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Un outil d’émancipation qui renforce l’exploitation

Le plan national sur la garantie de l’emploi rural en Inde

Kathyayini CHAMARAJ

10 / 2009

Les audits sociaux fréquents et rigoureux sont les seuls moyens d’assurer l’application effective de la loi nationale sur la garantie de l’emploi rural, ou NREGA (National Rural Employment Guarantee Act), comme le montrent ces deux audits effectués dans deux panchayat villageois de l’Etat du Karnataka. Les audits révèlent que les fonctionnaires élus dupent ou intimident les bénéficiaires en les incitant à renoncer à leurs droits et à leur argent et en leur refusant le travail auquel ils ont droit, et menacent les ONG qui sont perçues comme étant « du côté » des villageois.

 

Le Labourers’ Forum (Forum des Travailleurs) du district de Davangere, le réseau des ONG et la Right to Food Campaign–Karnataka (Campagne pour le Droit à l’Alimentation - Karnataka) ont lancé une grève illimitée à partir du 8 octobre 2009, en face des bureaux du panchayat (Assemblée) du district de Davanagere (Etat du Karnataka), exigeant les emplois et les indemnités chômage prévus par la NREGA (loi nationale sur la garantie de l’emploi rural).

Une lettre rappelant ce texte et appelant à l’action sur les points soulevés a également été envoyée par le Budakattu Janti Kriya Vedhike (Forum d’Action Commune des Tribus) du district d’Uttara Kannada au Chief Executive Officer (CEO) du district de Davengere, avec copie au Ministre pour le Développement rural et des Gouvernements locaux (Panchayat Raj) et à son secrétaire, au directeur NREGA du Gouvernement du Karnataka et au commissaire adjoint du district de Davangere. L’association Spoorthi a aussi demandé le soutien des médias, d’individus et d’organisations pour créer une pression sur le Gouvernement d’Etat pour une réelle mise en Ĺ“uvre de la NREGA.

Le 12 octobre 2009 le CEO a finalement accepté les demandes des travailleurs grévistes et des militants et la grève a été levée.

NREGA et développement

Le spectre de la sécheresse, des inondations et du changement climatique hante de plus en plus le monde. C’est le résultat de la foi indûment placée dans la croissance creuse du PIB au nom d’un « développement » qui provient du pillage de la terre, de ses minéraux, forêts, carburants fossiles et autres ressources. A l’inverse, les programmes prévus par la NREGA redonnent à la terre sa capacité à entretenir la vie. Au lieu d’empoisonner le sol, l’eau et l’air, les travaux conduits sous la NREGA régénèrent ces ressources naturelles.

Contrairement à la notion que l’unique manière de venir à bout de la pauvreté rurale est d’amener vers les villes les plus de 60 % de la population travaillant dans l’agriculture et de les intégrer à la brigade du pillage, le travail de la NREGA offre des moyens de subsistance durables à ces millions de personnes, en zone rurale, dans la mesure où il y a suffisamment de travaux de régénération de la terre à entreprendre.

Contrairement à l’idée qui circule que la NREGA n’est qu’une allocation versée pour « creuser des trous puis les remplir de nouveau », elle est véritablement un moyen d’augmenter le PIB à travers une croissance équilibrée sans destruction de la terre. Les tâches consistant à construire des fossés de pénétration d’eau pour recharger les nappes phréatiques, vérifier les barrages retenant l’eau de pluie, désenvaser les réservoirs, replanter des forêts sur les terres en friche, etc., aideront à augmenter la productivité de l’agriculture, actuellement en stagnation, et à créer de la richesse réelle.

Malgré ces objectifs louables, dans quelle mesure peut-on dire que la NREGA est une réussite ? Un récent travail d’audit social mené dans deux gram panchayat (panchayat villageois) du Karnataka et entrepris par la Right to Food Campaign–Karnataka sous la direction de l’ONG Spoorthi, montre une mauvaise utilisation des fonds et le déni des droits des villageois. Il dévoile que l’outil d’émancipation que devrait être la NREGA est en réalité utilisé par les groupes d’intérêts locaux pour exploiter davantage des villageois innocents et menacer les personnes conduisant de tels audits sociaux.

Audits sociaux dans le district de Davangere

C’est un trajet agréable et calme qui conduit vers le chef-lieu du district de Davangere, sur la NH4, la nationale à trois voies Bangalore-Pune, longée d’un côté par des bougainvillées multicolores et de l’autre par des champs de maïs et de sorgho. Le contraste est saisissant lorsque nous atteignons Honnali, un chef-lieu de taluk (unité administrative), avec ses routes embourbées, ses bas-côtés débordant d’un mélange de plastiques, de chaussures abandonnées et de déchets en décomposition. La nuit tombe lorsque nous approchons de la petite tente installée devant le bureau du gram panchayat de H. Kadadakatte, où l’audit social de la NREGA est en cours. Le CEO du district est présent avec le EO (Executive Officer) du taluk et le président du gram panchayat.

