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Un barrage pour qui ? Points de vue sur la production hydroélectrique dans le nord-est de l’Inde

Manju MENON

08 / 2011

Quiconque sait que, depuis son indépendance en 1947, l’Inde a construit plus de 4.000 barrages, penserait que le débat sur les grands barrages est soit dépassé soit réglé par des changements apportés à la politique, à la législation et à la pratique. Mais la réalité est très différente. Avec le temps, le débat sur les grands barrages s’est déplacé à la fois géographiquement et du point de vue des thématiques.

Dans les années qui ont suivi l’Indépendance, de nombreux barrages destinés à l’irrigation ont été construits dans le centre du pays et dans la péninsule. Des années 60 aux années 80, l’érection de barrages pour l’irrigation était complètement liée à la volonté du Gouvernement d’atteindre la sécurité alimentaire.

Alors que de plus en plus de terres devaient servir aux cultures de base, de plus grandes quantités d’eau devaient être retenues derrière ces structures de béton, inondant ainsi de vastes régions de production agricole — une situation ironique. La question de savoir dans quelle mesure la réalisation de projets d’irrigation a contribué à augmenter la productivité alimentaire reste très controversée. Mais il ne fait pas de doute que cela a provoqué l’inondation à grande échelle de villages, de terres agricoles, de communautés tribales, de champs de pâturage, de sites funéraires, etc. Les projets ont également causé le tarissement des rivières situées en aval des bassins de rétention, modifiant ainsi l’écologie des rivières et des poissons, et imposant de nombreux changements dans l’interaction entre les communautés humaines et les rivières. Tous les projets ont eu un profond impact humain : en raison du déplacement d’un grand nombre de personnes, ils ont laissé derrière eux leur lot de souffrances. Selon les études de plusieurs militants et universitaires, on estime que 16 à 38 millions de personnes ont été déplacées à cause des barrages.

Dans les années 90, suite au ralentissement de la construction des barrages, en raison de leurs impacts, ce secteur a reçu une impulsion importante venant des projets d’énergie hydroélectrique dans la région himalayenne. Tout le nouveau discours sur la production d’énergies renouvelables, respectueuses du climat et à moindre coût humain a donné un nouveau souffle à la construction de barrages. Plusieurs des nouveaux sites de production hydroélectrique se situent dans les montagnes du Nord-Est, dans les États de l’Arunachal Pradesh et du Sikkim, et dans les États himalayens de l’Uttaranchal et de l’Himachal Pradesh.

On donne toute une série de raisons pour expliquer les avantages de la construction de barrages hydroélectriques dans le Nord-Est. En plus des « coûts » réduits de déplacement, la production d’énergie dans ces États leur procureraient des avantages financiers tels un montant à la signature dépendant de la puissance du projet mis en place dans cet État. Le projet réalisé, l’État peut également récolter des redevances sur la vente allant jusqu’à 12% de l’énergie produite par chaque projet. Les partisans des grands barrages — qui incluent les hommes politiques et les bureaucrates au Centre et dans les États, les planificateurs, les constructeurs et les consultants des évaluations d’impact environnemental (Environment Impact Assessment, EIA)— présentent un tableau où tout le monde est gagnant : l’exploitation du plus grand réseau hydrique durable du pays pour la production, à faible coût, d’une énergie abondante pour la nation, rapporte des bénéfices économiques grâce à l’exportation de l’électricité par les États, la création d’emplois, la fin des mouvements insurrectionnels (liés à la pauvreté), le contrôle des inondations et le faible « déplacement » des communautés locales en lien direct avec le projet.

