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Défendre les droits fonciers des femmes et reconnaître leur rôle dans le travail agricole

L’exemple de l’Inde

Vanessa GAUTHIER

01 / 2008

La FAO estime que seulement 10 % des femmes sur le plan mondial peuvent accéder à la terre, ce qui est notamment dû au manque de reconnaissance du droit de propriété foncière pour les femmes. Ce problème est souvent intimement lié à la question du droit des femmes au travail. Les discriminations sexuelles en matière d’accès à la terre, notamment dans les pays du Sud à forte population rurale, sont en effet parfois à la source de conditions de travail particulièrement difficiles.

Entre une travailleuse agricole qui cultive la terre pour la subsistance familiale et une ouvrière agricole qui travaille pour une entreprise de l’agroalimentaire, il y a souvent un dénominateur commun : la déconnexion entre la travailleuse et la terre qu’elle exploite. D’après ActionAid (1), les politiques agricoles n’ont, d’une manière générale, pas réussi à s’attaquer aux inégalités entre les sexes en termes d’accès à la terre. Les réformes agraires, telles qu’elles ont été conduites, ont effectivement souvent renforcé le pouvoir des hommes, tout en oubliant de reconnaître et de valoriser le rôle des femmes dans la gestion des terres. Par ailleurs, les femmes n’ont que rarement été les bénéficiaires effectives des programmes de développement rural.

Pourquoi la question du droit foncier est fondamentale dans la lutte pour les droits des femmes à la dignité au travail

On observe sur le plan international une tendance à considérer les ménages en tant qu’unité, avec une homogénéité dans la prise de décision. Ainsi, les bénéfices et le contrôle des terres revient en général aux hommes, considérés comme les chefs de famille, y compris dans les communautés à héritage matrilinéaire. Or l’indépendance économique des femmes n’est possible que si les femmes ont non seulement accès à la terre, mais aussi la contrôlent. C’est le rôle qu’occupent les femmes au sein des familles qui prend notamment racine dans la répartition des terres de façon équitable entre hommes et femmes. Le fait de ne pas avoir de pouvoir sur la terre les maintient dans un rôle de dépendance et renforce l’absence de pouvoir de négociation au sein de la famille.

Au-delà du maintien de leur position « inférieure » au sein de la famille, elles risquent en cas de dissolution de la famille, de perdre la terre qu’elles travaillent, car rares sont celles qui obtiennent un titre foncier. Ainsi, dans les cas de séparation, de divorce, de veuvage de répudiation ou même de simple conflit familial, les femmes se retrouvent dans de nombreux cas sans contrôle de la terre, donc sans ressource, et bien souvent sans protection. Les femmes rencontrent alors souvent des difficultés à trouver un emploi décent, elles migrent dans de nombreux cas et se retrouvent à occuper des emplois précaires.

Il faut également prendre en compte l’impact sur les femmes des nouvelles formes d’agriculture. L’agriculture intensive et la privatisation des ressources (récupérées souvent par les entreprises multinationales de l’agro-alimentaire) ont eu pour conséquence le déclin massif de l’agriculture vivrière de type familial. Ce changement a donc signifié pour de nombreuses femmes la perte de leurs terres, de leur source de travail et donc de leur moyen de subsistance.

Au niveau international, les recommandations phares issues des rencontres comme le Sommet de Genève pour les femmes rurales en 1992 et le Sommet mondial de l’alimentation en 1996 avaient notamment comme objectif de cibler les femmes rurales comme actrices et bénéficiaires des programmes de développement. Malgré ces propositions, il reste encore beaucoup à faire pour le renforcement du pouvoir des femmes paysannes. Il s’agit en particulier de réaffirmer le rôle de l’Etat en tant que garant de l’équité et de l’égalité dans l’exercice des droits fonciers. Cependant, il faut également prendre en compte la question plus large des droits des femmes, car lorsque les législations existent, elles ne sont pas toujours appliquées. Ainsi, au Burkina Faso les lois certifient la non-discrimination des femmes en ce qui concerne la propriété de la terre. Cependant, dans les faits, cette pratique est fréquente autant dans les régimes fonciers traditionnels que dans les structures d’arbitrage reconnues par le droit écrit.

Ekta Parishad et l’accès à la terre pour les femmes en Inde

« En Inde, 75 % des travailleurs agricoles sont des femmes. Or les femmes ne possèdent pas la terre ni la ferme, » affirme Varsha, militante du mouvement ghandien Ekta Parishad. En effet, elles ne seraient que 10 % à posséder des titres fonciers. En Inde, les femmes ne sont pas reconnues en tant qu’agricultrices ou en tant que travailleuses agricoles. Elles sont marginalisées et leur activité économique reste invisible bien que centrale. Lorsqu’elles sont privées de la terre et des ressources naturelles, les femmes rurales sont bien souvent contraintes à travailler dans la servitude (“bonded labourers”). Elles se retrouvent alors endettées, avec des salaires de misère, et sont fréquemment sujettes au harcèlement sexuel ou à d’autres formes de violences. « Parler de terre en Inde, ce n’est pas simplement parler d’un lopin de terre, c’est parler d’honneur, de subsistance, de vie dans la dignité. » témoigne Varsha.

Depuis le milieu des années 70, les revendications des femmes pour l’accès à la terre ont pris de l’ampleur en Inde. En 1977, un arrêté a ouvert la voie à des pattas (titres fonciers) conjoints. En 1995, le premier ministre de l’Etat du Madhya Pradesh a annoncé la création de pattas pour les ouvriers agricoles tribaux et sans terre de l’Etat. Depuis, les femmes multiplient leurs demandes de titres fonciers, et le nombre de titres conjoints augmente petit à petit. Cependant, beaucoup de femmes doivent toujours se battre pour leurs droits à la terre.

Ekta Parishad, dans ses actions de soutien aux sans terre, défend l’accès à la terre pour les femmes. Au sein de ce mouvement pacifique, le programme Ekta Mahila Manch a permis de créer un espace d’expression pour les femmes et de promouvoir le leadership féminin. L’activité d’Ekta Mahila Manch a également permis de mettre en avant l’importance de la question des droits des femmes à la terre, en particulier la question de l’accès des femmes à des titres fonciers à leur nom. Ekta Mahila Manch mène des actions pour renforcer les capacités des femmes dans différents domaines et pour accroître leur pouvoir au sein des panchayats (conseils des villages).

En octobre dernier, 25 000 paysans et paysannes ont participé à la marche Janadesh entre Gwalior et Delhi. Au lendemain de cette marche, le gouvernement indien a annoncé la mise en place d’une commission nationale de la terre sous l’autorité du Premier Ministre Indien, principale revendication de l’organisation Ekta Parishad, à l’origine de cette mobilisation sans précédent. Peuples Solidaires, ainsi que d’autres organisations en France comme en Europe, a soutenu cette marche et se mobilise pour sensibiliser l’opinion sur la question de l’accès à la terre ici et là-bas, notamment pour les femmes.

1 ActionAid International, Women’s land rights, Policy brief.

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