembre 1986, les auditions sont publiques et minutieusement conduites; elles occupent la une de tous les journaux locaux et nationaux et sont largement couvertes par les medias. La télévision nationale leur consacra un programme hebdomadaire qui valut une telle publicité à la Commission que presque personne en Ouganda ne pouvait prétendre en ignorer l’existence.

2) Enquêtes et auditions de témoins: avant de se rendre dans une région déterminée, un groupe d’enquêteurs était envoyé à l’avance sur place pour recenser les cas et identifier les témoins, recueillir les dépositions et échantillonner tous les types de violations des Droits de l’Homme. Il sélectionnait ensuite divers cas, à partir desquels la section juridique devait choisir les plus représentatifs qu’elle portait ensuite à l’attention de la Commission, le reste étant consigné dans les appendices en tant que dossiers non traités. Depuis son démarrage, la Commission a visité 33 régions de l’Ouganda. Mais à titre d’exemple, sur les 237 dossiers ouverts par la section d’enquête dans la région de Kamapala, seuls 45 cas ont été examinés.

Des preuves ont été également recueillies au moyen de questionnaires retournés par des centaine de témoins pour lesquels il est impossible de constituer un dossier. Ces informations ont été très utiles pour la rédaction du rapport final. L’ensemble du pays a été couvert, et l’échantillonnage des types de violations a été achevé.

3) Les personnes mises en cause: pendant toute la durée de l’enquête (6 ans), de nombreuses personnes ont été mises en cause pour violations des Droits de l’Homme, parmi lesquels des présidents, des ministres, des fonctionnaires de l’Etat, des membres de l’armée, de la police et de certains partis politiques. Certains étaient ouvertement accusés d’avoir tué, torturé et terrorisé en toute impunité. Mais malgré les crimes imputés, aucun compte ne leur a été demandé. Bien que cités par la Commission, certains d’entre eux occupent même des postes de responsabilité dans le gouvernement actuel, comme l’ancien ministre Moses Ali, impliqué dans l’assassinat de deux Somaliens en 1971.

Violations actuelles des droits de l’Homme

Le Bureau de l’Inspecteur général du gouvernement reste submergé par les plaintes qui affluent quotidiennement concernant les violations des droits de l’Homme et la corruption, mais seuls quelques cas sont traités. Pour alléger sa charge de travail, l’IGG s’est dessaisi d’une partie des cas dont il a délégué le traitement à d’autres commissions d’enquête ad hoc, dont le Comité de vérification des comptes publics. Une fois de plus, leurs conclusions n’ont donné aucune suite. Ces enquêtes concernaient principalement des cas mettant en cause l’armée ou des hauts fonctionnaires de l’Etat, suspectés d’opérations financières douteuses. A ce jour, leurs rapports, sauf un, ont été ignorés par le gouvernement.

Conclusion

Le gouvernement ougandais (NRM) est confronté à un sérieux dilemme : d’une part, il est soucieux de réhabiliter les victimes et de punir les auteurs des violations des droits de l’Homme qui ont été le lot politique de l’Ouganda depuis les années 1960, d’où la mise en place de différentes institutions d’enquête sur les crimes commis; d’autre part, il souhaite élargir sa base politique, ce qui implique des alliances avec des responsables qui auraient normalement dû être poursuivis et jugés. Certains ont reproché au gouvernement de ne pas tant s’intéresser à établir la justice qu’à assurer sa propre survie; d’autres ont expliqué que le NRM cherchait à concilier la nécessité immédiate de punir les criminels et l’objectif à long terme de réaliser la paix et l’unité nationale. Dans la pratique, le gouvernement est avant tout réaliste: il sait que plus il poursuivra de gens pour leurs infractions, plus ceux-ci se sentiront acculés à déclarer la guerre contre le régime.

Key words

transition from war to peace, peace and justice, human right abuses, rehabilitation of victims, legal action, state and army, State and civil society


, Uganda

file

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Notes

Fiche tirée d’une intervention orale et écrite de Joan Kakwenzire, historien, membre de la Commission ougandaise des droits de l’homme.(Colloque, Genève 1992)

Texte utilisé à l’occasion du Séminaire sur la reconstruction du Rwanda, Kigali, 22-28 octobre 1994.

Source

Colloquium, conference, seminar,… report

KAKWENZIRE,Joan, Commission internationale de Juristes, « Non à l’impunité, oui à la justice » : rencontres internationales sur l’impunité des auteurs de violations graves des droits de l’homme, 1992

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