Les membres de la Right to Food Campaign–Karnataka qui conduisent l’audit social rapportent que 34.000 roupies (500 euros) sont censées avoir été dépensées pour la construction d’une clôture et d’un parc dans l’école située juste derrière le bâtiment du gram panchayat. Mais ils remarquent qu’aucun parc ou clôture n’est visible. L’Executive Officer promet de vérifier qui a certifié que le travail avait été fait dans le Registre des travaux et affirme qu’il leur fera refaire le travail.

Une Somakka (certains noms ont été modifiés) visiblement énervée se plaint de ce qu’aucun travail ne lui a été donné alors qu’elle en a fait la demande il y a plus de trois mois. Un membre du gram panchayat souligne qu’elle a appliqué son empreinte de pouce sur un papier disant qu’on lui avait offert un travail mais qu’elle n’était pas réapparue depuis. Somakka conteste vigoureusement et explique que le secrétaire du gram panchayat lui a demandé de signer ce papier qui, lui a-t-il alors dit, déclarait qu’aucun travail ne pouvait être attribué en avril-mai en raison du Code de Conduite des Elections.

Dix autres personnes lèvent la main et confirment qu’ils n’ont pas eu de travail en avril-mai. Sharadamma dit qu’ils ne savaient pas ce qu’ils signaient. Mais l’équipe de Spoorthi remarque que de l’argent a été retiré par le panchayat pour des travaux réalisés ce même mois. Un Venkatesh agité s’empare du micro et, pointant les fonctionnaires du doigt, les accuse d’avoir falsifié les documents. Roopa Naik, directeur de Spoorthi, demande au CEO d’attribuer aux villageois une indemnité chômage puisqu’aucun travail ne leur a été fourni.

Le CEO demande aux villageois : « Combien de jours d’allocation chômage voulez-vous exiger ? Vous étiez au chômage seulement avant les pluies. Une fois que les pluies sont arrivées vous aviez tous du travail dans vos propres champs. Vous êtes des personnes honnêtes qui, je le sais, ne voudront pas réclamer de l’argent alors que vous n’avez pas travaillé. Prenez votre décision et faîtes la moi savoir d’ici le 10 septembre, sinon je déciderai de la somme à vous payer. Vous savez que le paiement de l’allocation chômage est une pénalité pour le gouvernement d’Etat ». Cela revient à leur dire : « Voulez-vous vraiment que votre Gouvernement d’Etat, bon et attentionné, qui prend si bien soin de vous tous, soit pénalisé ? ».

Trois travaux d’un montant de 47.000 roupies sont également recensés : il s’agit de planter des arbres pongamia (biocarburant) sur trois exploitations d’agriculteurs. On ne trouve cependant que sept arbres dans l’un des champs, et rien dans les autres. La liste d’enregistrement montre que 57 travailleurs ont été employés pour ce travail mais aucune signature ne figure devant aucun nom. L’officier des forêts claironne aussitôt : « Je ne suis pas responsable de cela, ça s’est passé avant moi. »

Soixante-seize personnes n’ont pas reçu de carte de travail. Les cartes de 15 personnes se trouvent chez le neeraganti (le responsable de l’eau). Il apparaît que l’épouse du neeraganti est membre du gram panchayat. Le livret d’épargne de Nagaraja, un villageois, montre que 3.936 roupies ont été créditées sur son compte et le jour suivant 3.936 roupies ont été retirées. Nagaraja dit qu’il n’a jamais travaillé sur aucun projet. Mais on lui a dit que de l’argent avait été déposé sur son compte et qu’il devait venir le « libérer ». Il a été payé 100 roupies pour cela, tandis que les fonctionnaires et membres du gram panchayat ont empoché l’argent « libéré ».

Il y a une bousculade et un groupe, apparemment mené par des opposants à l’audit social s’écrie : « Nous n’avons pas besoin que ces gens viennent et fassent un quelconque audit ici. Que les officiels travaillent directement avec nous et résolvent nos problèmes. » Roopa Naik explique : « Nous avons créé une plateforme non pour la confrontation mais pour le dialogue. Nous voulons simplement faire le suivi du travail des officiels. »

Le CEO se plaint de ce qu’aucun travail n’a été entrepris dans les 23 gram panchayats du taluk d’Honnali pendant l’année fiscale 2009-10 tandis que le secrétaire du gram panchayat affirme que personne n’est venu pour travailler. Les villageois répliquent que le secrétaire doit d’abord annoncer qu’il y a du travail. Le CEO ordonne alors que chacun aie sa carte de travail et son livret d’épargne avant le 5 septembre et qu’un rapport devra être rendu sur les divergences dans les travaux d’ici le 10 septembre. Il dit que la NREGA n’a rien à voir avec les élections, et qu’une action doit être menée contre le neeraganti. Le président du gram panchayat demande aux villageois de faire la liste des travaux qu’ils souhaiteraient entreprendre.

