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L’Inde et ses voitures

Anumita ROYCHOWDHURY

02 / 2007

Après la libéralisation de son économie, l’Inde a maintenant rendez-vous avec l’insécurité énergétique. Cela a commencé en juillet 2006 lorsque le cours du pétrole brut a atteint les 79 dollars le baril. Par rapport à 2002, le prix de l’essence a augmenté de 59,6 %, celui du diesel de 78,8 %. Au pied du mur, l’Etat et les sociétés pétrolières publiques ont absorbé 87,5 % de cet enchérissement massif ? Et cela a fait mal.

Pourtant l’Inde continue à consommer toujours plus de carburant, en particulier dans le secteur des transports ; et cela va continuer. Les constructeurs sortent à tout va leurs nouveaux modèles qui arrivent sur des routes et des rues déjà bien encombrées. Et cela va faire mal.

Anumita Roychowdhury, qui a écrit cet article, est directrice adjoint du Centre pour la science et l’environnement (CSE) de New Delhi, chargée de la Campagne pour une atmosphère respirable.

Un jour de 1995, Anil Agarwal (1947-2002), le fondateur du CSE, s’impatientait dans la queue pour faire tester son véhicule : Pourquoi les voitures indiennes sont-elles si polluantes ? Est-ce que ce contrôle est fiable ? A partir de cette anecdote, le CSE se lance à la recherche de réponses pour un problème bien complexe. Anil confesse : « En 1986, j’avais dit à de hauts responsables politiques que les difficultés écologiques de nos campagnes (parce que cela concerne des centaines de millions de gens) sont bien plus importantes que les questions environnementales des villes. Dix ans plus tard, je réalise combien j’étais ignorant, n’ayant pas vu à quel point les choses évoluaient vite dans ce domaine ».

Anil cherchait aussi à comprendre l’origine du cancer rare dont il souffrait. Il savait intensément que tous les poisons que nous lançons dans l’atmosphère reviennent vers nous dans l’air, l’eau, la nourriture. Il s’est mis à lutter contre l’Administration, les responsables politiques coupables de laisser faire, de cacher leur apathie, leur incompétence et leur corruption en accablant l’automobiliste ordinaire. En 1996, le CSE publie Meurtre à petit feu : la pollution d’origine automobile. Anil disait qu’un livre chargé de matière à penser peut être comme une bombe à retardement. Mais pour faire venir l’explosion, il faut souvent beaucoup de militantisme. A mesure que se déroulait notre combat contre le diesel envahissant, les particules en suspension et pour l’avènement des autobus au gaz naturel, de plus en plus de gens s’intéressaient à ce que nous faisions. Il fallait fournir l’information, la diffuser, approfondir les problématiques pour répondre aux contre-attaques, démystifier la science. Nous devenions des acteurs du changement parce que cela répondait à une nécessité évidente. Ailleurs dans le monde, la société civile pouvait pousser des gouvernements à agir sur les problèmes écologiques. Ce n’était pas vraiment le cas en Inde.

Delhi, la capitale de l’Union indienne, n’est pas un petit bourg. Au dernier recensement, il y a là plus de 13 millions d’habitants, plus de 4 millions de véhicules. En 1996, quand l’automobile commençait à envahir les rues, c’était un endroit très pollué. Le smog faisait peser son couvercle délétère sur la mégapole, alors qu’on n’avait pas encore pris conscience des répercussions de la pollution atmosphérique sur la santé. Les fumées noires étaient aussi signe de progrès, une simple gêne. Il n’était pas question de santé publique. On a enfin pris la mesure des carences des gouvernants à qui il ne venait pas à l’esprit de s’attaquer à la question des transports pour protéger la population des ravages de la pollution, de demander des comptes aux constructeurs automobiles, aux raffineries.

