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Mondragon, une coopérative en Espagne

Rajni BAKSHI

09 / 2008

Les alternatives économiques sont redevables à et tirent leur inspiration de plus de deux siècles d’expérience du mouvement coopératif. Tout au long du 19ème siècle, en Europe, les coopératives ont émergé dans de nombreux domaines : agriculture, industrie, services. En 1895, ce mouvement a conduit à la création de l’Alliance Internationale des Coopératives à Londres. L’hypothèse fondamentale du mouvement coopératif est la confiance dans la capacité naturelle des personnes de progresser par elles-mêmes économiquement et socialement à travers une entraide mutuelle dans le cadre d’organisations économiques contrôlées démocratiquement.

En Espagne, les coopératives Mondragon de la région Basque sont peut-être l’exemple le plus connu d’entreprises industrielles démocratiquement gérées par les travailleurs et qui n’ont cessé de se développer et de prospérer durant 50 ans. Ces coopératives ont été créées peu après la seconde guerre mondiale par le jeune vicaire jésuite Don Jose Maria Arizmendiaretta dans un contexte où, face à l’extrême pauvreté de la région, la plupart des jeunes migraient à la recherche de travail. Don Jose Maria était, lui, convaincu qu’une coopérative humaniste pouvait réussir dans le monde capitaliste.

Tout a commencé avec la création d’une école technique et plus tard d’une petite usine de fourneaux et réchauds. Afin d’augmenter le capital pour les entrepreneurs, l’équipe a mis en place une banque coopérative, la Caja Laboral Popular (Banque Populaire des Travailleurs), qui se fonctionne avec l’épargne de la population locale. Les fondateurs de cette nouvelle banque ont fait appel à la population basque en affirmant que c’était une manière de construire l’industrie locale et de garder les jeunes dans la région.

L’usine de fourneaux a été le point de départ d’une série d’unités industrielles et de services détenus par les travailleurs répartis dans toute la région. Les profits des coopératives sont partagés entre les travailleurs-associés, le capital propre et un fonds social destiné à la communauté. L’école de commerce est finalement devenue un institut polytechnique offrant une formation de haut niveau. Le réseau Mondragon comprend maintenant des firmes industrielles de haute technologie, des réseaux agricoles, des écoles, une université, des magasins de détail, des complexes immobiliers, une banque coopérative, des instituts de recherche-développement et une coopérative sociale. Les coopératives Mondragon visent à équilibrer les intérêts à plusieurs niveaux, par exemple l’individu avec la communauté, la coopérative particulière avec le système coopératif, les intérêts humains des ouvriers avec les nécessités du marché, les procédés industriels avec l’environnement.

A la fin des années 90, la Caja Laboral Popular était devenue une grande banque avec des centaines de branches et un capital d’environ 10 milliards de dollars. Les coopératives Mondragon employaient en tout 26.000 personnes et avaient un chiffre d’affaires de 10 milliards de dollars. A cette époque les unités se sont réorganisées en Corporation des Coopératives Mondragon (Mondragon Cooperative Corporation, MCC) qui est actuellement l’une des plus importantes sociétés espagnoles présentes sur le marché de l’Union européenne.

La MCC se décrit comme une initiative socio-économique fondée sur l’entreprise, « créée pour et par la population et s’inspirant des principes de base de l’expérience coopérative. Elle s’engage fermement en faveur de l’environnement, de l’amélioration de la compétitivité et de la satisfaction des clients afin de créer de la richesse dans la société à travers le développement des affaires et la création d’emploi, de préférence coopératif. » En 2002 la MCC a engagé un processus qui a conduit à la création de l’Association Européenne des Groupes Coopératifs qui favorise la transmission de savoir-faire entre les groupes coopératifs.

