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L’européanisation des services publics

Pierre BAUBY

2005

Dans tous les pays européens, quelles que soient les diversités des termes et concepts utilisés, des échelons territoriaux compétents (local/régional/national), du caractère marchand ou non de certains services et des types d’acteurs concernés (public/mixte/privé/associatif), les autorités publiques ont été amenées à décider que certaines activités ne pouvaient pas relever du seul droit commun de la concurrence et des seules règles du marché, mais de formes spécifiques d’organisation et de régulation, afin de :

  • garantir le droit de chaque habitant d’accéder à des biens ou services fondamentaux (droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité, aux transports, aux communications, etc.) ;

  • assurer la cohésion économique, sociale et territoriale, construire des solidarités, développer le lien social, promouvoir l’intérêt général de la collectivité concernée ;

  • créer les conditions d’un développement durable à la fois économique, social et environnemental, prendre en compte le long terme et les intérêts des générations futures.

Ces finalités et objectifs d’intérêt général sont au cœur du système de valeurs qui caractérise tous les Etats membres et sont une valeur commune de l’Europe.

Les Services d’intérêt général représentent ainsi un élément clé du modèle européen de société caractérisé par les interactions et l’intégration du progrès économique et du progrès social, qui en font une économie sociale de marché.

La stratégie de libéralisation

Le traité de Rome de 1957 a peu parlé des services publics. Il s’agissait alors de construire un marché commun, donc d’éliminer progressivement les différents obstacles aux échanges de marchandises. Les activités de service public, exercées dans le cadre de l’histoire de chacun des Etats, n’étaient pas concernées et personne ne songeait à les harmoniser. Seul l’article 73 faisait état du « service public » pour le secteur des transports et l’article 86 acceptait des dérogations aux règles de la concurrence dans des conditions spécifiques pour les « services d’intérêt économique général », mais celles-ci sont restées sans effet jusqu’à l’Acte unique de 1986.

L’objectif du Marché unique a alors conduit les institutions européennes à engager un processus d’européanisation, secteur par secteur, des services d’intérêt économique général (communications, transports, énergie). La mise en œuvre des quatre grandes libertés de circulation (hommes, produits, services, capitaux) est entrée en résonance avec les transformations essentielles des années 1980 et 1990 : mutations technologiques, internationalisation des économies et des sociétés, diversification et territorialisation des besoins, lourdeur d’une partie des services publics, stratégies de certains grands groupes industriels et financiers de services, développement de l’influence des thèses néo-libérales et des vertus de la concurrence, etc.

L’Union européenne a mis progressivement en cause les formes nationales d’organisation et de régulation des services publics qu’avaient défini dans l’histoire chacun des Etats membres de l’Union européenne. La stratégie de libéralisation, fondée sur l’introduction, secteur par secteur, de la concurrence, les logiques du marché et du libéralisme économique et la mise en cause des monopoles territoriaux (nationaux, régionaux ou locaux) antérieurs ont visé à la fois à casser les frontières nationales et à introduire davantage d’efficacité dans des secteurs souvent protégés par des situations de monopole.

Pour autant, dans les secteurs dits de réseaux (éléctricité, poste, télécoms, train…), il ne peut pas y avoir une libéralisation totale, qui les ferait relever uniquement du droit communautaire de la concurrence. Il ne peut exister qu’une concurrence oligopolistique entre quelques grands groupes, conduisant à de nouvelles concentrations, à l’existence et au repartage de rentes, au détriment des utilisateurs. La libéralisation survalorise le court terme, pour lequel le marché donne de précieuses indications, au détriment du long terme, pour lequel le marché est myope. Elle privilégie les gros consommateurs qui disposent d’un « pouvoir de marché » sur les petits. Elle met en cause l’égalité de traitement et les possibilités de péréquation des tarifs. La libéralisation ne prend en compte ni les effets territoriaux, ni les conséquences sur l’environnement. Elle peut conduire à des formes de dumping social.

Maîtrise et régulation

Dans ces conditions, les règles européennes, résultantes de débats, d’initiatives d’acteurs et de réseaux européens comme le Centre européen des entreprises à participation publique (CEEP), la Condédération européenne des syndicats (CES), le Comité européen de liaison sur les Services d’intérêt général (CELSIG), de mouvements sociaux, en particulier ceux de novembre-décembre 1995, ont consisté à mettre en oeuvre une libéralisation maîtrisée, organisée, régulée. L’Union européenne a été amenée à compléter les projets sectoriels de libéralisation par la construction de nouveaux concepts et normes. On a ainsi vu apparaître le concept de « service universel » dans les télécommunications, puis à la poste et aujourd’hui pour l’électricité, garantissant certains services essentiels à tous les citoyens et résidents.

Le Conseil européen d’Amsterdam de juin 1997 a adopté le nouvel article 16 du traité de l’Union européenne qui reconnaît les SIG comme composantes de « valeurs communes », souligne leur rôle dans la promotion de la « cohésion sociale et territoriale » et demande à l’Union et aux Etats de veiller à ce qu’ils puissent « accomplir leurs missions ». Mais cet article ne peut être la base d’un droit dérivé positif.

