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Quel espoir pour les petits paysans en Inde ?

Valérie FERNANDO

01 / 2009

Dans le contexte de l’attaque terroriste spectaculaire de Bombay du 26 novembre 2008, l’information est passée pratiquement inaperçue dans la presse indienne. Pourtant elle témoigne de la situation dramatique, parfois désespérée, dans laquelle se trouve une grande partie de la paysannerie indienne.

Cette information, ce sont les derniers chiffres des suicides de paysans en Inde pour l’année 2007. Publiés par le National Crime Records Bureau (bureau national d’enregistrement de la criminalité, car en Inde le suicide est juridiquement considéré comme un crime), ils n’indiquent aucune tendance à la baisse de ce phénomène apparu dans les années 90 avec la libéralisation de l’économie indienne. En 2007, on a ainsi comptabilisé 16.632 suicides (17.060 en 2006), alors que depuis 1997 ce sont 182.936 paysans qui ont mis fin à leur vie, croulant sous le poids des dettes, devenus incapables de subvenir aux besoins essentiels de leur famille ou de payer la dot, généralement conséquente, pour le mariage de leur fille.

L’État du Maharashtra (dont Bombay est la capitale), et plus particulièrement sa région orientale du Vidarbha, s’avère le plus « touché » en termes absolus avec 4.238 suicides en 2007, soit 25 % des cas de l’ensemble du pays. Les cultures principales y sont le coton, le riz (paddy), le soja, et les oranges. Les suicides sont surtout survenus parmi les cultivateurs de coton mais, depuis quelques années, les cultivateurs de riz sont aussi concernés.

Les origines du désespoir des paysans du Vidarbha sont multiples, liées aux contextes local et global. L’une des raisons principales semble toutefois résider dans l’orientation libérale de la politique agricole du Gouvernement indien depuis 1991 avec, notamment, l’abandon des cultures vivrières pour les cultures commerciales (coton, soja) et l’ouverture aux semences transgéniques de coton Bt provenant des États-Unis, qui s’est avérée catastrophique pour les cultivateurs indiens : augmentation des coûts de production, utilisation intensive de pesticides, obligation de racheter chaque année de nouvelles semences. La baisse mondiale du prix du coton a frappé de plein fouet les petits paysans indiens alors que le coton américain, largement subventionné par le Gouvernement des États-Unis, s’est imposé en Inde, laissant la masse des paysans indiens dans une situation toujours plus dramatique.

Dans ce contexte, ces derniers n’ont reçu aucun appui à moyen ou long terme de la part du Gouvernement indien, qui a limité son aide à des ‘relief packages’ dont seule une petite partie des paysans endettés, ceux ayant emprunté auprès d’une institution financière, a pu bénéficier. Car l’endettement de la petite paysannerie est essentiellement informelle et se fait auprès des proches mais surtout des usuriers et gros propriétaires terriens, à des taux d’intérêt irréalistes.

Au niveau local, le Vidarbha souffre également d’une absence de politique de développement des infrastructures générales (routes, électricité) ou plus spécifiquement liées à l’agriculture (irrigation). L’une des raisons en est que la plupart des responsables politiques de l’État sont issus de la partie occidentale du Maharashtra, sur laquelle ils concentrent leurs efforts : la corruption, le clientélisme et le népotisme font en effet partie intégrante du système politique indien et entravent grandement les efforts et projets de développement.

Des éléments d’explication conjoncturelle à cette situation tragique sont parfois avancés : sécheresses à répétition, assèchement consécutif des nappes phréatiques, crise économique mondiale rendant incertains les prix du coton et du soja. Mais une vraie politique de soutien à l’agriculture aurait dû permettre d’en limiter les conséquences catastrophiques pour les familles paysannes.

Face à l’incurie de l’État, la planche de salut semble résider une fois de plus dans la volonté et l’initiative d’individus qui refusent l’inexorable et veulent croire en leur capacité d’action et de transformation. Dans la région du Vidarbha, le village de Girata (district de Washim) donne le ton (1). Ici, les paysans ont décidé de se prendre en main en se convertissant en partie à la production laitière. Leur succès est tel qu’ils viennent de refuser fièrement l’aide d’urgence ponctuelle offerte récemment par le Gouvernement indien aux paysans endettés.

A l’origine de cette initiative locale se trouve Prakash Rathod. Professeur à l’université de Washim, il s’est inspiré d’expériences de collectifs paysans étudiées ailleurs au Maharashtra pour encourager les paysans de son village d’origine à se regrouper. C’est ainsi qu’en 2006, les agriculteurs de Girata, producteurs de coton fortement endettés, se sont réunis en un groupe d’entraide (Self Help Group) de vingt paysans pour lancer la « révolution » du lait. La Sevalal Maharaj Farmers a tout d’abord collecté 100 roupies par paysan et est parvenue à obtenir un crédit de 100.000 roupies (1500 Euros) auprès de la State Bank of India afin d’acheter deux buffles par paysan. La production quasi immédiate de lait leur a permis de rembourser rapidement cet emprunt à raison de 1.100 roupies par mois. Aujourd’hui le village possède 250 buffles et produit jusqu’à 500 litres de lait par jour, vendu au marché de Washim. La prochaine étape de ce projet est la diversification de l’offre avec la transformation des produits laitiers et l’achat d’un camion réfrigéré.

Cette initiative a permis aux paysans de Girata de s’assurer un revenu mensuel modeste de 5.000 roupies (80 Euros), en plus des revenus de l’agriculture, et d’épargner 100 roupies par mois, destinés au collectif. Les paysans et leur famille sont sortis de l’endettement, ils mangent à leur faim et ont désormais des revenus supérieurs à ceux perçus avec le coton.

De telles initiatives sont encourageantes en ce qu’elles montrent que la misère et le désespoir ne sont pas une fatalité. Elles n’en éclairent cependant que plus fortement les failles de la politique de développement de l’Inde qui crée un fossé croissant entre la minorité des riches, profitant des niches offertes par la libéralisation économique du pays, et la grande majorité des ruraux et pauvres urbains qui en font les frais.

Le secteur agricole est aujourd’hui dangereusement négligé alors que 60 % de la population indienne y travaille et que 200 millions de paysans sans terre en dépendent. Dans un contexte global de crise économique, on peut penser que la stimulation de l’agriculture indienne, par le développement des infrastructures, l’accès au crédit productif à faible taux d’intérêt et le soutien du prix des denrées, est une condition sine qua non pour relancer durablement l’économie indienne et améliorer les conditions de vie d’une population majoritairement rurale.

Cf. l’article de Jaideep Hardikar, ‘These Vidarbha farmers beat the debt trap’, DNA, December 28, 2008

Mots-clés

paysan, pauvreté, politique agricole


, Inde

Notes

Valérie Fernando est partie à Mumbai (Bombay) en Inde au CED, Centre for Education and Documentation, dans le cadre des programmes de mobilité d’Echanges et Partenariats avec comme partenaire Ritimo.

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