Pourtant, les différents acteurs liés à la construction de barrages, à savoir les compagnies d’électricité, les consultants d’EIA, les représentants du Gouvernement central et de celui des États, n’ont pratiquement pas réussi à convaincre ces communautés de la série de retombées bénéfiques devant découler des projets. Pour leur part, les communautés locales ont exprimé — soit directement ou par le biais de leurs institutions culturelles officielles, des groupes d’étudiants et des instances décisionnelles habituelles — plusieurs craintes et dans plusieurs cas un rejet complet des projets. Quelques unes des inquiétudes des communautés de l’Arunachal Pradesh sont présentées par thèmes dans les paragraphes qui suivent. Ce sont des motifs d’inquiétude qui sont spécifiques à la région, et qui sont le résultat de sa géographie, de son histoire et de sa diversité naturelle et culturelle. En soulevant des inquiétudes dans différents forums publics et par des lettres et des pétitions, les communautés du nord-est de l’Inde ont renouvelé le débat sur les impacts des grands barrages et ont aussi ouvert la voie à de nouvelles possibilités de développement convenant mieux à la réalité locale.

Submersion

Les documents concernant les projets de barrage stipulent que les habitants seront peu affectés puisque chacun de ces projets n’implique le déplacement que d’un très petit nombre de familles. Cependant, il n’est nullement tenu compte du fait que bien que peu de familles soient directement déplacées par la submersion, un nombre élevé de familles des régions situées en aval du barrage et des régions environnantes seront « affectées » par le projet. Ces groupes de personnes ne sont même pas reconnues ni identifiées comme « personnes étant affectées » dans les rapports du projet. Par exemple, dans le Bas-Subansiri, alors que le projet identifiait les habitants de deux villages de la rive gauche comme étant « affectés », il a été porté à l’attention des responsables, durant les audiences publiques, que douze villages et terrains de la rive droite seraient également submergés à cause du projet.

En soulevant les craintes au sujet des déplacements cumulés des communautés locales, à cause du grand nombre de projets proposés en Arunachal, les groupes locaux disent : « Nous craignons fortement que si autant de projets de barrage, qui sont identifiés et prévus, sont réalisés, l’avenir des habitants de notre État sera le même que celui des communautés tribales Chakma et Hajong des Chittagong Hills Tracts qui ont été déplacées. »

Par ailleurs, la richesse de la biodiversité des régions submergées est grandement sous-estimée dans les études de projet. Par exemple, l’évaluation de la biodiversité pour le projet du Bas-Subansiri s’est faite sur trois sites, tous à proximité des communautés et situés dans la longue submersion de plus de 70 km. La sous-évaluation de la diversité des espèces est démontrée par le fait que le rapport d’EIA ne fait mention que de 13 espèces d’oiseaux alors que la région peut se vanter d’en compter plus de 200 ; seules 10 espèces de mammifères ont été répertoriées dans la zone submergée et 20 dans le sanctuaire de la vallée du Tale, alors que les naturalistes en ont enregistré plus de 50 dans cette région.

Les rapports de projet font aussi mention que de grandes parties des zones submergées sont composées de forêts dégradées, représentant une biodiversité négligeable. Cependant il s’agit en fait de jhum (culture sur brûlis) en jachère avec une croissance forestière secondaire de différents âges (en fonction du cycle du jhum dans la région). Ils abondent en biodiversité agricole et font vivre les communautés locales. De grandes surfaces de terres communautaires jhum doivent être submergées suite aux projets proposés ; les conséquences sur les revenus et la sécurité alimentaire des communautés locales ne sont pas prises en compte, puisque ces terres sont assimilées à des forêts dégradées que l’État peut se permettre de submerger.

Les impacts écologiques et sociaux au niveau du territoire

L’agriculture itinérante sur brûlis (jhum) est le principal mode d’exploitation traditionnelle dans les collines du nord-est de l’Inde où elle joue un rôle primordial autant pour la subsistance de la population que pour le maintien de la biodiversité agricole. La pression croissante sur les terres a eu pour conséquence le raccoursissement des cycles de jhum (la durée de la période de jachère entre deux récoltes), affectant ainsi la viabilité écologique de ce type d’agriculture. La submersion des terres par les projets hydroélectriques augmentera la pression sur les régions environnantes en raccourcissant le cycle du jhum, affectant ainsi l’environnement et les revenus des communautés qui en dépendent. Ces impacts n’ont pas été évalués ni pris en compte dans les études d’EIA. Par exemple, le rapport d’EIA pour le projet du Bas-Subansiri, tout en mentionnant que des terres jhum seront dans la zone de submersion, ne parle pas de l’impact de la submersion sur les cycles du jhum dans le paysage environnant ni des impacts écologiques et sociaux qui l’accompagnent.

