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Avoir 20 ans à Dar Es-Salaam

Récits et photographies sur la jeunesse tanzanienne

Pierre Yves GUIHENEUF

01 / 2002

Inconnue du reste du monde, Dar semble concentrer l’attention des jeunes de toute la Tanzanie, qui ne pensent qu’on ne peut réussir que dans la capitale économique du pays. Ce pays est l’un des plus pauvres du monde : la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Environ 80 % des Tanzaniens subsistent grâce à l’agriculture, mais l’exode rural amène continuellement de nouveaux arrivants dans la plus grande ville du pays, qui compte quelques trois millions d’habitants. Autrefois, la réussite dans ce grand port de l’Océan indien passait par l’école, mais aujourd’hui, avec les frais d’inscription, l’obligation de posséder des garanties financières pour obtenir des prêts publics et la nécessité de suivre des cours du soir pour avoir une chance de réussir aux examens, la discrimination est flagrante. Les jeunes d’origine modeste préfèrent chercher des petits boulots : commerce de détail, revente de fripes, recherche de passagers pour les minibus... Chaque année, un million de jeunes, pour la plupart peu qualifiés, se bousculent pour se partager des emplois précaires ou pour tenter de créer une affaire. Les projets ne manquent pas et nombreux sont les débrouillards qui font de Dar Es-Salaam une cité active. La ville crie, klaxonne, s’agite dans la chaleur africaine. Le libéralisme fait croire que chacun a sa chance.

Pour ceux qui n’ont plus que la rue, le territoire de toutes les libertés impose des lois violentes. Pris en flagrant délit de vol, nombreux sont ceux qui sont tués par la foule en colère. De plus en plus nombreux, filles et garçons trouvent dans la prostitution un complément de revenu ou des ressources, certes maigres mais nécessaire à la survie de leur famille. Par milliers, cachés par leurs proches, ils meurent chaque année du sida : 8 % de la population est séropositive. Sida et sexualité restent des sujets tabous dans la société tanzanienne et le silence fait le lit de la maladie.

Le culturisme est l’activité à la mode chez les jeunes de Dar : il les conforte dans leur représentation du sexe fort de la société. Les concours se multiplient mais il y a peu d’élus et la gloire est éphémère. Les jeunes culturistes peuvent alors en agents de sécurité dans les agences de gardiennage. Par le même mouvement qui encourage les garçons à s’exposer sur les podiums, les jeunes filles se livrent à des compétitions acharnées pour décrocher un titre ou devenir mannequin.

Chrétiens et musulmans se partagent à part égale, devant les animistes. Les églises et les mosquées sont des lieux sacrés et respectés, mais à vingt ans, on s’y rend surtout par obligation sociale ou familiale. Les deuils et la mariages constituent des événements phares de la pratique religieuse. La mort réunit la famille et ses proches pour une veillée funèbre de plusieurs jours. Quant au mariage, il reste le grand projet des jeunes et de leurs familles. Les cérémonies chrétiennes et musulmanes ne diffèrent guère, l’enjeu étant de faire l’étalage du maximum de dépenses somptuaires et de laisser aux nombreux invités un souvenir inoubliable. Pour cela, un comité composé d’amis et de proches s’affaire pendant les mois qui précèdent la cérémonie, récoltant des fonds auprès des futurs invités.

Même dans les milieux aisés, les mariages sont une occasion de disperser un argent abondant. Avec les deuils, les obligations d’assistance à la famille, l’éducation des plus jeunes et - il faut l’avouer - quelques dépenses ostentatoires comme le téléphone portable, la redistribution reste la règle et l’accumulation est difficile.

Pour ceux qui brûlent d’exprimer leur révolte ou leurs rêves, le rap offre un exutoire fréquent. Copiant les modes vestimentaires des Afro-américains, les rappeurs chantent de plus en plus souvent en swahili - la principale langue du pays - et perpétuent la longue tradition d’une culture musicale et poétique. D’autres refont le monde avec de la couleur et des pinceaux : l’art populaire est vivant et diversifié à Dar Es-Salaam. D’autres encore s’expriment dans la presse écrite ou radiodiffusée. Les médias dénoncent avec véhémence les travers d’un régime qui se définit comme social-démocrate et a mis en ouvre une politique libérale. La plupart des jeunes, cependant, délaissent la politique. Le débat est surtout dans les organisations non-gouvernementales et les associations, où les jeunes développent une réflexion sur les thèmes qui les touchent de plus près : chômage et sida.

Key words

young person, city, AIDS, music, urban exclusion


, Tanzania, Dar es Salaam

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Jeunesse et exclusion

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La présentation initiale, de la plume de deux Tanzaniens, Kashinde Mlenzi et Finnigan Wa Simbeye, ouvre ce livre qui présente une série de photographies en noir en blanc de Frédéric Noy. Un rappeur en répétition chez lui, bras agités et cherchant l’inspiration au plafond, deux hommes transpirant sous les haltères, une jeune fille en robe chic, isolée dans une salle aux murs nus, qui attend les résultats d’un concours de beauté... Espoirs d’une jeunesse urbaine d’Afrique. Des jeunes qui s’amusent, d’autres qui lavent le pare-brise des voitures. Des jeunes qui travaillent, d’autres qui chantent. Des jeunes dans un dispensaire, l’anxiété dans les yeux face à la prise de sang. D’autres couchés ou assis sur le bord d’un lit, les joues creuses et l’espoir envolé.

Source

Book

MLEZI Kashinde, WA SIMBEYE Finnigan, NOY Frédéric, Avoir 20 ans à Dar Es-Salaam, C.L. Mayer, Alternatives, 2001 (France), 94 p.

GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - France - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr

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