Finalement, en avril 2002, avec l’aide de juges de la Cour Suprême, Delhi se met à faire de grands bonds en avant : en décembre tous les autobus fonctionnent au gaz naturel (GNC). Au début, lorsqu’ont été prises les premières mesures pour juguler la pollution, la teneur en souffre du gazole était de 10 000 ppm (parties par million). Au bout de quatre ans, on était descendu à 500 ppm. Dans sa quête d’un air respirable, Delhi brûlait les étapes, allait plus vite que ne l’avaient fait les pays industrialisés dans ce domaine, passait du carburant liquide au GNC pour faire fonctionner tous ses véhicules publics. Cela lui a permis de mieux respirer, de gagner du temps. Mais l’histoire ne doit pas s’arrêter là : en matière de mobilité, d’autres évolutions mentales et technologiques, d’autres bonds en avant seront nécessaires.

Extrait de The Leapfrog Factor : clearing the air in Asian cities, CSE, 2006

Après la forte augmentation des prix du carburant l’année dernière, bon nombre d’habitants de la capitale se sont tournés vers le bus ou le métro, lequel a enregistré une augmentation de 12 % de son trafic. Commentaire d’un propriétaire de station-service de Hemkunt Colony (quartier des affaires de Delhi sud) : « Quand les prix montent, nos ventes s’en ressentent. La dernière fois, elles ont baissé de 10 %. A chaque fois que le budget familial attrape un coup, les gens réduisent la consommation ou prennent une qualité inférieure ». Il est clair que le prix du carburant, notamment pour les transports, pèse sur le budget des ménages. Les Indiens dépensent de plus en plus sur ce chapitre, surtout les plus aisés des villes qui se déplacent beaucoup en voiture particulière. En 1993-1994, les ménages consacraient en moyenne environ 56 % du budget mensuel à la nourriture ; en 2003-2004, c’était 45 %. Pendant cette même période, c’est sur les transports (achat du véhicule et surtout de carburant) que les dépenses ont le plus augmenté : 11,3 % au début des années 1990, 17,1 % en 2003-2004.

Envolée des ventes

L’accroissement des frais de transport ne semble pas affecter les ventes de véhicules. Selon l’Association des constructeurs automobiles (SIAM), les affaires sont au mieux : dans les onze premiers mois de 2006, plus d’un million de véhicules ont été vendus, soit une poussée de 19 % par rapport à l’année précédente. Les ventes de 4x4, SUV (véhicules sportifs utilitaires), gros consommateurs pourtant, ont grimpé de 7,5 %. Au cours des années 1990, le nombre des propriétaires de véhicules montrait une progression annuelle de 10 %, de 15 % dans les grandes métropoles. Pour Delhi, c’était environ 200 000 nouveaux véhicules chaque année ; en 2006, ils étaient bien 340 000. A Bengalore, une famille sur dix possède une voiture, et presque chaque famille a un deux-roues. Il y a vingt ans, une famille sur seize seulement possédait une voiture, une sur quatre un deux-roues. Maintenant que les taux des emprunts sont plus raisonnables, que les revenus s’améliorent, que les consommateurs ont des goûts différents, les chiffres et les courbes se mettent à évoluer au niveau mondial : dans les pays occidentaux, le parc automobile n’augmente que de 5 % l’an, tandis qu’en Asie c’est désormais entre 15 et 30 %.

L’Inde importe de plus en plus de pétrole, qui sert de plus en plus à faire avancer des véhicules publics et privés. En 2006, le pays a consommé 120 millions de tonnes de pétrole brut et produit seulement 34 millions de tonnes sur son territoire : il a bien fallu importer. A chaque augmentation des cours sur le marché international, de plus en plus d’argent public sert à acheter du brut. Cela a forcément des conséquences : le coût de l’énergie sera une difficulté majeure pour le maintien du taux de croissance du PIB à son niveau actuel (8 %).