Deuxièmement, chaque projet se présente avec son ensemble de « compensations de conservation ». La conversion des « forêts accessibles aux communautés » en « forêts réservées », la création de zones protégées, l’obligation de la reforestation et d’autres mesures dans les terres jhum de la zone de captation du projet en sont quelques exemples. Bien que certaines de ces conditions soient nécessaires afin de compenser la perte de biodiversité et d’assurer la viabilité du projet, plusieurs de ces conditions d’autorisation de projet vont conduire à la réduction de l’accès aux ressources agricoles et forestières pour les communautés, et ceci bien au-delà de la zone de submersion, notamment à travers le changement de propriété ou de classification des terres et forêts. Par ailleurs, dans le processus actuel de planification et de prise de décision, les impacts écologiques et sociaux ne sont pas évalués et ne se reflètent pas dans la prise de décision concernant la viabilité du projet. Par exemple, le projet Kameng a reçu le feu vert à la condition que la culture de type jhum soit remplacée par une culture stable, sur une immense zone de 36.830 ha, de façon graduelle et en consultation avec le gouvernement de l’État. Et ceci en dépit du fait qu’il avait été spécifié dans les rapports que les possibilités de culture stable dans la région sont restreintes.

En 2004, des groupes de la société civile commentaient dans un mémo au Ministre en Chef de l’Arunachal Pradesh : « La question des droits fonciers, la perte des surfaces de culture jhum et la perte des propriétés forestières traditionnelles doivent être soigneusement examinées par le gouvernement de l’Arunachal Pradesh et par le ministère de l’Environnement et des Forêts, avant que le feu vert ne soit donné au projet hydroélectrique du Moyen-Siang. Pour ce qui est des droits traditionnels et des juridictions relatives aux terres, l’autorité des Gaon Burras a été complètement écartée. Ceci peut être lourd de conséquences très graves et à long terme si on le reconnait comme un précédent qui va miner les institutions traditionnelles et les pratiques en Arunachal Pradesh. »

Les risques environnementaux

Géologiquement, le Nord-Est est une région fragile avec une séismologie active. Toutes les communautés qui y vivent le savent par expérience. Les deux derniers tremblements de terre importants dans la région (en 1897 et 1950) ont provoqué des glissements de terrain sur les versants des collines avec l’interruption du cours de rivières, des inondations causées par l’éclatement de barrages temporaires (dus au glissements de terrain), l’élévation du lit des rivières — à cause d’un envasement important, de la formation de crevasses et de la décharge de sable —, l’affaissement ou le rehaussement du fond et des rives des lacs et des rivières et la formation de nouveaux plans d’eau et de chutes d’eau à cause de la formation de crevasses. Après le tremblement de terre de 1950, des glissements de terrain de grande envergure ont obstrué le Subansiri et l’éclatement de ce barrage naturel, après plusieurs jours, a provoqué des inondations dévastatrices en aval. Une grande quantité de sédiments produits par les glissements de terrain a été transportée en aval, rehaussant considérablement le lit de la rivière. Le Subansiri et plusieurs de ses tributaires ont modifié leur cours à plusieurs endroits, formant ainsi de nouveaux canaux. Ces barrages — dus aux glissements de terrain — peuvent avoir un impact important sur les barrages érigés par l’homme, tant en amont qu’en aval, pendant leur existence ainsi qu’après leur rupture. Ceci peut représenter un risque environnemental sérieux pour les barrages hydroélectriques projetés dans la région et peut aussi amplifier les dangers pour les communautés situées en aval. La rupture d’un barrage (de glissement de terrain) en amont d’un barrage hydroélectrique peut augmenter l’inondation en aval par la décharge supplémentaire — dans le but de protéger la structure du barrage — des eaux de réservoir.