L’ouvrage de Roy Morrison, We Build the Road as We Travel: Mondragon, A Cooperative Social System, (Philadelphie- USA, New Society Publishers, 1991) montre comment les coopératives de travailleurs ont un rôle clé à jouer dans la transition globale hors des structures économiques hiérarchiques et destructrices pour l’environnement. Bien sûr, la MCC n’est pas un groupe idéal et doit aussi affronter les problèmes écologiques et sociaux qui affectent toutes les sociétés industrielles. Pour certains observateurs, la MCC est aujourd’hui davantage une entreprise qu’une coopérative. Néanmoins, elle est toujours largement considérée comme un grand succès dans le compromis trouvé entre la théorie égalitaire et la pratique concrète sur le long terme. Comme l’écrit Morrison, Mondragon nous aide à aller au-delà du discours utopique et à « clarifier et expliquer ce qui se passe réellement, ce qui est implicite dans une réalité complexe »

A propos des structures démocratiques des coopératives Mondragon, Mark Lutz écrit :

« Les membres ont en dernier lieu le contrôle de l’entreprise. Ils se rencontrent à l’assemblée générale (AG) annuelle et élisent leurs représentants qui engagent alors une équipe de gestionnaires. Chaque membre a un certificat d’adhésion qui lui permet de voter à l’AG et d’avoir une participation dans les profits (ou perte) annuels. Il n’y a pas d’actions dans ces sociétés mais chaque ouvrier membre a un compte individuel sur lequel, chaque année, les bénéfices sont crédités selon une formule qui tente de refléter la contribution à la production de chacun. A travers cette formule la plupart des profits sont réinvestis. Cependant ils n’appartiennent pas à la société mais équivalent à des prêts sur le long terme par les travailleurs eux-mêmes. Le total des sommes présentes sur ces comptes retrace le chiffre d’affaire de la MCC. Quand le travailleur quitte l’entreprise, il ou elle récupère la somme qu’il/elle a accumulée pendant toutes ses années de travail. Il/elle est remplacé(e) par un nouveau travailleur qui ouvre un nouveau compte en son nom propre. »

« Les coopératives Mondragon, qu’elles aient été couronnées de succès ou non, ne sont pas à vendre. Les personnes extérieures ne peuvent pas s’en rendre propriétaires ou en prendre le contrôle. Cela permet de s’assurer de la capacité des gestionnaires à être socialement responsables et à travailler avec, en tête, l’intérêt à long terme de la communauté, en poursuivant par exemple une politique de création d’emplois. »

« Le dernier chapitre de l’histoire réussie de Mondragon doit encore être écrit. Par exemple, on ne voit pas encore clairement comment les coopératives pourront concurrencer des produits fabriqués dans des usines délocalisées avec une main d’œuvre bon marché et commercialisés par des sociétés transnationales concurrentes. On peut aussi penser qu’en raison de la comptabilité interne les travailleurs courent un grand risque en mettant tous leurs œufs dans le même panier. Mais il faut prendre en compte le fait que les coopératives Mondragon sont très diversifiées. D. Ellerman explique ainsi qu’« au lieu que le travailleur diversifie son capital auprès de six entreprises, ce sont six entreprises qui mettent en commun leurs bénéfices dans un groupe ou une fédération et réalisent le même objectif de réduction des risques ». [Ellerman, “The Corporation as a Democratic Social Institution” in Social Economics: Retrospect and Prospect, ed. M.A.Lutz, Boston, MA, Kluwer Academic Publishers, 1990].

Mots-clés

coopérative, développement alternatif, économie solidaire


, Espagne

dossier

Une Economie du bien-être: regards sur les alternatives économiques

Notes

Traduit de l’anglais par Valérie FERNANDO

Cette fiche est également disponible en anglais : Mondragon, a cooperative in Spain

Quelques lectures:

  • W.WHYTE and K.WHYTE, Making of Mondragon, Ithaca, NY, Cornell Univ. Press 2nd edition, 1991

  • M.A.LUTZ, “The Mondragon Cooperative Complex: An Application of Kantian Ethics to Social Economics” , in International Journal of Social Economics, 1997, vol. 24:12, pp. 1404-1421

  • M.A.LUTZ, “The Mondragon Cooperative Enterprise System in Today’s Global World,” in R.C.Dyck and M.Mulej (eds.), Self-Transformation of the Forgotten Four-Fifths, Dubuque, IA, Kendall/Hunt Publishing Co., 1998, pp.39-54

  • Roy MORRISON, We Build the Road as We Travel: Mondragon, A Cooperative Social System, Glad Day Books, 1999

Source

Livre

Rajni BAKSHI, An Economics For Well-Being, Centre for Education and Documentation, Mumbai & Bangalore, 2007

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