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En Sierra Leone, un exemple de réadaptation et de réintégration des enfants soldats

Valérie GERBAUD, Margaret MC CALLIN

10 / 1994

Le projet Caw (Children Associated with the War)est une expérience sans précédent de réponses aux problèmes posés par la démobilisation d’enfants-soldats. Son objectif, leur retour à la vie civile, est organisé en deux temps:

a) un suivi individuel des enfants-soldats, comprenant également une période d’assistance médicale et de soutien psychologique

b) la réinsertion, qui s’appuie sur un programme d’aide à leur communauté d’origine une fois celle-ci retrouvée, consistant à l’associer à l’amélioration de ses conditions de vie. Ce soutien, adapté à la réalité sociale, économique et culturelle de la Sierra Leone, rend moins difficile l’accueil et la réintégration des enfants déplacés et enrôlés dans la guerre, dans un contexte par ailleurs toujours marqué par la violence.

En mars 1991 une attaque lancée du Libéria par le Front Uni révolutionnaire plonge le pays dans la guerre civile. En avril 1992, à la suite d’un coup d’Etat militaire, un conseil gouvernemental national provisoire prend le pouvoir. Mais les combats, qui persistent dans les provinces Sud et Est, continuent à faire de nombreuses victimes parmi les enfants. Certains d’entre eux sont même enrôlés - la plupart du temps de force - dans la guérilla ou dans l’armée. Cette dernière recense en 1993 plus de 1000 jeunes de moins de 15 ans dans ses rangs. Le 31 mai 1993, le nouveau gouvernement s’engage cependant à appliquer la convention des Nations-Unies pour les droits de l’enfant, ratifiée par la Sierra Leone en 1991. Par conséquent, l’armée démobilise dès le mois de juin 370 mineurs âgés de 8 à 17 ans dont dix filles. Ceux-ci seront les premiers bénéficiaires du projet Caw.

Il est élaboré dans l’urgence et sans modèle de référence, mais vivra grâce à de nombreux soutiens : l’armée, l’administration de la santé et des services sociaux, mais également l’aide financière et « logistique » des équipes locales de la mission catholique et de l’UNICEF, ainsi que de plusieurs institutions humanitaires ou encore de la CEE.

Des équipes de volontaires, pour la plupart sierra-leonais, se réunissent alors pour élaborer un programme et former des groupes de travail qui devront encadrer les enfants. Leur rôle est de répondre aux attentes des enfants et non de considérer qu’ils ont une « maladie » à « guérir », même si la plupart sont traumatisés. Les enfants, parfois encore vêtus de leur uniforme et sous l’effet de drogues, doivent passer six mois dans un des trois centres aménagés pour les recevoir, où ils reprendront contact avec la vie civile.

Les aider à sortir du traumatisme est la première priorité : chaque enfant provient d’un milieu particulier et a vécu « sa » propre guerre. Certains ont été recrutés alors qu’ils vivaient dans la rue après avoir été séparés de leur famille.

D’autres se sont engagés afin de trouver une protection ou un moyen de vengeance après des violences subies par leurs proches. Ils peuvent avoir assisté à l’assassinat de leurs propres parents, avoir tué quelqu’un ou participé à des actes de violence. Il s’agit, par une attitude d’écoute et de présence auprès des enfants, de percevoir leurs traumatismes à travers leurs discours et leur comportement et de reconstruire un rapport de sécurité et de confiance équivalent à celui qui peut exister au sein d’une famille.

Durant cette période, l’enfant sera dans un cadre aussi peu institutionnel et disciplinaire que possible : il suivra des cours, apprendra un métier, fera du sport ou simplement réapprendra à jouer.

Cette phase, la première, est en quelque sorte celle de la reconstruction psychologique des enfants. L’équipe de « tuteurs » qui les entoure doit se montrer particulièrement attentive à ce qui permettra aux enfants de surmonter les traumatismes :

1. rétablir la confiance : ils ont perdu confiance en leurs parents, en leurs amis, en l’autorité gouvernementale. Ils ne se sentent pas en sécurité. Il faut donc s’intéresser à eux tels qu’ils sont, leur faire confiance et être un modèle d’honnêteté et de sincérité pour eux.

2. rétablir l’« estime de soi » : la perte de leur famille ou le sentiment d’être exclu de toute communauté, les actes violents qu’ils ont pu commettre, tout les pousse à ne plus avoir aucune considération pour eux-mêmes. Panser ce type de blessures, c’est les traiter avec affection et respect, leur prouver qu’ils ont eux aussi une dignité.

3. maîtriser son agressivité: le contrôle des pulsions agressives est attendu tant des enfants ayant subi des agressions que de ceux qui ont été forcés d’agir violemment. Le but est de rendre l’enfant capable de réprimer un geste parce qu’il se rendra compte que ce comportement peut faire du mal à autrui. Il faut le resocialiser en lui faisant comprendre que certaines valeurs sont nécessaires pour vivre avec les autres.

4. rétablir son identité: beaucoup d’enfants ne se définissent d’abord que comme « soldats », tout en exprimant le besoin de se former une nouvelle identité. Les enfants d’un des foyers ont ainsi choisi de s’appeler « citoyens », terme qui a également eu un effet de régulation de la violence. Leurs « tuteurs » les ont encouragés à se reconstruire en les écoutant parler d’eux, de leur passé avant l’armée et bien sûr de leur avenir.

5. la reconnaissance de leurs qualités et de leurs potentialités: il est nécessaire de ne pas uniquement insister sur ce qui fait leur différence en terme de traumatisme ou de déviance, mais également de reconnaître leurs qualités, comme le sens de l’initiative ou de la responsabilité, leur capacité à témoigner de l’affection, etc…

6. le rétablissement de l’attachement à autrui: il s’agit de donner à l’enfant la possibilité de recréer des liens affectifs, avec un adulte ou d’autres enfants.

Une fois qu’ils ont retrouvé leurs parents ou leur famille commence pour les enfants un cycle de trois ans durant lesquels la communauté recevra une aide visant à faciliter l’accueil de l’enfant. La famille peut également avoir subi des traumatismes ou se trouver dans une situation économique précaire. L’assistance peut donc consister en un soutien moral ou financier, comme le paiement provisoire des frais d’école ou de médecin. L’initiative des familles peut également être encouragée, comme ce fut le cas dans une communauté où 20 garçons ont été accueillis, et où les mères ont formé une association et reçu un prêt pour créer une entreprise de fabrication de savon.

Le projet est encore en cours concernant ces 370 premiers enfants, et un second groupe doit bientôt être pris en charge. On constate que 20 % des jeunes du premier groupe, parmi les plus âgés, sont retournés dans l’armée pendant leur première année de retour à la vie civile. Pour les autres, le retour à la vie normale semble se dérouler dans des conditions inespérées compte tenu de ce qu’ils ont vécu. Les observateurs ne s’y trompent pas puisqu’un programme inspiré du projet Caw va être mis en place en Afrique du Sud pour faire face aux traumatismes vécus par des enfants qui depuis leur naissance n’ont connu que la violence de l’apartheid.

Key words

child soldier, fighters reintegration, rights of children, psychic traumatism, transition from war to peace


, Sierra Leone

file

Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie

Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix

Notes

Fiche rédigée à partir d’un rapport de Margaret Mc Callin, directrice du programme « Besoins pychosociaux des enfants réfugiés » au BICE (Bureau International Catholique de l’Enfance).

« Rwanda : reconstruire », Kigali, 22-28 octobre 1994.

Source

Report

MC CALLIN, Margaret, BICE

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