Voyons d’abord qui sont les consommateurs de carburant, combien ils consomment, et si on peut changer les choses. D’après les données fournies par le ministère du pétrole et du gaz naturel, c’est le secteur des transports qui est le plus gros consommateur, soit 30 %. L’énergie thermique pour la cuisson (dont butane/propane et pétrole lampant utilisés par des millions de ménages pauvres dans tout le pays) c’est seulement 20 %. Le secteur énergétique et l’industrie en général c’est 30 %, comme pour les transports. Les 20 % restants vont à des usages divers. Le secteur agricole, qu’on accuse de tant de choses, consomme seulement 19 % du carburant diesel, pour le pompage de l’eau, comparé à 62 % pour le secteur des transports. Et presque toute l’essence va aux transports, surtout pour les véhicules privés, tandis que le diesel va aux chemins de fer, au transport des marchandises, mais aussi de plus en plus aux voitures privées. Le fret est passé massivement du rail à la route : 26 % et 74 % respectivement. Et cette tendance va s’accentuer avec la construction ou l’amélioration d’autoroutes, le long de lignes de chemin de fer à fort trafic. Tout comme les autres pays du monde, l’Inde va avoir besoin de plus en plus de carburant pour ses transports.

Le rapport Politique énergétique intégrée 2006 de la Commission du Plan souligne que, puisqu’il n’existe pas de substitut économique pour le secteur des transports, il faut impérativement agir sur l’efficacité énergétique des véhicules et privilégier les transports de masse. On considère qu’on pourrait réduire sérieusement la facture pétrolière grâce à l’amélioration des performances énergétiques des véhicules et à l’augmentation du trafic fret des chemins de fer.

Des cylindrées plus fortes

Quand le chapitre transports fait mal au portefeuille des familles, le budget national doit forcément s’en ressentir. Que faire ? Examinons de plus près les performances énergétiques de nos véhicules. Le World Energy Outlook 2006 estime que la consommation moyenne d’un véhicule léger dans les pays de l’OCDE est de 9,3 litres aux 100 km. En Inde c’est juste un peu plus : 10 litres aux 100 km. Partout on essaie de faire baisser la consommation. Ce même document pense que si les politiques et les mesures envisagées par les gouvernements des pays riches sont bien appliquées, la consommation moyenne des nouveaux véhicules moyens pourrait passer à 6,2 litres/100 km dans les pays de l’OCDE.

L’Inde est relativement efficace dans ce domaine, parce qu’elle est pauvre : les deux-roues et les petites voitures sont toujours les moyens de transport dominants. Jusqu’à présent, le marché indien était sensible aux prix, et on lui fournissait donc des modèles modestes, accessibles à une large clientèle. Les petites voitures ont un petit moteur pas trop gourmand ; et les deux-roues sont particulièrement performants. Si la petite voiture peut faire 18-20 km avec un litre, un deux-roues équipé d’un moteur à quatre temps peut aller jusqu’à 70-80 km avec un litre. Des critères plus sévères en matière d’émission ont forcé les constructeurs à améliorer leurs technologies. L’Indien acheteur d’un deux-roues retient d’abord le côté économique plutôt que la puissance et l’accélération. Cela tient au prix élevé de l’essence.

Mais la cylindrée des véhicules disponibles sur le marché indien augmente, et aussi généralement leur consommation. Si cette tendance s’affirme, l’avantage résultant de l’utilisation de petites voitures économiques va disparaître. Actuellement il y a un grand nombre de véhicules dans le segment des 796 cc-1 400 cc (12-16 km/litre). Cela s’explique en grande partie par l’importante part de marché de la Maruti 800. Mais on va de plus en plus vers des cylindrées plus fortes. Les ventes additionnées de voitures compactes et moyennes sont passées de 53 % en 2001-2002 à 63,6 % en 2004-2005. Dans les rues indiennes, on voit surtout des petites voitures, mais il faut y regarder de plus près. Dans le segment des petites voitures, les cylindrées supérieures commencent à dominer. La part de marché de la Maruti 800 est passée de 21 % en 2001-2002 à 11 % en 2004-2005. Ce sont maintenant les modèles compacts, plus fortement motorisés (1 000 cc-1 200 cc) qui prédominent, par exemple la Santro de Hyundai, le Wagon R de Maruti. La version essence de la TATA Indica est équipée d’un moteur de 1 396 cc, d’un moteur de 1 405 cc pour la version diesel. Les compactes ont représenté 47 % des ventes en 2004-2005. On observe aussi une augmentation des ventes dans le segment dit officiellement « plus gros modèles ». La part des moyennes/familiales est passée de 12 % en 2001-2002 à 17 % en 2004-2005. La part des modèles Executive, Premium, Luxury croît également. Le problème vient surtout des SUV, gros consommateurs de carburant.

