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Au royaume des aveugles…

Programme de lutte contre l’effet de serre en Allemagne

Hermann E. OTT

2004

Depuis 1998, l’Allemagne s’est lancée dans un ambitieux programme de lutte contre l’effet de serre. Même si les résultats restent en deçà des premiers objectifs, ils montrent la voie de ce qu’il est possible de réaliser aujourd’hui.

Le climat est un élément ancien des politiques publiques allemandes. Dès 1990, une commission représentant tous les partis politiques est convenue d’un rapport réclamant de vraies réductions des émissions de gaz à effet de serre (25 % à l’horizon 2005) et proposant, pour ce faire, une série de politiques et de mesures. Mais la plus grande partie de cette impulsion a été perdue avec la réunification et son énorme pression financière et politique. Après la chute du Mur et le démantèlement de l’industrie est-allemande, les émissions totales de la nouvelle Allemagne avaient baissé de près de 15 % – réduisant d’autant la motivation pour adopter des mesures rigoureuses.

Des objectifs mesurés

La victoire de la coalition rouge-vert aux élections de 1998 a modifié cette situation. Fort de l’ambitieux programme d’innovation écologique de la coalition, le nouveau gouvernement s’est engagé entre autres à réduire les émissions de CO2 de 25 % d’ici à 2005.

Cet engagement a été renouvelé et renforcé dans le programme de la coalition après les élections de 2002. Le gouvernement social-démocrate/vert a accepté un objectif de 40 % de réduction pour 2020, à condition que l’Union européenne atteigne son objectif de 30 % de réduction. La part des énergies renouvelables dans la production électrique doit ainsi atteindre 12,5 % en 2010 et 20 % en 2020.

Il n’est pas facile de déterminer si l’Allemagne a réussi à atteindre ses objectifs ou non. « Au royaume des aveugles, les borgnes sont roi » dit le proverbe. En comparaison avec l’ensemble des pays industrialisés, les réalisations sont importantes, même si un certain nombre de problèmes subsistent. Les émissions de dioxyde de carbone ont été réduites de près de 17 % depuis 1990 (pour moitié à cause de la crise économique de l’Est, pour une autre moitié en raison de réels investissements structurels) et les émissions totales de gaz à effet de serre se sont réduites de près de 19 %. De plus, la question climatique fait désormais réellement partie de la culture et de l’agenda politique allemand, si bien que tout arrêt ou retour en arrière est difficile à imaginer. Cela dit, un certain nombre de défis demeurent, comme l’a montré le débat – parfois surréaliste – autour du plan national d’allocation (PNA) dans le cadre de la directive européenne sur les échanges de permis d’émission.

Ainsi, au début de l’année 2004, l’Allemagne s’est plongée dans un débat digne des années 70 et 80. La vieille opposition entre économie et écologie a refait surface lorsque le ministre de l’Economie, Wolfgang Clement, a fermement défendu les intérêts (à court terme) des industries produisant et consommant des énergies traditionnelles. Seul Tritin, le ministre de l’Environnement et membre du parti écologiste, et la complexe arithmétique de la coalition ont permis d’éviter que le plan initial ne soit complètement vidé de sa substance.

Tel qu’il est, le compromis est bien en deçà des objectifs originels posés par le ministère de l’Environnement et la communauté environnementale. Il devrait néanmoins permettre de conserver en partie la dynamique inhérente aux échanges de permis d’émission, notamment d’influencer les investissements dans la production d’énergie – secteur dans lequel presque la moitié de la capacité de production doit être remplacée avant 2020. Dans le cadre du PNA allemand, une société qui remplace une centrale électrique ancienne par une nouvelle centrale plus efficace, peut conserver les mêmes crédits d’émission pendant une période maximale de quatre ans. Les règles du PNA fixent l’allocation des permis non seulement pendant la période d’essai de 2005 à 2007, mais aussi pour l’ensemble de la « vraie » période d’échange de 2008 à 2012. Ceci devrait encourager les sociétés à adopter une planification à long terme.

La loi sur les énergies renouvelables s’est révélée quant à elle un instrument bien plus performant qu’on ne le pensait. En faisant financer les investissements consentis par les petits producteurs d’énergie renouvelable par les compagnies d’électricité, la loi a provoqué une véritable explosion, en particulier dans le secteur éolien. L’Allemagne est maintenant le premier producteur et installateur d’éoliennes. L’industrie des énergies nouvelles réalise ainsi un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros, dont 6 milliards sont réinvestis, et emploie 130 000 personnes. Cette loi vient d’être amendée pour mieux soutenir les bioénergies, la géothermie et les installations photovoltaïques, avec une légère baisse des aides aux éoliennes terrestres. D’autres mesures de promotion des énergies renouvelables ont été adoptées comme la subvention de l’installation de panneaux solaires ou de centrales thermiques solaires dans les pays du Sud.

La réforme de la taxe écologique a été l’une des premières mesures prises, mais ses résultats restent mitigés. Clé de voûte de l’agenda de réforme écologiste, cette taxe progressive a provoqué une énorme protestation publique contre les prix de l’essence et a été retirée en 2004. Cette écotaxe semble pourtant avoir fait réfléchir les consommateurs et permis une réduction régulière des émissions liées au transport privé depuis 2000. Bien que les partis d’opposition aient juré de retirer cette taxe s’ils gagnaient les prochaines élections, son niveau actuel est accepté parce qu’elle sert à financer les retraites. Lier les problèmes entre eux est une des clés de sa réussite.

Une politique populaire

La politique climatique allemande, avec ses succès, ses reculs et ses dizaines d’instruments, est difficile à évaluer. Son futur dépendra avant tout de l’évolution internationale. La non ratification du Protocole de Kyoto par la Russie, en interdisant sa mise en oeuvre, aurait des répercussions sur la politique nationale. A l’inverse, accueillir la conférence 2004 sur les énergies renouvelables à Bonn apporte un soutien international renforcé aux initiatives nationales.

A priori, la coalition rouge et verte a abandonné l’objectif de réduction de 25 % des émissions de CO2 pour 2005 – maintenant devenu impossible à réaliser de toutes façons. Mais la participation à l’effort collectif européen sera au rendez-vous. L’industrie allemande devrait être bénéficiaire net sur le marché des permis d’émission et l’Allemagne, un exportateur de quotas vers les autres pays européens.

La mise en oeuvre de la politique climatique devrait continuer d’alimenter les conflits politiques nationaux. Les débats autour de la réforme de la taxe écologique et de la répartition des quotas dans le cadre de la directive européenne d’échange des permis négociables ne sont que les prémisses des batailles politiques à venir. On pourrait alors se rendre compte que la politique climatique n’est pas opposée par principe à la prospérité économique. Comme cette politique compte parmi les plus populaires selon les sondages et semble durablement inscrite sur l’agenda politique, on peut donc être raisonnablement optimiste.

Mots-clés

effet de serre, politique de l’environnement, changement climatique, politique de l’énergie


, Allemagne

dossier

Lutte contre le réchauffement climatique (Cahier de Global Chance n°19, réalisé avec le Courrier de la Planète)

Notes

Hermann E. OTT - Wuppertal Institut für Klima, Umwelt, Energie Gmbh

L’Institut Wuppertal développe des outils et des stratégies de politiques environnementales durables aux échelles nationales, régionales et internationales. Le principal objet de recherche concerne l’écologie et ses interactions avec l’économie et la société. www.wupperinst.org/berlin-office

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