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L’accès aux droits et à la justice - De la citoyenneté à l’accès à la justice, une proposition réversible ?

Recherche juridique et sociologique sur l’accès à la justice des plus démunis

2000

Tel est le titre de l’ouvrage réalisé par Denis Dobbelstein et José Pinilla, respectivement juriste et sociologue au Centre Droits fondamentaux et Lien social (DF&LS, Belgique), qui ont mené, en Belgique, une recherche tant juridique que sociologique sur l’accès aux tribunaux et à la justice des plus démunis, avec comme souci premier la question de savoir si le système légal et la pratique institutionnelle répondaient à l’attente de ces citoyens à la marge, voire même en marge de la Cité.

Une enquête de terrain

Les hypothèses de départ qui ont guidé les auteurs durant toute la recherche sont de deux ordres :

  • d’une part, les professionnels du monde judiciaire et de l’action sociale connaissent mal les personnes pauvres, fragiles et en rupture (méconnaissance de leur réalité sociale, de leur vécu, de leur rationalité). Cette hypothèse vise tant ceux qui appliquent ou mettent en oeuvre les normes, que ceux qui les conçoivent ;

  • d’autre part, les citoyens les plus vulnérables éprouvent de grandes difficultés à accéder aux droits et aux institutions en général, ainsi qu’à la justice en particulier.

Pour vérifier ou invalider ces hypothèses, l’enquête de terrain a consisté à procéder à une série d’entretiens auprès d’usagers en demande d’aide juridique (34 entretiens), de professionnels choisis en qualité de témoins privilégiés (avocats, travailleurs sociaux, conseillers juridiques, militants associatifs, une magistrat et un chercheur) et d’intervenants institutionnels des Bureaux de Consultation et de Défense, situés dans plusieurs villes de Belgique (Bruxelles, Anvers, Louvain, Malines, Liège, Namur et Huy) dont la vocation officielle consiste “ à offrir aux justiciables dont les ressources financières sont insuffisantes un conseil juridique ou une assistance en justice de la part d’un professionnel indépendant des pouvoirs publics et de tout intérêt privé ”. Depuis la nouvelle loi belge du 28 novembre 1998 relative à l’aide juridique, ces derniers bureaux, confiés au barreau, sont rebaptisés “ Bureaux d’Aide Juridique ”.

Les usagers en demande d’aide juridique rencontrés étaient principalement des jeunes en rupture (jeunes en galère, toxicomanes, immigrés de culture arabo-musulmane, ex-détenus...), des personnes qui vivent en-deçà du seuil de subsistance et des personnes fragilisées au plan psychosocial.

“ Les dés du grand monopoly social sont pipés ”

A partir d’une série d’exemples issus de tranches de vie et de récits de déboires juridiques, l’étude met ainsi en évidence un véritable fossé culturel entre professionnels de la justice et usagers cumulant des indices de vulnérabilité.

D’un côté, le magistrat ou l’avocat, mais aussi l’huissier de justice ou le notaire, établi dans sa profession, plonge ses racines dans un bain de culture familiale et scolaire plutôt aisé. Fort de ce bagage culturel, cognitif et philosophique, il suit alors une formation universitaire, souvent disciplinaire et monolithique, de cinq ans, le plongeant de plein pied dans la rationalité et le langage du droit, dans le juridisme et l’objectivation des comportements humains transformant les personnes en dossiers. Enfin, une fois installé dans la profession, il lui faut alors “ accepter une déontologie, un corpus de codes et de normes, se plier avec une relative marge de liberté aux logiques institutionnelles et aux modes de conduite prescrits dans la corporation ”.

De l’autre, “ l’inégalité est au départ et elle ne cessera de se renforcer, le passé revenant inlassablement parasiter le présent et compromettre l’avenir [...] à la maison, à l’école, dans les administrations ou au tribunal, on reprochera à l’enfant du quart-monde de ne pas être au point, de ne pas être conforme, d’être immoral, d’être irresponsable. Une vie jalonnée de sanctions, de préceptes moraux, de reproches de ne pas être ce qu’il aurait dû être alors même qu’on ne lui a pas transmis les ressources pour y parvenir  ”.

