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Nora, Fatima, Fatia et les autres ou l’histoire d’un atelier de couture animé par des jeunes filles issues de l’immigration maghrébine

Cécile LACHERET

10 / 1993

Monmousseau est un quartier difficile de la ZUP (zone d’urbanisation prioritaire)des Minguettes, à Lyon, où de violents affrontements entre jeunes et police ont eu lieu l’été 1981. "Les Monmousseau" sont identifiés comme une population à problèmes, délinquante... dangereuse. "Dans ce quartier, explique Hafida, c’est dur pour tous, mais encore plus pour les filles : le poids des traditions y est plus fort que partout ailleurs aux Minguettes". Dans ce contexte, l’expérience menée par cinq jeunes filles issues de l’immigration maghrébine est intéressante.

Au cours de l’année 1985, ces cinq jeunes chômeuses se retrouvent une fois par semaine à une activité de couture organisée par le centre social. Elles y acquièrent une technique, mais, surtout, elles y cherchent et y trouvent une espace de "respiration", de liberté -relative-, un accès à un espace public justifié et autorisé par la famille.

Au fil des mois, ce petit groupe se distingue des autres participantes par leur attitude : "On a l’impression qu’elles ne viennent pas pour apprendre la couture", dit la conseillère en économie sociale responsable de l’activité. Leur attitude ne cache-t-elle pas des besoins non perceptibles par les travailleurs sociaux ? Leur demande sous-jacente va finalement être prise en considération. Une rencontre avec des professionnels du centre social laisse transparaître leur énorme besoin "d’air", de loisirs, de sorties hors de leur espace familial et de l’espace du quartier. Par la suite, leur demande se précise : vacances-couture-vacances. Elles font alors une proposition : produire des vêtements, organiser un défilé, vendre les "sapes" et, avec l’argent, se payer des vacances. Les professionnels du centre social, d’abord surpris, donnent leur accord. Le défilé est programmé dans un délai de cinq mois.

Avec l’aide de la conseillère en économie sociale, elles montent le projet, établissent un budget prévisionnel, prennent des contacts, demandent une subvention au FAS (Fonds d’action sociale), envoient une lettre aux grossistes en tissus de la région pour obtenir des chutes de tissus, les réponses sont nombreuses, certains donnent même des rouleaux entiers. Elles travaillent tous les jours dans une salle prêtée par le centre social.

Le soir du défilé, parents, frères, responsables de l’Education nationale, représentants du FAS, élus locaux... sont là. Elles vendent toute leur production et... partent passer une semaine au bord de la mer dans un camping.

Après l’été, elles retrouvent leur quartier, le chômage... Alors surgit une nouvelle idée : créer un véritable atelier de production. "Nous, des jeunes des Minguettes, créer notre propre entreprise, n’est-ce pas un rêve ?" Ce projet d’atelier-couture en grandeur réelle n’entre pas dans la compétence du centre social. La conseillère en économie sociale fait appel à un agent de développement économique de la Mission locale pour l’emploi des jeunes. Les jeunes filles établissent un budget prévisionnel : elles voient grand (nombre important de machines, machine à écrire, magnétophone pour la musique..., voiture pour faire les courses).L’agent va devoir les ramener à la réalité économique. Il leur conseille de sortir de la couture traditionnelle pour faire de la création et de s’adjoindre des stylistes.Elles les trouvent, établissent un réglement intérieur. La structure juridique est créée sous forme d’association loi 1901 sans but lucratif et les jeunes filles auront un statut de TUC (travail d’utilité collective)tout en travaillant à temps plein. Dans le même temps, elles réalisent plusieurs collections, participent à de nombreux défilés. La presse s’intéresse à leur expérience. Elles iront présenter leur atelier jusque devant un ministre. Elles accèdent véritablement à l’espace public et même à la scène médiatique. Leur chiffre d’affaires est correct.

Au retour de nouvelles vacances sur la Côte, la question de l’avenir de l’atelier se pose, leur statut de TUC se termine et l’appui de l’agent de développement économique se réduit de plus en plus. Elles décident alors de constituer leur propre association dont elles seront les seuls membres. Une nouvelle aventure commence : elles sont complètement et seules responsables de l’atelier pour la production, la commercialisation, les tâches administratives. "Avant on était en simulation d’entreprise, on dépendait d’une association, de la Mission locale. On a juste changé le nom de l’association, on a gardé les mêmes statuts et on s’est mises membres du conseil d’administration". Ce processus s’accompagne d’un désengagement important des partenaires institutionnels présents jusque là pour l’encadrement, tandis qu’elles affirment leur volonté de gérer leur entreprise à leur manière et selon leur logique : il s’agit pour elles de créer, non pas un espace de production, mais un espace de liberté. La physionomie de l’atelier change, elles développent une stratégie de survie et l’objectif de production vise seulement à couvrir les frais sans chercher à dégager des salaires. On a alors l’impression que l’autonomie ne s’accompagne pas d’un regain d’activité, mais plutôt d’une certaine destructuration. Cependant, elles n’ont qu’une idée : poursuivre. Elles sont conscientes de vivre une expérience très enrichissante. "On a acquis une expérience, si on se retrouve au chômage, que l’on veut refaire quelque chose, on saura comment faire".

Key words

social exclusion, unemployment, social insertion, urban environment, company creation, young person, tradition, adaptation process, communication


, France, Lyon

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Cette étude constitue l’un des trois volets d’une réflexion sur les situations de communication souvent difficiles entre des jeunes d’origine étrangère et des agents administratifs.

Source

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PAVOUX, Pascal in. HOMMES MIGRATIONS, 1989/03, N°1120

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