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L’institution des jardins familiaux collectifs en Russie

Louiza M. BOUKHARAEVA, Marcel MARLOIE

03 / 2003

En Russie, environ les trois quarts des urbains partagent leur vie entre l’appartement, le lieu de travail, et le jardin avec sa datcha. D’avril à septembre, des millions de citadins vivent au jardin, les uns à temps plein, d’autres les fins de semaines.

Il faut distinguer les jardins privés, réservés à l’époque soviétique aux gens de pouvoir et aux artistes, et l’institution des jardins collectifs urbains. Décidée à l’époque stalinienne sous la pression des famines, cette institution n’a pas cessé de se développer. A Kazan où nous travaillons, une association des jardins collectifs récemment créée indique que les 220 jardins collectifs de cette ville comptent au total 120 000 parcelles. A raison de cinq personnes par famille, cela nous donne 600 000 personnes soit 60 pour mille du million d’habitants de cette ville.

L’avenir de cette institution pose questions. Les autorités n’y prêtent pas grand intérêt. Les entreprises qui les entretenaient n’en ont plus les moyens. La privatisation se traduit par l’abandon des règles d’égalité qui prévalaient quant à la surface des parcelles et à la taille des datchas. Le prix de la terre augmente. L’insécurité croît. Beaucoup de ces jardins sont atteints par diverses pollutions. Il s’ensuit la croissance d’un sentiment d’insécurité, de plus grande vulnérabilité. Une partie du futur équilibre de la vie des Russes se joue donc dans ces jardins collectifs, ce qui mérite l’intérêt que nous pouvons leur porter.

Une institution " démocratique  »

Depuis la Seconde Guerre mondiale, la plupart des entreprises ou institutions ont cherché à créer un jardin collectif pour leurs ouvriers ou employés. Le terrain accordé par les autorités était divisé en parcelles auxquelles étaient apportées l’eau courante et l’électricité. Une association était systématiquement créée pour veiller au bon fonctionnement et à la sécurité, et recueillir les cotisations contribuant à la maintenance des services communs. Elle peut disposer à l’entrée du jardin d’une maison pour les services collectifs. Un panneau rappelle le règlement et fournit les informations. Des assemblées générales élisent un bureau et un président. Il est assisté d’un ou d’une comptable.

La fonction économique

Le jardin est un amortisseur des crises. Avec les 16,4 millions de lopins paysans, les 14,6 millions de jardins recensés fournissaient au milieu de la décennie 1990 près de la moitié de la valeur de la production alimentaire. Toutes les variétés de fruits et de légumes y sont cultivées. Les betteraves rouges, carottes, choux, navets et éventuellement les pommes de terre sont stockés dans les caves. Les autres légumes sont transformés en confitures et autres conserves stockées dans les appartements. Diverses plantes médicinales sont également séchées ou mises en conserve. Le surplus est donné à la famille et aux amis, ou vendu sur les marchés et le long des routes.

Aujourd’hui, l’amélioration économique se traduit par une légère baisse de cette fonction économique au profit d’une revalorisation des autres fonctions.

Les fonctions esthétiques, culturelles, éducatives

Avant que la végétation ne démarre au printemps, on fait germer les premières graines à l’intérieur des fenêtres de l’appartement pour les transplanter dès que possible en pleine terre. Les femmes savent planter, entretenir, traiter contre les mauvaises herbes et les parasites, conserver, cuisiner. A l’homme revient le plus souvent la construction et l’entretien de la maisonnette appelée datcha, de la remise à outils, et souvent de l’installation pour les bains.

Ces activités contribuent à l’éducation des enfants en leur donnant une connaissance de l’agriculture, des plantes, de la nature, en leur apprenant à manier des outils. C’est certainement l’un des lieux privilégiés de transmission de la culture familiale aux petits-enfants. Ce peut aussi être un lieu d’expression culturelle, par la manière de le fleurir. Certains y jouent de leur instrument de musique, d’autres peignent, etc.

C’est aussi un lieu de repos, de récréation pour une partie de la population urbaine qui n’a pas la possibilité de passer ses vacances ailleurs. Les enfants disent aimer le jardin et se rappellent plus tard avec plaisir les moments qu’ils y ont passés. Il semble que l’intérêt décroisse à l’adolescence puis à l’âge adulte pour croître à nouveau quand approche la vieillesse.

Le jardin est aussi un lieu de relations sociales diversifiées. Toutes les couches sociales s’y rencontrent : retraités, médecins, scientifiques, enseignants, infirmières, ouvriers, motoristes, policiers, artistes, propriétaires de magasins, etc. Une " relation de jardin " présente une qualité différente de celle du voisinage dans les immeubles d’habitation ou dans l’activité professionnelle.

La fonction curative

Dans un pays comme la Russie qui a connu tant de traumatismes, le jardin est un lieu de rééquilibre physique, psychologique et émotionnel. Beaucoup y retrouvent le souvenir des proches disparus, qui ont participé à la réalisation de la parcelle et de la maison. L’activité physique qu’on y déploie dans le calme permet de se retrouver face à soi-même, de traiter ses stress, de méditer sur sa vie, ses joies, ses souffrances. Et pour ceux qui sont encore proches de la culture paysanne, c’est une reprise de contact avec la terre, avec la nature, avec le souvenir de leur jeunesse et de leurs parents.

C’est surtout le moyen de se reconnecter avec le calme, la paix, la beauté. Car pour surmonter les séquelles des traumatismes historiques, il ne suffit pas de se projeter dans l’avenir, il faut aussi se détacher des émotions négatives et s’appuyer sur des sentiments positifs de ce type.

Commentaire : Cet article va être développé grâce au traitement des cinquante interviews réalisés dans les jardins collectifs de Kazan au cours de l’été 2002.

Notes

Entretiens avec des jardiniers de la ville de Kazan

Source

Interview

Association Perspectives Dialogiques - 22 rue de la Roquette, 75011 Paris, France - France

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