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Politique du gouvernement suisse en matière d’entreprises et des droits humains : une politique à deux vitesses

Chantal PEYER

12 / 2009

Depuis quelques années, le débat sur la responsabilité des entreprises transnationales en matière de droits humains divise l’opinion publique. Les campagnes d’organisations non gouvernementales dénoncent des cas de travaux forcés, de travail des enfants ou encore de salaires dérisoires dans les industries ou chantiers des pays en développement. Au sein des Nations-Unies, les gouvernements ont répondu par la nomination d’un représentant spécial pour la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, chargé de rédiger des rapports et de faire des propositions pour mieux encadrer les activités des entreprises (lire [f[dph/8149][Économie et droits humains]]). Au niveau national, les pays industrialisé hésitent encore à adopter des politiques visant à garantir une meilleure protection des droits humains y compris dans l’économie.

Cet article analyse plus en détail les discours et politiques d’un gouvernement – le gouvernement suisse - dans ce domaine. Sur la scène internationale, le Département fédéral des affaires étrangères tient un discours engagé en faveur de la responsabilité sociale des entreprises. En effet, pour la ministre des affaires étrangères Mme Micheline Calmy-Rey, la question de la responsabilité des entreprises constitue l’un des principaux défis en matière de droits humains pour les décennies à venir[>1]. Dans l’agenda politique helvétique cependant, le sujet demeure marginal. Il n’existe en Suisse aucune stratégie, ou « policy », en matière d’entreprises et droits humains. Et au niveau interne, le Conseil fédéral et le Parlement refusent tout renforcement conséquent du cadre légal et politique, par crainte d’un désavantage concurrentiel pour les entreprises helvétiques.

La politique suisse en matière d’entreprises et droits humains : un discours ouvert

Dans le « Rapport sur la politique extérieure de la Suisse en matière de droits de l’homme (2003 à 2007) », le Conseil fédéral évoque la globalisation comme une chance, mais également comme un risque d’accroissement des inégalités et de la pauvreté. Il souligne que l’impact, et donc la responsabilité des entreprises, ont augmenté : « La mondialisation a accru l’importance du rôle des acteurs économiques et leur statut dans la promotion et la protection des droits de l’homme. » Et conclut que celles-ci devraient mener un dialogue constructif quant à leurs responsabilités : « Il convient donc à l’échelle internationale de promouvoir le respect des droits de l’homme par les acteurs économiques afin que ces derniers adoptent des stratégies tout à la fois responsables et durables plutôt que centrées sur la seule recherche du profit à court terme. » (2)

Toutefois, le Conseil fédéral demeure prudent : « De nombreux acteurs économiques n’intègreront cet impératif dans leurs décisions que si cela n’érode en rien leur compétitivité. » (3) Aux yeux des autorités, le respect des droits humains ne doit pas devenir un désavantage concurrentiel pour les entreprises suisses. Et pour éviter un tel préjudice, le gouvernement préconise de s’engager pour l’élaboration d’un « level playing field », c’est-à-dire des règles uniformément reconnues et appliquées à l’échelle mondiale.

Qu’est-ce que la Suisse entend entreprendre pour favoriser l’émergence de cette gouvernance mondiale ?

a. Premièrement, un travail normatif : « La Suisse, qui accueille de grandes entreprises aux activités mondiales, participe depuis longtemps déjà à la définition des cadres généraux de l’activité économique internationale. [… ] Elle continuera de s’associer au développement de ce cadre normatif, dans la mesure où elle constate un besoin et perçoit l’existence d’un soutien international suffisamment large. » (4)

b. Deuxièmement, la poursuite de dialogues bilatéraux du DFAE avec un certain nombre de pays-cibles (Chine, Iran, Vietnam). Ces dialogues sont constitués de visites de délégations ou d’organisation de séminaires, comme celui qui a eu lieu le 19 septembre 2005 à Pékin sur le thème « responsabilité sociale des entreprises ».

c. Troisièmement, le soutien à des initiatives volontaires, à commencer par le Global Compact. Pour le gouvernement suisse, il s’agit de sensibiliser les entreprises aux risques de violation des droits humains et de les encourager à prendre des mesures concrètes et volontaires en faveur du développement durable.

d. Quatrièmement, la cohérence. Dans ses rapports et ses messages au Parlement, le Conseil fédéral affirme vouloir renforcer la cohérence de ses politiques, par le biais d’un « mainstreaming » des droits humains dans les décisions de l’administration fédérale : « Le Conseil fédéral cherche à intégrer systématiquement la dimension et les principes des droits de l’homme dans d’autres domaines politiques comme la coopération au développement, l’économie extérieure, la sécurité, la protection de l’environnement, l’aide humanitaire, la migration, l’entraide judiciaire internationale et les échanges culturels, d’une façon qui renforce la protection internationale des droits de l’homme. » (5)

Le discours est intéressant. Toutefois, lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre ces visions, la politique suisse présente un tout autre visage.

