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Les villes européennes face au développement durable : une floraison d’initiatives sur fond de désengagement politique

Dossier réalisé par Cyria Emelianoff

2001

Si la période que l’on nomme l’après-Rio, parce que l’on attendait d’elle des décisions majeures eu égard à l’écologie de la planète, n’a pas conduit à des actions d’envergure aux niveaux national et international, le développement durable restant à ces échelles une déclaration d’intentions, de multiples initiatives locales ont vu le jour, ainsi qu’une mobilisation significative des collectivités territoriales au cours de la décennie quatre-vingt dix. On trouve aujourd’hui des fragments de politiques de développement urbain durable sur tous les continents urbanisés, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Chine, dans les vieilles cités d’Asie centrale ou dans les métropoles au développement très récent… Les contenus sont variés et les résultats, encore plus. Loin d’être secondaire, pourtant, cette traduction opérée de l’échelle globale à l’échelle locale conditionne l’opérationnalité du concept de développement durable. Mais cette évolution a un caractère paradoxal, qui brouille sa lisibilité : elle est plus urbanistique que politique ; elle infléchit les politiques urbaines sur fond de désengagement politique. En d’autres termes, la vision politique en faveur du développement durable n’est pas portée par les élus locaux, mais par les responsables administratifs et certaines forces vives des territoires (associatives notamment). Il existe bien sûr des exceptions qui confirment cette règle.

La réflexion sur la ville durable est née d’une relecture critique des évolutions urbaines contemporaines, prenant notamment à partie la croissance de la motorisation individuelle et de l’étalement urbain, le fonctionnalisme et le zonage qui en sont des moteurs, l’usage dissipatif des ressources et patrimoines naturels (1), ou encore, la sectorisation de l’action publique. Les principes qui ont été au soubassement de la ville « moderne » ont entraîné des dysfonctionnements qui constituent aujourd’hui un héritage urbain. La vision fonctionnaliste de la ville a également appauvri le paysage architectural et urbain, nourrissant un engouement pour toutes les formes de patrimoine. La culture, cette variable relativement ignorée par le mouvement progressiste, redevient un trait central du fait urbain, comme de la compétitivité urbaine…

Ce diagnostic opéré par le Livre Vert européen sur l’environnement urbain, en 1990, constitue le point de départ d’une politique européenne qui se traduit par le lancement d’une campagne de « villes durables », au succès tout à fait inattendu. Initiée en 1994 avec 67 collectivités territoriales dans la ville d’Aalborg, elle en regroupe 1650 début 2003. Une première raison de l’écho suscité par cette campagne, qui ne s’accompagne pas de financements pour les villes qui y participent, tient à la pertinence de ses propositions (2) et à la réussite de ses conférences, qui sont le lieu d’approches nouvelles, d’une effervescence d’idées, d’expériences, dont on sort stimulé. Mais elle doit également beaucoup au principal message de la Charte d’Aalborg, le texte que les villes ratifient en conseil municipal pour adhérer à la campagne : la nouvelle responsabilité des collectivités locales dans la mise en œuvre d’un développement durable doit s’appuyer sur un élargissement des pouvoirs urbains. La Charte d’Aalborg met l’accent sur le potentiel et, indissociablement, le pouvoir des villes de résoudre un certain nombre de problèmes écologiques et sociaux. Elle les invite à se réapproprier l’espace politique local, celui de la démocratie urbaine.

En dépit de ce caractère éminemment politique, c’est l’administration territoriale qui se situe sur le front de l’innovation, les élus restant plutôt silencieux sur la question. Beaucoup considèrent le développement durable comme un argument de marketing territorial, susceptible d’accroître l’avantage compétitif d’une collectivité. L’amélioration de la qualité de vie valorise l’image et le rayonnement de la ville, participant d’un verdissement de bonne augure, mais n’est pas à la mesure des enjeux. Les approches plus exigeantes reposent presque toujours sur l’engagement de quelques personnes au sein de l’administration publique, ou du monde associatif.

La responsabilisation émergente et très inégalement partagée des villes sur la question du développement durable s’exprime donc dans le champ des politiques urbaines, sans être conduite par le monde politique local. Ces politiques sont actuellement sujettes à des renversements optiques et à une multiplicité de formes d’appropriation, encore expérimentales, du développement durable. Nous allons présenter tout à tour ce nouveau regard et ces nouvelles pratiques.

Onglet analyses

Le premier apport de la notion de ville durable est sans doute de faire évoluer les cadres de l’urbanisme. L’évolution des villes a des conséquences sur la biosphère qui pèsent en retour, de manière de plus en plus visible, sur les sociétés. L’inscription de la problématique urbaine dans cette évolution planétaire induit un décadrage urbanistique, amorcé par exemple par les villes qui engagent un plan local de lutte contre l’effet de serre, visant à réduire leurs émissions de CO2. Un lien local-global se tisse, qui ne se réduit pas à l’affirmation d’une logique de compétition économique. Avec la Terre comme horizon ou cadre de vie, l’urbanisme se trouve assez brutalement confronté à une multiplicité d’enjeux relatifs à l’articulation des échelles spatio-temporelles, qui retentissent sur les logiques d’implantation des activités ou de l’habitat, les modes de mobilité, l’approvisionnement énergétique, les choix des matériaux, etc. Ce recadrage dans le temps et l’espace s’impose dès que les externalités du développement urbain commencent à être prises en compte.