La main-d’œuvre et le travail

Les projets hydroélectriques sont des projets de longue haleine où la main-d’œuvre est amenée en grand nombre d’autres régions par les constructeurs. La présence d’un grand nombre de personnes dans la localité, pour une longue période, peut avoir un effet sur le profil démographique de la localité et peut aussi affecter la culture et la santé communautaires. Un bon exemple de l’impact qu’ont les projets de développement sur le profil démographique est le Sikkim où les employés amenés pour travailler restent après la fin du projet. Dans le cadre du projet hydroélectrique Teesta V de la NHPC au Sikkim, une des conditions de l’autorisation environnementale est de ne donner des permis de travail aux ouvriers amenés au Sikkim dans le cadre du projet qu’après les avoir soumis à un examen médical approfondi et les avoir soignés. Malgré cela, le plus grand nombre de cas de maladies sexuellement transmissibles dans tout l’État se retrouve dans la région du barrage. Les personnes touchées comprennent à la fois des travailleurs et des habitants de la région.

Alors que l’un des principaux avantages anticipés des projets soumis est la création d’emplois pour les habitants de la région, l’expérience des projets antérieurs montre que très peu d’habitants de la région sont embauchés dans les catégories spécialisées, semi-spécialisées et non spécialisées. Ceci est dû principalement au fait que la population locale n’aurait pas les compétences requises pour travailler dans ce secteur. Plusieurs groupes ont déclaré que l’État tirerait bénéfice de la formation et du développement des compétences de la population locale, avant l’implantation de projets viables, afin que les possibilités d’emplois offertes par ces projets puissent être optimisées pour la population de l’Arunachal.

Une des suggestions les plus logiques faites par les diverses communautés — craignant les impacts des projets — a été de remettre en question le rythme du développement hydroélectrique dans l’État. Une façon prudente de le faire serait d’observer minutieusement les impacts des projets qui ont déjà été entrepris et qui sont en cours, ce qui permettrait d’entreprendre de nouveaux projets d’une façon plus efficace. Les réactions de la population lors des forums publics — tels les audiences publiques tenues pour le projet — montrent clairement qu’ils ne voient pas le développement comme une chose toujours nuisible ou négative. Ils sont ouverts à l’idée de tenter l’expérience du développement par l’hydroélectricité, mais les opinions sont partagées sur la façon d’envisager un tel développement. Selon eux, les conditions essentielles à ce développement sont des processus de collecte de données détaillées et précises, des discussions minutieuses avec les communautés bien avant la mise sur pied des projets, et une évaluation attentive des impacts des projets existants. Malgré ces suggestions claires et réfléchies pour entreprendre des projets, l’État et le Gouvernement central ont vu ces communautés comme des opposants, des anti-nationalistes et des partisans de l’anti-développement. Si le Gouvernement ne réussit pas à interagir avec ces communautés d’une façon qui respecte leurs façons de penser, il manquera une occasion très précieuse de montrer que le développement participatif est possible.

Palabras claves

represa, impacto ambiental, participación de la comunidad, electricidad


, India

dosier

Mouvements sociaux et environnementaux en Inde et en Colombie

Notas

Lire l’article original en anglais : Who needs a dam? Popular views on hydropower production in Northeast India

Traduction : Pierre Bourgeois

La chercheuse Manju Menon travaille sur les conflits entre environnement et développement en Inde. Elle est actuellement doctorante au Centre for Studies in Science Policy, JNU, New Delhi. Contact : manjumenon1975(@)gmail.com

Fuente

Texto original

menciones legales