Premier éclairage : l’attentisme comme doctrine

La Suisse ne se prononce pas contre l’élaboration de règlementations contraignantes envers les entreprises. Au contraire, le DFAE soutient - en mettant à disposition du personnel qualifié, et par des interventions ciblées au Conseil des droit de l’homme - les travaux de John Ruggie (lire Économie et droits humains).

Toutefois, le gouvernement suisse refuse d’agir au niveau national avant l’adoption de règles et d’un consensus au niveau international, car cela risque de créer un désavantage concurrentiel pour ses entreprises. En d’autres termes, la Suisse n’est pas prête à montrer l’exemple.

Ce choix risque de repousser les décisions aux calendes grecques. En effet, les travaux de Ruggie s’inscrivent dans un temps très long : le prochain rapport est prévu pour 2011, et il n’est pas certain à ce stade qu’il contiendra des recommandations très concrètes. Ensuite, le rapport ne prendra pas la forme d’un traité ou d’une obligation pour les États membres des Nations Unies. La mise en œuvre au niveau national dépendra donc toujours de la volonté politique des États parties.

Deuxième éclairage : un manque de cohérence

En matière de politique extérieure, la Constitution suisse attribue différentes missions aux autorités, notamment :

  • « promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles » (art.54, alinéa 2) ;

  • « veiller à la sauvegarde des intérêts de l’économie suisse à l’étranger » (art.101, alinéa 1).

Ces missions peuvent s’avérer contradictoires, car la défense des intérêts économiques de la Suisse et la promotion des droits humains ne vont pas toujours de pair. Comment nos autorités réagissent-elles en cas de conflit d’intérêt ? Le Conseil fédéral affirme procéder à une pesée « des intérêts au cas par cas» en tenant compte du droit international, de la Constitution et des lois fédérales pertinentes » (6). Il affirme également vouloir favoriser un « mainstreaming » des droits humains : « Les droits humains sont à prendre en compte dans toutes les activités de la Suisse à l’étranger. » (7) Dans la réalité, cependant, nos autorités tranchent le plus souvent en faveur de la défense des intérêts économiques. En effet, que ce soit au Conseil fédéral ou au Parlement, il n’y a pas de majorité politique pour défendre des décisions favorables aux droits humains en cas de conflit d’intérêt. Résultat : la politique suisse en matière de droits humains ne s’applique pas, ou que peu, à la politique commerciale. Et la main droite, économique, ignore le plus souvent ce que fait la main gauche, diplomatique. Fondamentalement, les décisions du Département fédéral de l’économie (SECO) sont régulièrement en contradiction avec le travail de promotion des droits humains qui est effectué par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Manque de cohérence : l‘exemple des accords bilatéraux Suisse-Colombie

La Suisse s’apprête à ratifier un accord de libre-échange avec la Colombie. Pour les entreprises helvétiques, l’enjeu est important puisque l’accord devrait engendrer entre 10 et 20% d’augmentation des exportations, selon l’Office suisse d’expansion commerciale. Mais la Colombie est aussi un pays gangrené par la violence : entre 1986 et 2008, plus de 2500 syndicalistes - un triste record mondial - ont été assassinés. Et le pays compte aujourd’hui plus de 20 000 disparus et 4 millions de déplacés.

Face à ce constat, une coalition de plus de trente organisations non gouvernementales (8) a demandé aux membres du conseil national d’intégrer la question des droits humains dans les négociations commerciales avec la Colombie. Concrètement, elles ont demandé un moratoire sur la ratification de l’accord de libre-échange jusqu’à ce que des progrès substantiels et durables en matière de droits humains aient été réalisés. Ou, au minimum, elles ont exigé que la question des droits humains apparaisse clairement dans le mandat de négociation et dans les fact-sheets y relatifs.

La Suisse n’aurait pas été le premier pays à agir ainsi : les États-Unis et la Norvège ont déjà suspendu des accords commerciaux avec la Colombie, ou demandé plus de précisions, avant de finaliser les discussions et d’ouvrir des opportunités d’investissement à leurs entreprises par le biais des traités de libre-échange.

En Suisse cependant, la ministre de l’économie Mme Doris Leuthard affirme qu’il ne sert à rien de mettre des conditionnalités dans les accords économiques. Pour lutter contre le taux élevé de violence en Colombie, Mme Leuthard préconise plutôt le soutien du SECO à un nouveau programme de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ce projet s’ajoute aux quelques 7 millions par an déjà investis par la Coopération suisse pour des programmes de promotion de la paix en Colombie. Pour les ONG, cette approche reflète un manque de cohérence politique.

Troisième éclairage : des initiatives volontaires qui manquent de contenu

Pour le DFAE, il existe un besoin d’information et de formation des entreprises suisses en matière de droits humains. Un entrepreneur qui investit à l’étranger doit pouvoir évaluer la situation des droits humains dans ce pays, et avoir connaissance des mesures de précaution à prendre (« due diligence ») pour éviter de commettre, ou d’être complices, d’abus. Enfin, il doit être informé des outils permettant de contribuer au développement durable.