Un second recadrage, qui s’inscrit dans la suite logique du premier, prend pour cible la théorie urbanistique et s’exprime dans les principes qui sous-tendent les pratiques de développement durable. Il participe largement d’une remise en question de l’urbanisme moderne, né dans le sillage de Le Corbusier dans les années trente. De la Charte d’Athènes (3) à la Charte d’Aalborg, on observe un renversement saisissant de perspectives. Parallèlement, l’inversion systématique d’un certain nombre de principes hygiénistes entérine la sortie d’une époque. Ce dépassement est d’autant plus original que l’hygiénisme a profondément marqué l’écologie municipale.

Onglet Descriptifs

Les expériences de développement urbain durable sont encore peu étudiées et quelque peu confidentielles. Il est néanmoins possible, à partir d’un travail de terrain, d’identifier les principales clés d’entrée que les villes utilisent pour aborder ce concept, et qui révèlent leurs compréhensions du terme. Une grande diversité d’approches existe au sein du réseau européen des villes durables, dont il est important de prendre la mesure après avoir abordé la manière dont la problématique du développement durable modifie les cadres de l’urbanisme. Cette diversité est en effet source de propositions pour un développement urbain durable. Bien que les différentes approches présentées ne soient pas vraiment transférables, les sensibilités différant d’un pays à un autre, leur connaissance ouvre le champ de vision et permet d’appréhender d’une manière plus fine ce que recouvre la problématique du développement urbain durable.

Cette diversité reflète des appropriations culturelles parfois contrastées, qui construisent progressivement le concept de ville durable et font évoluer son contenu. L’ouverture de ce concept est un de ses principaux atouts. Elle engage aussi à quelque prudence lorsqu’on essaye de le caractériser, à moins de préciser toujours l’endroit d’où l’on parle. Notons cependant que les différentes compréhensions du terme et pratiques en vigueur sur le territoire européen se diffusent aussi et percolent. Elles sont d’autre part relativement évolutives. Un corpus d’expériences se construit ainsi progressivement. Nous sommes encore dans ce processus de gestation.

Ce panorama n’a pas pour vocation de rendre compte de chaque approche nationale, qui mêle souvent les grilles de lecture que nous avons dû dissocier pour clarifier l’analyse, particulièrement à un niveau infra-national, mais de restituer l’esprit des différentes approches et visions de la ville durable. Ces clés d’entrée montrent une diversité qui reflète autant ou davantage les cultures urbaines que les principes ou les caractères « intrinsèques » du développement durable. Ainsi le développement durable est-il communautaire au Royaume-Uni, écosystémique en Scandinavie, optimisé aux Pays-Bas, techniquement réalisable en Allemagne, …. Chaque pays a ses spécificités géographiques, sa culture politique et urbaine, son rapport à la nature, également, avec ses racines anthropologiques, religieuses, historiques.

Si un modèle urbain émerge, avec quelques fondamentaux décrits en première partie, sa particularité est de se décliner avec une grande diversité d’une ville à une autre. Le développement durable de la ville est aussi le développement du caractère de chaque ville. Il valorise potentiellement[[Dans la philosophie initiale, telle qu’elle s’exprime par exemple dans le rapport européen des villes durables, insistant sur la recontextualisation des politiques. Mais les pratiques normatives constituent un risque.]] ce qui fait leur relief, leur climat, leur ambiance, ce que l’on aime en elles. Chaque ville a une biographie en propre, un caractère. Un projet bien compris de ville durable ne peut que prendre appui sur ces spécificités, sur le sens de l’urbanité porté par les habitants, dans une optique de réappropriation de la ville. Ce chantier là n’a pas encore été ouvert, et fait partie des nombreux impensés politiques qui caractérisent le champ de la ville durable.

1 Entraînant des pollutions elles aussi dissipatives, ou pollutions de fond, et remplaçant les pollutions localisées qui retiennent toujours l’attention de l’opinion et des pouvoirs publics.
2 Voir le rapport européen qui capitalise le travail de réflexion conduit par les organisateurs de la campagne (une quarantaine d’experts : représentants de divers ministères, responsables associatifs, urbanistes et universitaires) et un certain nombre de villes. Commission des Communautés Européennes, 1996. Villes durables européennes. Rapport du Groupe d’Experts sur l’Environnement Urbain. Commission Européenne, 242 p. Le rapport peut être téléchargé sur le site d’Agora 21 : www.agora21.org
3 Elaborée en 1933 lors d’un Congrès International d’Architecture Moderne tenu à Athènes, ce texte constitue le manifeste de l’urbanisme moderne. Il sera publié anonymement en 1942.

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