A Hanumasagara

Tôt le lendemain matin nous nous rendons à Hanumasagara, un village envahi de bétail, de chèvres et de poulets. Le toit du bureau du panchayat est recouvert de traces de fuites d’eau et la peinture s’écaille. L’équipe de l’audit social demande à voir des dossiers. Un officiel du panchayat marmonne : « Vous êtes venus pour induire en erreur les villageois. » Une discussion échauffée s’ensuit. « Expliquez ce que vous entendez par ‘induire en erreur’ » demande Ramu Jogihalli, le responsable de Right to Food Campaign-Karnataka. Quand les esprits se calment le fonctionnaire du panchayat accepte de donner des dossiers.

Un équipe d’audit social rend visite aux membres des groupes d’entraide Sri Chaitanya et Poornachandra. Les membres de tous les groupes d’entraide se plaignent de ne pas avoir reçu de travail. B. Manjappa bin Tirlappa montre des lettres qu’il a écrites au nom de 25 travailleurs. Ils ont postulé pour du travail le 18 décembre 2008 et pour l’allocation chômage le 16 février 2009, ils ont écrit une lettre de relance au panchayat de taluk le 25 mars 2009 et une autre à l’Assemblée de district le 8 juin 2009. Aucune n’a reçu de réponse. Pourtant, les dossiers montrent que pendant cette même période, des travaux de construction de digues ou de nivellement du terrain ont été entrepris dans le village, sous la NREGA, sur les terres de trois agriculteurs. Alors que les trois parcelles de terrain ont des dimensions différentes, la même estimation de 57.306 roupies, avec des dimensions et quantités identiques, a été faite pour les trois.

Pendant l’audition publique de l’après-midi seul un membre du gram panchayat est présent avec le EO. L’équipe de Hanumasagara rapporte que tous les membres de la famille Dasappa ont été décrits comme ayant travaillé sur le nivellement de son champ, y compris deux enfants scolarisés de moins de 14 ans. Les villageois contestent le fait que les enfants aient travaillé. Mala, dont le nom apparaît parmi les bénéficiaires, affirme qu’elle n’a jamais travaillé sur cette exploitation. Le Comité de Gestion du Travail et les membres du gram panchayat ont tous certifié que le travail, d’une valeur de plus de 50.000 roupies, a été fait. Il y a un vacarme et le EO ordonne que quiconque a eu recours au travail d’enfant doit être puni. Il ordonne une enquête pour ce cas et demande un rapport pour dans 15 jours.

Alors que la liste des travaux est lue, un Thimmappa découragé monte sur le toit d’un tempo et, les bras tendus, déclare : « Aucun de nous n’est au courant de ces travaux qui ont été approuvés et faits dans notre village. Pourquoi n’avons-nous pas été informés ? ». Un Kumarappa en colère marche jusqu’à l’estrade et, gesticulant vers le EO, dit : « Tous les jours, les membres du gram panchayat s’assoient dans les restaurants et pubs de Honnali et se font plaisir. Si l’on essaie de leur demander quoique ce soit au bureau ils n’ont jamais de temps pour nous et nous demandent toujours de ‘revenir demain’. » Le EO demande au secrétaire du gram panchayat d’imprimer des documents expliquant la NREGA et de les distribuer dans toutes les maisons du village.

Les villageois racontent comment on leur demande d’apporter leur photographie, qui leur coûte 30 roupies, et de payer 50 autres roupies pour avoir leur carte de travail. Ils affirment que les membres du panchayat conservent toutes les cartes de travail, mais les comptes sont ouverts en leurs noms. Plusieurs autres irrégularités ont été mises en lumière : comment on a demandé 500 roupies pour obtenir du travail ; comment plusieurs villageois sont appelés dans les banques pour « libérer » des milliers de roupies qui ont atterri sur leur compte alors qu’ils n’avaient pas de travail et alors qu’ils sont renvoyés chez eux avec 100-200 roupies tandis que les fonctionnaires et membres des panchayat empochent le reste ; comment des familles ont trois cartes de travail et trois comptes ; comment plusieurs cartes de travail ont été retrouvées dans le fossé aux ordures ; comment des machines et des entrepreneurs privés sont utilisés pour réaliser les travaux ; comment les travaux ne sont jamais décidés dans les assemblées villageoises ou les réunions publiques et comment aucune assemblée villageoise n’a été convoquée en cinq ans.

Le jour suivant, les membres de Spoorthi reçoivent des appels d’acolytes d’un représentant élu de la région, les menaçant de conséquences graves s’ils n’arrêtent par leurs audits sociaux. Il semble que la NREGA, conçue pour émanciper les villageois, leur redonner du pouvoir, soit utilisé par les groupes d’intérêts locaux traditionnels pour exploiter toujours davantage les villageois, en usant de nouvelles manières et formes. Les audits sociaux semblent la seule réponse. Mais ces forces permettront-elles à ces audits sociaux de survivre ?

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