Cette ambition de formation est positive. Le problème réside plutôt dans le choix des outils. Plutôt que de soutenir la création d’initiatives multi-acteurs, basées sur un réel dialogue social, plutôt que de promouvoir la création d’une institution nationale des droits de l’homme qui pourrait devenir un centre indépendant de recherche et de conseil, le gouvernement suisse a décidé de miser sur le Global Compact.

Initiée en 1999 par Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations-Unies, le Global Compact est une initiative qui encourage les entreprises à « aligner leurs opérations et leurs stratégies sur dix principes universellement acceptés touchant les droits de l’homme, les normes du travail, l’environnement et la lutte contre la corruption » (9). Depuis ses origines cependant, le Global Compact souffre d’un manque de crédibilité. Il demeure extrêmement vague quant aux obligations des entreprises, quant aux outils de mise en œuvre d’une politique de responsabilité sociale crédible et, surtout, il ne prévoit aucun mécanisme de contrôle. Le réseau local suisse du Global Compact n’échappe pas à la critique et manque d’indépendance et de contenu :

  • Manque d’indépendance : le Global Compact suisse est hébergé depuis mars 2006 par la section locale de l’International Chamber of Commerce (ICC), et Thomas Pletscher, la personne de contact indiquée sur le site Internet, n’est autre que le responsable du dossier « régulation et concurrence » chez EconomieSuisse! Ces filiations interrogent quant à l’indépendance de l’initiative. Lorsqu’on sait que l’ICC s’est opposé à toute discussion constructive autour des normes en 2003 aux Nations Unies, on peut également se demander avec quels objectifs ils abordent la coordination de ce réseau.

  • Manque de contenu et de transparence : sur le site www.unglobalcompact.ch figurent un certain nombre d’informations intéressantes sur la plate-forme d’apprentissage pour les petites et moyennes entreprises, qui est modérée par le DFAE. Par contre, il n’y a aucune information publique sur les activités générales du Global Compact suisse, sur les réunions passées ou à venir, sur les démarches à entreprendre ou publications recommandées. Enfin, dans la rubrique « Actualité », l’information la plus récente date du 3 avril 2007 (10). Le réseau semble donc inanimé.

Quatrième éclairage: éclatement des compétences

L’information est la clé d’un débat politique ouvert et transparent. Or, en Suisse, une information publique détaillée et facilement accessible sur le thème « économie, entreprises et droits humains » manque.

Résultat : il est difficile de se faire une idée de la politique officielle suisse en matière de responsabilité des entreprises. Et construire une vision de l’ensemble des activités de l’administration ayant trait à ce domaine relève de la gageure. Ce manque d’information reflète sans doute la faible priorité accordée au sujet par la classe politique. Il résulte également de l’éclatement des compétences entre différents départements. En Suisse, les programmes en matière de « responsabilité des entreprises » sont répartis entre :

  • la DPIV - direction politique du DFAE - division IV (Sécurité humaine) ;

  • la DDC - direction du développement et de la coopération ;

  • le SECO – direction du travail ;

  • le SECO - direction des affaires économiques extérieures ;

  • l’OFEV - office fédéral de l’environnement.

Chacun de ces départements répond à des logiques, voire à des priorités politiques différentes. Il en résulte des problèmes de coordination et un manque d’information centralisée. Cet écueil a d’ailleurs été reconnu par l’administration : « La politique de la Suisse en matière de paix et de droits de l’homme est particulièrement exposée par nature à l’incohérence, du fait de son caractère transversal, sa conception et sa mise en œuvre s’appuyant sur la collaboration d’un grand nombre de services fédéraux. »

1Discours de Micheline Calmy-Rey, 6.Internationalen Menschenrechtsforum, Lucerne, 6 mai 2009, pp. 10-12.
2Rapport du Conseil fédéral sur la politique extérieure de la Suisse en matière de droits de l’homme (2003 à 2007)», 2006, p.5830
3Ibid.
4Message sur les mesures de promotion civile de la paix et de renforcement des droits de l’homme, 2007, p. 4536.
5Rapport du Conseil fédéral sur la politique extérieure de la Suisse en matière de droits de l’homme (2003 à 2007), 2006, p.5835.
6Message sur les mesures de promotion civile de la paix et de renforcement des droits de l’homme, 2007, p. 4517
7Rapport du Conseil fédéral sur la politique extérieure de la Suisse en matière de droits de l’homme (2003 à 2007)», 2006, p. 5842.
8« Ratification de l’Accord de libre-échange AELE-Colombie », lettre aux membres du conseil national du 12 mai 2009, voir www.alliancesud.ch
9Voir www.unglobalcompact.org, « Qu’est-ce que le Pacte Mondial ? »

 

10Etat au 10 août 2009.

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