L’Inde se prend très au sérieux sur le marché international de l’automobile, mais sur le marché intérieur elle va à l’opposé du mouvement. Sur le plan mondial, les constructeurs améliorent leurs performances énergétiques pour respecter les nouvelles normes officielles ; en Inde, cette pression n’existe pas. En matière de consommation, les plus performants de nos véhicules sont bien en dessous des modèles les plus performants sur le plan international. Ce décalage est en partie dû à l’arrivée ailleurs de modèles nouvelle génération ; mais cela montre aussi que la technologie est là pour qu’on puisse faire des économies en matière de consommation de carburant. Chose curieuse, les constructeurs qui se sont installés en Inde produisent dans d’autres parties du monde des véhicules plus performants. Faut-il conclure que dans notre pays la consommation de carburant n’est pas un sujet de préoccupation ? Si bien sûr ! Mais le fait est qu’ici les industriels n’ont jamais été aiguillonnés pour faire mieux ; et c’est de la faute des pouvoirs publics.

En gros, moins le véhicule consomme de carburant, moins il émet de polluants. Partout dans le monde, les régulateurs adoptent une double stratégie : ils interviennent directement pour encadrer la consommation de carburant, ils fixent des normes pour réduire les émissions de CO2 et freiner le changement climatique, ce qui a un effet indirect sur la consommation de carburant. Le Japon, la Chine, les Etats-Unis, par exemple, ont fixé des normes en matière d’efficacité énergétique pour qu’on fasse plus de kilomètres avec moins de carburant et qu’on réduise les émissions de CO2. L’Union européenne a aussi fixé des objectifs contraignants dans ce domaine. La Californie impose des normes en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Le Pew Centre (un groupe de réflexion basé à Washington DC) a comparé, à l’échelle mondiale, toutes les normes de consommation de carburant. Les plus strictes sont celles de l’Union européenne et du Japon, les plus permissives celles des Etats-Unis et du Canada. Les pays en développement feraient bien de noter que les normes chinoises sont plus exigeantes que celles des Etats-Unis (y compris la Californie), du Canada et de l’Australie. Dans la pratique, partout dans le monde, il faut beaucoup de doigté pour définir et mettre en œuvre la réglementation. Trop de souplesse dans les normes et certaines concessions inciteraient à nouveau à la consommation. Aux Etats-Unis, les performances énergétiques des SUV (véhicules utilitaires sportifs) sont inférieures aux véhicules classiques. L’augmentation de leur nombre entraîne une baisse des économies de carburant. Et en plus ce pays tarde à appliquer des normes plus sévères pour profiter des progrès technologiques.

La question du diesel, ici et ailleurs

En Inde, des prix avantageux ont incité les gens à se précipiter sur les modèles diesel. Les ventes sont en plein essor car le législateur ne cherche pas à faire payer au propriétaire le coût de la pollution ainsi engendrée. Pour preuve le budget du gouvernement central pour 2006 qui fait rimer avantage fiscal avec petites voitures diesel. Dans le segment des « petites voitures », l’administration met les modèles de 4 m de longueur maximum, avec une cylindrée de 1 200 cc max. pour les motorisations essence et 1 500 cc pour le diesel. Donc, avec un moteur diesel, on passe en fait dans une catégorie supérieure. Les prix des modèles diesel ont chuté de 12 000 à 25 000 roupies (215-450 €). D’après les informations fournies par l’Association indienne des constructeurs automobiles (SIAM), les modèles diesel représentent maintenant plus de 30 % du marché, et certains prévoient un niveau de 50 % à l’horizon 2010. Dans la capitale, entre 1996 et 2006, leur nombre a augmenté de 425 %.

