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Société civile et libéralisation politique à Taïwan

Où il apparaît que des marges de liberté, aussi réduites soient-elles dans une société, offrent une ouverture politique importante pour le progrès vers des libertés politiques beaucoup plus larges

Pierre JUDET

09 / 1996

C’est en 1989, à l’époque de Tian An Men, que les étudiants taïwanais ont réussi à pousser le Kuomintang à accepter d’organiser une Conférence Nationale afin de discuter de la mise en oeuvre des réformes politiques.

L’apparition d’une société civile est en effet un des traits dominants de l’évolution de Taïwan au cours de la dernière décennie.

Il faut se rappeler que la loi martiale qui régnait depuis 1948 avait privé les Taïwanais de tous leurs droits politiques. Aucune élection générale ne fut organisée entre 1947 et 1991. Le gouvernement du Kuomintang exerçait, d’autre part, un contrôle étroit sur l’économie et sur les affaires. Jusqu’au milieu des années 1980, la presse et les médias étaient entre les mains des autorités du KMT, omniprésentes dans toutes les associations et organisations. Il s’agissait en fait d’un régime léniniste ou quasi-léniniste. Toutefois, le contrôle social exercé par le KMT était moins strict que sur le continent. La liberté politique elle-même n’était pas totalement absente. Certaines organisations de masse, telles que l’Association des Agriculteurs ou quelques associations liées aux affaires (industrie)ont contribué à introduire un élément d’autonomie dans le processus politique.

L’Eglise presbytérienne a joué de son côté un rôle actif grâce à l’autonomie qu’elle a pu préserver : elle a participé au mouvement d’opposition à la fin des années 1970.

Ainsi, l’existence d’un certain nombre d’organisations autonomes, tolérées par le pouvoir, ont ouvert une brèche qui a permis aux individus de s’organiser et de faire pression pour une plus grande libéralisation, d’autant plus que le développement d’une économie capitaliste a provoqué des évolutions socio-économiques rapides aboutissant à une certaine déstabilisation du régime KMT.

Les mouvements d’opposition ont gagné progressivement en nombre et en force à partir de 1980. En 1987, on a compté plus de 1800 démonstrations de masse. Ce soulèvement était porté par la prolifération de groupes sociaux et d’organisations autonomes : associations d’agriculteurs, associations professionnelles, syndicats, organisations estudiantines ou écologistes, comités de résidents et de consommateurs. En 1987, 11 300 associations civiques enregistrées groupaient 1 300 000 membres (sur 20 000 000 d’habitants)sans compter un grand nombre d’associations récemment créées et pas encore enregistrées.

C’est sur la base de ce vaste mouvement que fut créé en 1986 le premier parti d’opposition : le Parti Démocratique Progressiste (DPP). Depuis lors, plus de 40 partis ont été créés. C’est finalement en 1989 que fut officiellement reconnu le Droit d’Association et que 16 partis politiques purent participer aux élections de 1989. Dans le même temps, le KMT relâcha son contrôle sur la presse où les titres se multiplièrent.

Les changements socio-économiques rapides ont créé un terrain fertile pour la croissance de la société civile. L’expansion des entreprises privées a rendu de plus en plus difficile le maintien d’un rôle dominant de l’Etat dans sa sphère économique. Les mouvements sociaux ont engendré à leur tour l’émergence d’une conscience publique (politique)critique.

L’ouverture fut favorisée par la succession difficile de Chiang Kai-Chek (1975)et, plus encore, de son fils Chiang Ching-Kuo (1988)qui a affaibli le pouvoir et a ouvert des failles dans le contrôle ainsi que des possibilités élargies à "ceux du dehors".

Une caractéristique originale de la société civile qui émerge à Taïwan est sa revendication croissante en faveur de la transformation des relations entre l’Etat et la Société. Très souvent, l’Etat est devenu l’objectif ultime des mouvements sociaux qui avaient démarré à partir d’une préoccupation locale et très individualisée autour d’un problème. Mais lorsque les gens s’apercevaient que l’Etat, non content d’ignorer leurs demandes, utilisait la loi pour harceler leur mouvement, alors les objectifs poursuivis se transformaient en revendication en faveur de la réforme politique. Il en est résulté une rapide politisation de la société civile, d’autant plus que se développait une interpénétration entre mouvements sociaux et mouvements politiques, ces derniers fournissant animateurs et ressources aux mouvements sociaux.

A mesure que des mouvements sociaux continuent à se créer et que les organisations civiques se consolident et s’institutionnalisent, la société civile devient plus diverse et plus complexe. D’une part, de nombreuses organisations civiques ont fusionné pour former des Unions au niveau national, mais, d’autre part, la prise de conscience de l’existence de conflits internes et de différences idéologiques ont conduit à des scissions.

Le KMT, touché par la crise, a accepté cette ouverture. Le Président actuel Lee Teng-Hui a abrogé en 1991 la loi martiale et il a organisé à la fin de la même année la première réélection générale de l’Assemblée Nationale. Cela ne signifie pas que le KMT ait abandonné tout contrôle. Mais, c’est un fait, il n’a pas choisi la même voie que le régime de Pékin. La décision de libéraliser le système politique afin de tenir compte de l’émergence des forces sociales suppose que le KMT comprend la nécessité de se transformer afin de demeurer compétitif sur le long terme. Cette transformation nécessaire est aujourd’hui en cours.

En conclusion, il apparaît que des marges de liberté, aussi réduites soient-elles dans une société, offrent une ouverture politique importante pour le progrès vers des libertés politiques beaucoup plus larges. Une fois qu’une telle ouverture politique se réalise, le processus global de libéralisation politique ainsi que l’émergence de la société civile bénéficient des actions réciproques découlant du jeu des différents acteurs.

Même si ces développements positifs ne permettent pas de conclure qu’une véritable démocratie est acquise, le fait est qu’un progrès politique est en cours sur la base d’un compromis entre des citoyens de plus en plus organisés et le parti dominant KMT.

Key words

world wide extension, State, State and civil society, State reform, civil society, popular mobilization, religion and society, popular organization, trade union, political transition, democratization process, economic development


, Asia, Taiwan

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Les événements qui se sont déroulés depuis la parution de cet article confirment l’ouverture démocratique.

Source

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TAK WING Ngo in. Bulletin of Asian Scholars, 1993 (Taiwan), Vol 25 n°1

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