L’article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée lors du Conseil européen de Nice de décembre 2000, souligne l’importance des services d’intérêt général pour les citoyens et résidents de l’Union, même s’il n’ouvre pas un droit européen aux services d’intérêt général.

On peut également citer les deux Communications (1996 et 2000) et le rapport (2001) de la Commission européenne, le Livre vert (2003) et le Livre blanc (2004), les services d’intérêt général en Europe ; les jurisprudences de la Cour de justice des Communautés européennes, qui, depuis 1993-1994, reconnaît que les services d’intérêt général peuvent relever d’autres objectifs, missions et formes d’organisation que les règles générales de la concurrence ; les Conseils européens, qui recherchent les voies d’un complément des directives sectorielles de libéralisation par des règles générales affermissant les SIG.

La Convention sur l’avenir de l’Europe, après avoir procédé à un examen approfondi dans le cadre de son groupe de travail XI « Europe sociale », a proposé de compléter l’article 16 pour en faire une « clause d’application générale » et lui permettre d’être la base d’un droit dérivé (1).

Déséquilibres persistants

Pour autant, il reste aujourd’hui un net déséquilibre entre d’un côté la logique de concurrence et de libéralisation, qui reste dominante, et de l’autre les objectifs d’intérêt général, qui continuent le plus souvent à relever de l’exception. Il subsiste de fortes incertitudes et insécurités pour les acteurs :

juridiques, quant à la hiérarchie des normes communautaires, à leur interprétation et à leur mise en œuvre,

économiques, en absence d’un cadre permettant d’assurer le financement à long terme des investissements et de la compensation des obligations d’intérêt général,

en matière de mise en œuvre du principe de subsidiarité, donc de pouvoirs et responsabilités des autorités publiques à tous les niveaux (local, régional, national, européen),

politiques, quant à la place des services d’intérêt général dans l’intégration européenne.

Des déséquilibres existent aussi en termes de rythmes d’élaboration et d’effet du droit dérivé, entre d’un côté les textes et mesures qui régissent l’ouverture à la concurrence et de l’autre ceux qui visent à reconnaître et sécuriser les SIG.

Garantir les Services d’intérêt général (SIG)

Le Livre vert publié par la Commission européenne le 25 mai 2003, puis le Livre blanc du 12 mai 2004 ont cherché à clarifier les débats des dernières années quant à l’avenir des SIG, aux politiques que doit développer l’Union européenne, ainsi qu’à la manière d’intervenir (législation sectorielle ou cadre juridique général). Ils ont ouvert un débat public à l’échelle de l’Union européenne sur la place et le rôle des SIG dans l’Union du XXIe siècle et dégagé des principes et pistes.

Parallèlement, l’Union européenne est engagée dans le cadre de l’OMC dans les négociations de l’AGCS (Accord général sur le commerce des services) visant à la libéralisation des échanges de services à l’échelle mondiale. Plutôt que de promouvoir une cohérence forte entre la clarification et l’affermissement des services d’intérêt général dans l’Union européenne et ses positions internationales, l’Union tend à privilégier les intérêts dits offensifs des entreprises de services européennes (publiques comme privées), au détriment de la recherche d’un équilibre entre concurrence et intérêt général.

Aujourd’hui, l’Union européenne en est à définir une conception commune des services d’intérêt général. Elle comporte d’ores et déjà trois éléments qui font consenus :

  • le principe de transparence : claire définition des objectifs et missions par les autorités publiques,

  • le principe de proportionnalité : les moyens affectés doivent être proportionnels aux objectifs et ne pas venir fausser la concurrence dans un autre domaine ou secteur,

  • le principe de subsidiarité : il faut conjuguer unité de règles communes européennes et diversité de mises en œuvre en fonction des réalités nationales et territoriales, des enjeux à résoudre.

D’autres éléments font encore l’objet de controverses, en particulier :

  • le champ d’application des règles de concurrence (services économiques ou non),

  • la hiérarchie des normes communautaires entre droit de la concurrence et objectifs d’intérêt général,

  • les libertés des autorités nationales et locales pour définir et gérer leurs services publics,

  • le financement à long terme des investissements et des obligations de service public,

  • les modes de régulation et de gouvernance, associant toutes les parties prenantes,

  • la mise en œuvre d’une évaluation des performances,

  • les relations entre règles internes à l’Union européenne et les négociations de l’OMC (AGCS).

Il s’agit donc aujourd’hui de développer au plan européen l’intervention des forces sociales, des organisations et réseaux citoyens pour porter une doctrine européenne des Services d’intérêt général et faire en sorte que l’Union européenne exprime une volonté politique forte pour :

  • rééquilbrer l’intérêt général par rapport à la concurrence et garantir tous les SIG,

  • développer la garantie d’existence des SIG,

  • européaniser les objectifs d’intérêt général et dans certains domaines les services,

  • réviser sur ces bases les directives sectorielles de libéralisation,

  • faire évoluer les objectifs d’intérêt général et le service universel en fonction des besoins,

  • conduire des évaluations pluralistes, démocratiques et contradictoires,

  • organiser les échanges de services au niveau mondial pour permettre l’accès de tous aux biens publics.

1 « La loi européenne définit [les principes et [les] conditions", "notamment économiques et financières, qui permettent [aux services d’intérêt économique général] d’accomplir leurs missions ».]

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