Cette mode du diesel constitue un réel problème de santé publique. La qualité de l’air des villes indiennes est menacée car, même avec « la meilleure technologie disponible » dans le pays, ces véhicules sont encore très polluants. Un rapport de 2004 financé par la Banque mondiale a étudié l’origine des PM 2,5, ces particules fines qui empoisonnent durablement l’air. En certaines saisons, elles proviennent à 61 % des moteurs diesel à Calcutta, à 23 % à Delhi, à 25 % à Bombay. Selon une étude réalisée par Marion Camarsa, de Enstrat International Ltd, Royaume-Uni, qui est un organisme spécialisé dans ce domaine, les diesels sont responsables de 40 % des émissions de NOx (oxydes d’azote). Les véhicules diesel sont d’un bon rendement énergétique, et c’est ce qui explique leur popularité. Mais ils restent plus polluants que les modèles à essence.

Le Japon et la Californie ont une stratégie à deux volets pour parvenir à un compromis entre économie d’énergie et pollution. Premièrement, ils ont imposé des normes d’émission strictes pour forcer les constructeurs à mettre en œuvre des innovations technologiques permettant d’éliminer la masse et le nombre de particules jusqu’à 99 % dans le moteur diesel. Deuxièmement, les normes imposées en matière de consommation de carburant poussent aussi les constructeurs à innover pour produire des véhicules plus performants sur le plan énergétique, plus propres. Les normes californiennes donnent le ton à l’échelle mondiale, incitent à faire progresser les techniques. Ce double volontarisme force le marché de ces deux pays à élargir son offre, à proposer des véhicules hybrides par exemple.

Le Japon est le seul pays à s’être doté de normes relatives à la consommation de carburants des poids-lourds suivant le tonnage. Dans chaque catégorie, c’est sur le modèle le plus performant que le reste doit s’aligner. Les objectifs actuels prévoient une amélioration de 23 % des performances des véhicules à essence et de 14 % pour les diesels à l’horizon 2010. Au Japon, les normes d’émission imposées aux diesels à l’échéance 2009 sont parmi les plus strictes. Voici ce que dit Takao Onoda, spécialiste à l’Agence internationale de l’Energie de Paris : « Si le pollueur local constitue un problème, il faudra mettre en œuvre des mesures antipollution plus sévères. C’est ce qu’a fait le Japon, de sorte que maintenant les véhicules utilitaires diesel sont devenus une espèce en voie de disparition dans ce pays ».

De son côté, la Californie a instauré des normes pour les émissions de gaz à effet de serre auxquels se conformeront en principe les constructeurs de ce type de véhicules. On espère ainsi réduire de 30 % ces émissions à l’horizon 2016. Dans cet Etat, les normes sont également « fuel neutral », c’est-à-dire qu’elles s’appliquent de manière identique aux motorisations essence et diesel.

En matière d’économie de carburant, la Chine a élaboré une réglementation visant à décourager l’usage de gros véhicules diesel. Les limites supérieures pour les gros engins ont été renforcées et le différentiel de prix entre essence et diesel est peu significatif, ce qui enlève beaucoup à l’attrait du diesel. Les normes d’émission deviennent également plus sévères.

En Inde, les normes en vigueur actuellement sont Euro III dans onze villes et Euro II ailleurs. Les véhicules diesel sont autorisés à émettre plus de particules fines et d’oxydes d’azote que les véhicules à moteur. Euro IV, actuellement en vigueur en Europe, autorise un niveau d’émissions de NOx trois fois plus élevé pour un moteur diesel que pour un moteur à essence. L’Europe n’est pas parmi les meilleurs. Les normes US Tier II pour les véhicules commerciaux, par exemple, sont environ 80 % plus exigeantes que les normes Euro IV pour cette même catégorie. Elles sont même 90 % plus exigeantes pour le NOx et 60 % pour les particules fines que Euro V (qui s’appliquera à partir de 2008). En matière de normes d’émissions, les Etats-Unis et le Japon distancent l’Europe, et l’Inde est évidemment à la traîne. Il faudrait qu’elle se renseigne et qu’elle passe aux actes.

