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L’émergence d’un leader-paysan au Sénégal et quelques-uns de ses problèmes

Bernard LECOMTE, Brigitte REY

11 / 1996

Demba Keita, coordinateur des programmes de l’APRAN (Association pour la Promotion Rurale de l’Arrondissement de Nyassia)et président de la Commission Formation de la FONGS (Fédération des ONG Sénégalaises).

1. Son parcours

"J’ai été à l’école jusqu’à la troisième. Puis j’ai dû arrêter. Je suis parti à Dakar. Mais là, je n’ai rien trouvé comme travail. Après deux ans, je suis rentré au village. Ma mère m’a fait rentrer dans le groupement. Elle en était la présidente.

1984 : Les membres du groupement m’ont appris des choses techniques; c’est à dire comment le maraîchage se faisait parce que je les ai trouvés en train de développer ces activités-là. J’ai appris par la cohabitation : comment eux, au niveau local, s’organisaient pour que tout le monde ait la même vision, les mêmes objectifs et qu’ils puissent s’accorder sur des choses qui intéressent tout le monde. A l’école, on ne t’apprend pas cela, mais au niveau du village, les gens sont toujours ensemble. Ce sont ces expériences-là que j’ai tirées du fonctionnement du groupement à la base.

1986 : A partir de là, j’ai commencé à suivre des sessions de formation. C’était au moment où l’ONG 6S mettait des moyens souples au niveau des unions, ce qui a permis à l’union d’organiser plusieurs sessions en gestion, animation, organisation. Puis, j’ai assumé des responsabilités au niveau de l’union ce qui m’a permis de suivre des formations organisées par l’AJAC (Association des Jeunes Agriculteurs de Casamance)dont l’APRAN fait partie et surtout par la FONGS au niveau de Thiès, des sessions en planification et en autoévaluation. Ce sont ces premières sessions qui m’ont permis de voir un peu clair sur ce qu’est une organisation et comment cela fonctionne. Je suis devenu secrétaire général du groupement, donc je participais aux réunions, je tenais les procès-verbaux, j’enregistrais les cotisations, je participais aux séminaires pour le groupement, aux travaux champêtres aussi et dans les blocs maraîchers. J’étais là, avec tout le monde, je participais comme tout le monde aux travaux.

1989 : J’ai été choisi par l’union APRAN pour être au conseil. Là je me suis occupé de la coordination des activités. Plus tard, j’ai été élu à la Commission Formation de la FONGS.

1994 : La FONGS me désigne comme membre de la coordination régionale de Ziguinchor.

1995 : Je dois laisser cette fonction car je suis élu comme président de la Commission Formation de la FONGS, mais je reste coordinateur des activités de l’APRAN, en particulier pour la coopération avec notre partenaire Pain pour le Monde.

2. Ses difficultés

Ma mère est toujours présidente du groupement de Mahamoude. Le groupement a permis mon introduction dans l’AJAC. Les responsabilités, le pouvoir que j’ai actuellement, c’est à partir de ce groupement-là. Mais je ne fais pas beaucoup, actuellement, pour lui.

Les gens du groupement ne font pas la relation entre ce que je fais au niveau de l’union et les retombées qu’ils pourraient avoir au niveau du groupement. Cela les pousse à ne pas s’occuper totalement de mon exploitation. Si je veux qu’ils participent ou qu’ils m’appuient dans mes travaux, il faut qu’au moins je fasse quelque chose. Par exemple que je paye les plantations de ce groupement pour qu’ils viennent faire mes travaux. Les gens pensent : "tu es riche, donc tu as les moyens". Des fois, même si tu soumets tes problèmes au groupement, tu as des problèmes. Tu ne peux même pas trouver des sous, tu ne peux pas emprunter quelque chose et que le gens te le passent.

Ils disent des responsables : "ce sont des gens riches, qui ne sont jamais là". Il y a un fossé entre les responsables et les groupements. Ils disent aussi : "il est parti négocier des choses pour l’union, mais on ne voit pas le résultat". Pourtant, si je prends le cas de notre programme triennal : sur les 109 millions, 85 vont dans les groupements, y compris le mien. Mais les gens ne sont pas tellement bien informés. Tout ce que tu leur dis, ils n’y croient pas. Ils pensent que tu es là pour les flatter ou les caresser. C’est difficile. Il faut savoir qu’on a affaire à des gens qui sont des mamans ou des papas : ils pensent que, nous, les jeunes, faisons toujours "les plus grands malins".

Avec ma propre famille, la difficulté est que, souvent ils ont besoin de me voir mais je ne suis pas là pour régler des problèmes immédiats. Tu es sollicité à gauche et à droite. S’ils sont malades, ils sont obligés d’aller taper à d’autres portes pour se faire soigner. Si il y a un problème de nourriture, ils sont obligés d’aller voir des parents à côté. Cela crée des problèmes de vie sociale. Parfois, ils ne sont pas prêts à aller quémander à gauche et à droite en attendant que je revienne".

Key words

countryman farming, leader, NGO, agricultural popularization, countrymen’s organization, self teaching


, Senegal, Nyassia, Ziguinchor

Comments

Un témoignage net et clair : un laissé-pour-compte de la scolarisation au niveau secondaire tente sa chance en ville, échoue et au milieu des années 80 revient travailler au village. A partir de ses divers rôles au niveau du groupement, de l’Union, de l’association et de la fédération nationale, il acquiert expérience, savoir et pouvoir. Mais ses responsabilités et ses éloignements fréquents créent un fossé entre lui et les villageois et soulèvent des problèmes dans sa famille.

Notes

Interview de Demba Keita par Bernard Lecomte, Bonneville, mars 1996

Entretien avec KEITA, Demba

Source

Interview

GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement) - 228 rue du Manet, 74130 Bonneville, FRANCE - Tel 33(0)4 50 97 08 85 - Fax 33(0) 450 25 69 81 - France - www.grad-france.org - grad.fr (@) grad-france.org

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