Ces constats dressés, on comprend aussi mieux pourquoi des personnes en difficulté vivant l’expérience de la honte et la sensation de n’être plus sujet de droit ou citoyen en arrivent parfois à décrocher par rapport aux normes, la transgression de ces dernières pouvant leur permettre d’exister, de se constituer une identité de rechange.

Compte tenu de leur parcours, nombre de magistrats ne connaissent pas ces usagers démunis ou en rupture. Ils ne connaissent pas le contexte global des faits, l’histoire et le système dans lequel la personne est engluée. Sans chercher à généraliser, les auteurs constatent chez les professionnels du droit six dérives constituant autant d’obstacles à l’accès au droit et à la justice et qui, parfois, s’accumulent : “ la condescendance, la recherche du prestige, le réflexe individualiste, le penchant paternaliste, l’esprit caritatif et la tendance autoritaire ” . Le risque qui découle de ces dérives est celui de la fermeture d’esprit, la fermeture au dialogue “ inter culturel ”, un dialogue certes difficile mais pourtant primordial pour apprendre à connaître “ cet autre différent ”, qu’il soit immigré, victime d’actes intentionnels de violences, délinquant ou pauvre.

Jalons pour une nouvelle culture professionnelle : formation, ouverture et innovation

Forts des constats vérifiant les hypothèses directrices de départ et d’une démarche critique constructive, les auteurs proposent des jalons pour une nouvelle culture professionnelle et quelques pistes alternatives pour rendre la justice plus accessible à tous, notamment en ce qui concerne les coûts de justice et la résolution des conflits (implication des parties, médiation...).

La nouvelle culture professionnelle proposée “ prêche pour un humanisme, pour un dialogue interdisciplinaire, pour un rapport savoir-humain [...]. Elle cherche à responsabiliser davantage l’usager par opposition au réflexe paternaliste. Elle cherche à mieux le connaître, dans sa globalité, dans son histoire et à le situer dans le système social [...] Elle encourage une culture de la résistance et du changement. Elle envisage de situer le débat au plan politique et sur la place publique ”. En particulier :

  • l’écoute active et la disponibilité deviennent des qualités de plus en plus indispensables aux professionnels de l’aide psychosociale et de la défense des intérêts des usagers ;

  • l’ouverture à un travail plus collectif, à un partenariat interdisciplinaire, entre le monde judiciaire et les intervenants sociaux, s’avère nécessaire pour prendre en compte les dimensions humaines et extra-judiciaires du problème ;

  • une méthodologie novatrice impliquant la participation active de l’usager est encouragée ;

  • le recours à une formation inter-disciplinaire à destination des magistrats et des professionnels, juristes et travailleurs sociaux, qui fasse appel à différentes disciplines des sciences humaines est proposée ; une formation initiale et continue ouverte sur la vie qui soit : juridique au sens large pour approfondir des connaissances dans un domaine spécifique, centrée sur la connaissance active des usagers et des systèmes dans lesquels ils participent, méthodologique afin de s’ouvrir aux approches partenariales orientées vers la médiation, l’écoute, la gestion du conflit ou le travail en urgence, et “ méta-juridique ” “ dès lors qu’il importe de prendre de la distance par rapport au droit, à l’action et à soi-même ”.

Mots-clés

accès au droit, accès à la justice, système judiciaire, population défavorisée, quart monde


, Belgique

dossier

Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires, 2003

Source

Livre

DOBBELSTEIN Denis ; PINILLA José, L’accès aux droits et à la justice. De la citoyenneté à l’accès à la justice, une proposition réversible ?, Les éditions de la Charte, 1999 (BRUXELLES, BELGIQUE), collection Droit en mouvement, 314 p.

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