En Inde, les hommes politiques ont mis bien du temps à réagir sur la question de l’efficacité énergétique. En 2004, le gouvernement proposait aux constructeurs automobiles de déclarer « volontairement » la consommation de leurs modèles. Mais comme il n’y a pas eu de suivi dans cette affaire, les constructeurs ne sont même pas allés jusque-là. On ne parle pas de ça dans les caractéristiques techniques des prospectus. Juste une allusion dans la publicité pour gagner des points sur les concurrents, mais il n’existe pas de base de données ou de système de certification pour prouver la chose. On se contente de tests routiers effectués pour le compte de revues sur l’automobile.

Quelques mesures sont en cours de préparation cependant. Le projet de rapport du Groupe de travail sur le secteur du pétrole et du gaz naturel pour le onzième Plan quinquennal (2007-2012) recommande un renforcement des normes moyennes pour améliorer les performances énergétiques du nouveau parc automobile, de 8 % au cours du Plan quinquennal, de 5 % par la suite. Pour toutes les nouvelles voitures, les véhicules commerciaux et les deux-roues, on aurait à l’horizon 2012 une progression moyenne de 45 % en économie de carburant. Les industriels disent qu’il ne sera pas facile de calculer ou de maintenir l’efficacité énergétique étant donné l’état des routes. Ils craignent que les consommateurs les montrent du doigt et ne veulent donc pas de normes : il faut laisser les forces du marché jouer librement, clament-ils. On sait pourtant que le marché est souvent biaisé et ne fonctionne pas à la perfection.

Les transports publics, ça rapporte

Pour contenir l’insécurité énergétique, il va falloir s’attaquer aux racines du mal : éviter les kilomètres superflus, contrôler son envie de bouger. Partout dans le monde, les gouvernements élaborent des politiques incitatives pour que les gens utilisent davantage le bus, le métro, le train, la bicyclette, ou aillent à pied. Pour freiner une consommation insatiable, faisons respirer les routes et les rues congestionnées, et respirons un air meilleur. Un rapport intitulé Transport, Energie et climat planétaire disponible au ministère allemand de la coopération économique et du développement fait apparaître que la consommation d’énergie par les transports individuels peut être jusqu’à dix fois moins élevée dans une ville qui dispose de transports publics efficaces et bien adaptés à la demande. Cela est également vrai pour les émissions de gaz à effet de serre.

L’Inde ferait bien de prendre la chose à cœur. L’Agence internationale de l’Energie (AIE) estime qu’en matière de consommation de pétrole et d’émissions de dioxyde de carbone, il peut y avoir une différence de 100 % si l’on accorde une place prépondérante à des réseaux de bus de haute qualité, contrairement à la situation de Delhi et son abondance de véhicules privés. Selon l’AIE, même les bus les plus polluants lâchent dans l’air beaucoup moins de CO2 par km/passager que les autres véhicules. Les pays développés (l’Europe en particulier), malgré leur obsession des voitures privées, ont commencé à reconstruire ou moderniser leurs réseaux de transports publics pour diminuer la consommation de carburant et réduire les émissions de CO2.

Dans les grandes agglomérations indiennes, une bonne partie des déplacements est assurée par les transports publics : 88 % à Mumbai (Bombay), 76 % à Kolkata (Calcutta), 70 % à Chennai (Madras), 62 % à Delhi. Dans l’Administration centrale et dans les Etats, les décideurs n’ont pas compris l’intérêt de cette situation. La politique fiscale est si biaisée qu’une part disproportionnée des taxes pèse sur les transports publics. Un document de la Banque mondiale de 2004 relève que, dans les villes indiennes, la charge fiscale par km/véhicule est 2,3 fois plus élevée pour les autobus des réseaux publics que pour les voitures particulières. La taxe routière annuelle pour un bus de Delhi est plus élevée que celle payée une fois pour toute par une voiture. A Pune, les autorités ont récemment instauré une nouvelle taxe sur les passagers du réseau public d’autobus afin de soulager le déficit du budget du Maharashtra. Et l’idée d’une taxe routière a été abandonnée pour cause d’opposition.

Il existe de plus en plus d’exemples pour prouver qu’on peut réduire l’impact du facteur énergie dans la mobilité (voir Prenez le bus). Certains gouvernements ont commencé à calculer le coût des embouteillages quand ils préparent leurs politiques fiscales. En Inde, c’est une démarche tout à fait inconnue. Le coût de la congestion des voies routières représente près de 3 % du PIB dans les pays de l’OCDE, et plus dans les pays asiatiques : 4,4 % en Corée, 6 % à Bangkok. Face à cette évidence, les responsables gouvernementaux ont dû recourir à des stratégies fondées sur les forces du marché afin d’inciter les gens à se déplacer autrement et réduire la facture d’une telle situation.

Les résultats sont impressionnants. A Singapour, le péage urbain électronique instauré en 1988 a fait baisser de 13 % l’intensité du trafic dans les zones ciblées et améliorer de 20 % la vitesse de circulation. Ce système produit des recettes imposantes chaque année. Par ailleurs un plan de permis par zone, qui réglemente l’entrée dans le centre commerçant, a fait chuter de 50 % le volume du trafic malgré le triplement de la demande de déplacements au cours des vingt-cinq dernières années. A Londres, la taxation de la circulation dans le centre a fait baisser de 16 % la circulation et de 30 % la congestion des rues. A Stockholm, deux mois après la fin d’une période expérimentale de six mois qui se terminait en juillet 2006, on a définitivement adopté par référendum (51 % pour) un système de péage urbain. A Trondheim, Norvège, le péage urbain en vigueur de 1991 à 2005 a réduit de 10 % la densité de la circulation.

Prenez le bus, ça aide

D’une étude de la Banque asiatique de développement (2006) sur le thème Efficacité énergétique, changement climatique et transports routiers, et qui analyse les scénarios possibles jusqu’en 2020, il ressort des perspectives encourageantes :

Bangalore

Si la part des transports publics passe de 62 % à 80 %, on économise 765 320 tonnes d’équivalent pétrole, soit 21 % de la consommation de départ. Autres avantages : réduction de 23 % du nombre de véhicules, libération de l’espace routier (équivalent à 418 210 véhicules en moins sur les voies, baisse de 13 % des émissions de CO2, de 29 % des particules fines, de 6 % du dioxyde d’azote.

Dacca

Si la part des transports publics passe de 24 % à 60 %, on économise 106 360 tonnes d’équivalent pétrole, soit 15 % de la consommation de départ. Libération de l’espace routier, équivalent à 78 718 voitures en moins sur les voies, baisse de 9 % des émissions de CO2, de 1 % du dioxyde d’azote.

Colombo

Si la part des transports publics passe de 76 % à 80 %, on économise 104 720 tonnes d’équivalent pétrole, soit 3 % de la consommation de départ. Baisse de 5 % du nombre de véhicules et libération de l’espace routier équivalent à 62 152 véhicules en moins.

Normes + fiscalité : trouver le bon mélange

Le souvenir de l’augmentation des cours du pétrole de l’année dernière, avec ses répercussions économiques et politiques, s’est estompé. Le pays attend maintenant ce que lui réserve le prochain budget central (2007-2008). Les journaux parlent abondamment d’une baisse des taxes sur les automobiles, surtout les gros modèles : c’est ce que réclament les constructeurs. Y a-t-il de nouveaux petits cadeaux dans l’air ? Depuis 2001, les budgets centraux traduisent une sympathie évidente pour l’industrie automobile. Cela entraîne de sérieuses répercussions en matière d’énergie et de pollution. Des déductions fiscales massives ont été accordées coup sur coup. Les cadeaux de l’an dernier pour les petits modèles et les concessions faites aux petits diesels ont largement ouvert les portes. En ne payant pas les coûts de la pollution (notamment pour les conséquences sur la santé), de l’accaparement de l’espace urbain, l’industrie automobile profite d’autant de subventions déguisées. Elle continue à externaliser les coûts véritables de ses produits sur la société, et le gouvernement sacrifie des revenus en leur faisant des concessions fiscales.

Les pouvoirs publics ne semblent pas se préoccuper de la grande soif qu’ils vont laisser venir en favorisant les petites voitures sans fixer en même temps des objectifs précis afin de réduire la consommation pour chaque classe de véhicules. Dans ce contexte, le recours aux petites voitures aura globalement moins d’effet. Si on n’investit pas en même temps dans le transport de masse, le nombre de ces véhicules ira toujours croissant, et au total ce sera peine perdue pour les économies de carburant. Le nouvel attrait pour de plus gros modèles (qui consomment plus et pour lesquels il n’y a pas de normes officielles) va continuer à accroître l’insécurité énergétique du pays.

Le budget du gouvernement central ne peut être le seul et unique moyen d’intervention. Le gouvernement central doit aussi imposer des normes de consommation d’énergie afin de forcer les fabricants à améliorer leurs techniques. Et les gouvernements régionaux doivent réduire la fiscalité sur les autobus et augmenter les taxes routières et autres sur les véhicules privés. C’est au ministère des finances de donner le signal. Le ministère doit moduler la fiscalité pour améliorer l’efficacité énergétique de l’ensemble du secteur des transports. Il doit au minimum maintenir un écart entre petites voitures et grosses voitures, tout en augmentant les taxes pour les deux, et dans le même temps faire évoluer les transports publics de l’autobus vers le métro. Les bus constituent une partie de la solution aux problèmes de l’énergie, de la pollution, de la mobilité. Le prochain budget devrait réduire la fiscalité sur les bus afin de favoriser une rapide expansion des réseaux, comme cela a été prévu par la Mission J. Nehru pour le renouveau urbain.

En essayant de remédier à un problème, le ministère des finances ferait bien d’éviter d’en aggraver un autre. Prenons l’exemple des voitures diesel. Le diesel reste moins cher que l’essence parce que le gouvernement dit que c’est indispensable pour la vie économique. La forte différence de prix incite évidemment l’acheteur à se porter massivement vers les voitures et SUV à motorisation diesel. C’est bien dommage pour la santé publique. Il y a deux options. Ou bien le gouvernement décide qu’il n’y aura plus de motorisation diesel sur les véhicules privés, ou bien il supprime l’avantage prix du diesel pour les véhicules privés. Il suffirait de leur ajouter une taxe environnementale supplémentaire. Promouvoir les voitures diesel au nom de l’efficacité énergétique sans fixer en même temps des normes en matière de consommation de carburant, c’est mauvais. Comme le diesel est moins cher, on circulera davantage, ce qui n’est pas bon pour les économies d’énergie et les émissions de gaz.

Notre Centre pour la science et l’environnement a essayé de chiffrer les pertes de revenus pour le Trésor public attribuables à l’usage des voitures diesel. L’essence est lourdement taxée et apporte beaucoup d’argent à l’Etat. Le diesel l’étant nettement moins, il y a forcément des rentrées moindres pour le Trésor public. Et cela va continuer ainsi : on estime qu’à l’horizon 2010, 50 % des nouvelles ventes seront des diesels. La voiture diesel coûte plus cher à l’achat, mais l’utilisateur récupère sa mise au bout de quatre ans. Et c’est l’Etat qui dans la durée subit une perte, en subventionnant les riches. Avec l’accroissement des ventes de voitures diesel fonctionnant au diesel pas cher, l’Etat met ce carburant au service du luxe et du plaisir. L’heure est venue de faire des choix pour notre ministre des finances.

Mots-clés

moyen de transport, consommation d’énergie, pollution atmosphérique, politique de l’énergie


, Inde

dossier

Le problème, c’est la voiture en ville (Notre Terre n°22, juin 2007)

Notes

Traduction en français : Gildas Le Bihan (CRISLA)

Source

CRISLA, Notre Terre n° 22, juin 2007. Sélection d’articles de Down To Earth, revue indienne écologiste et scientifique, publiée par CSE à New Delhi.

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