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Pour la diversité de la petite agriculture en Inde

Un entretien avec Seshagiri Rao

Centre for Education and Documentation

07 / 2009

Le pluralisme est souvent présenté comme un objectif souhaitable. Nous voyons cependant de plus en plus la pensée unique dominer tous les aspects de nos vies, que ce soit au niveau économique, social, éducatif ou culturel.

En phase avec cette tendance, les politiques publiques, la recherche scientifique et les projets de développement conçoivent l’agriculture comme une activité uni-dimensionnelle, et non comme un mode de vie, ce qu’elle est pourtant pour la majorité des agriculteurs.

Le Centre for Education and Documentation a rencontré le Dr. Seshagiri RAO, à la fois chercheur scientifique agricole impliqué dans la recherche universitaire dominante et agriculteur, gérant son exploitation traditionnelle. Il a étudié l’agriculture, s’est spécialisé dans la culture des plantes et la génétique puis a étudié l’écologie à l’Institut Indien des Sciences (Indian Institue of Science, IIS). Alors même qu’il était à l’IIS, il vivait à Pavagoda, dans une région reculée à la frontière de l’Andhra Pradesh et du Karnataka, à 175 km soit cinq heures de bus de l’IIS. A partir de 1992, sa maison et son village sont devenus les stations de recherche de terrain de l’IIS.

Interrogé sur les systèmes d’exploitation, le Dr Rao raconte comment ils ont passé cinq ans à faire de la recherche sur l’arachide, qui était la culture dominante de toute la région de Rayalseema (1) pour finalement se rendre compte à quel point ils allaient dans la mauvaise direction. Ils ont alors élargi leurs recherches à l’ensemble des moyens de subsistance. Ils ont découvert que la solution la plus profitable et la moins risquée pour améliorer les conditions de vie des agriculteurs était l’élevage de moutons et de chèvres.

L’arboriculture est un autre moyen de subsistance agricole important. Les arbres dans les régions semi-arides offrent une protection contre les mauvaises récoltes et fournissent de la biomasse. Un autre élément important de l’économie de survie dans les zones semi-arides est l’artisanat. Certaines tribus spécialisées, comme les Lambadas, ont un artisanat très riche, notamment de transformation des produits de la forêt autres que le bois.

Ainsi, un petit paysan dans un zone semi-aride s’investit dans un ensemble d’activités qui ne peuvent pas être mesurées par la culture économique dominante. La diversité est la clef des stratégies de survie des petits agriculteurs. Malheureusement, tous nos programmes de développement tendent à aller contre cette diversité et à consommer les ressources comme la terre et la bio-masse, en générant des déchets. On nous incite à considérer cela comme les dommages collatéraux de la « croissance » et du « développement » tandis que les activités telles que le paillage, le recyclage de la biomasse, les petits potagers, l’élevage de volaille, la confection de nattes sont décrits comme inutiles car ne générant par de valeur monétaire équivalente au salaire minimum ou ne pouvant pas être quantifiés comme des marchandises.

Plus important encore, la notion de couverture des risques est limitée à l’aspect financier et tend à encourager les systèmes d’assurance. Pourtant, il existe une corrélation claire entre la diversification des moyens d’existence et l’équité. Les systèmes agricoles mixtes aident à diversifier les sources de revenus et d’emploi pour les agriculteurs pauvres ou les travailleurs sans-terres et offrent un potentiel considérable pour lutter contre la pauvreté.

L’élevage dans l’économie agricole

Dans les systèmes agricoles conventionnels, l’attention est portée sur la maximisation de la production, que ce soit les céréales, la viande ou le lait, en ajoutant des intrants extérieurs et par la recherche sur les semences et la reproduction animale. Ainsi les productions céréalière et animale sont devenues de plus en plus spécialisées et séparées l’une de l’autre. Les céréales sont cultivées avec des engrais inorganiques et le bétail est nourri avec ce grain. La production animale a perdu son rôle de complément et de soutien à l’agriculture et est entrée en concurrence avec les êtres humains pour la consommation des céréales.

De son côté, la petite agriculture qui allie élevage et culture, utilise la terre de manière relativement durable : les résidus des cultures nourrissent les animaux, le fumier sert d’engrais et de combustible et la force des animaux de trait diminue les besoins en énergie fossile.

L’élevage fait partie de la plupart des systèmes agricoles et est une composante intégrée de l’agriculture intensive. L’importance de l’élevage repose principalement dans sa capacité à convertir la biomasse qui n’est pas directement utile aux êtres humains (herbes, feuilles, paille, déchets agricoles) en produit animal. Le bétail fournit non seulement du lait très nourrissant, des œufs, de la viande mais aussi des plumes, des fibres (laine) et de la peau (cuir). Il fournit aussi du fumier riche en nutriments pour les cultures.

Jusqu’à présent, en Inde, la forme la plus commune d’élevage est celle intégrée à la petite agriculture. Pour les petits agriculteurs, l’élevage fondé sur le travail familial et les résidus des produits des cultures poussant sur leurs terres demeure une source importante de revenu et d’emploi. Dans ces systèmes, l’élevage est réparti équitablement par rapport aux terres : les petits agriculteurs détiennent seulement 32% du total des terres mais possèdent 59% des bovins et 64% des ovins.

L’intensité d’élevage sur les terres en Inde est élevée, avec une taille moyenne d’exploitation de 1,57 ha comprenant environ 2,94 bovins et 1,14 ovins. La production animale des petits exploitants contribue de manière substantielle à l’économie. En Inde, l’élevage contribue à 30% de la production totale des exploitations et 80% des produits de l’élevage proviennent des petits agriculteurs possédant entre 3 et 5 animaux et moins de 2 hectares de terres.

On estime qu’un quart des terres totales dans le monde est utilisé pour l’élevage, y compris les systèmes de pâturage intensif. Un autre cinquième des terres arables est utilisé pour la culture des céréales destinées à l’alimentation du bétail. La production animale est donc l’utilisateur le plus important des terres dans le monde. La demande mondiale de viande devrait doubler dans les vingt prochaines années, créant une demande croissante pour les céréales. Les pays du Sud devraient devenir les principaux producteurs de viande et de produits animaux pour le reste du monde, avec une dépendance accrue aux importations de céréales. On prévoit que le bétail ne sera plus élevé pour des usages multiples dont l’approvisionnement alimentaire local, mais le sera dans des usines pour l’exportation. De nombreuses petites exploitations deviendront non compétitives et seront remplacées par des exploitations industrielles à grande échelle (Delgado).

Diversifier la production agricole

Conscient de la nécessité de rétablir la diversité dans les exploitations, le Dr Seshagiri Rao a développé un projet spécifique avec un réseau d’ONGs dans toute la bio-région.

« Quand nous avons cherché ceux qui avaient de l’argent, nous nous sommes rendus compte que les éleveurs de mouton étaient aisés et que la plantation d’arbres était aussi une bonne option dans cette bio-région. Contrairement aux personnes qui se spécialisent, celles qui diversifient leurs cultures et leurs entreprises prospèrent. Et les personnes qui développent une stratégie pour tirer profit des bonnes années quand les pluies sont abondantes réussissent aussi. »

Seshagiri souligne le fait qu’en général on pense que les zones semi-arides comme Rayalseema sont déficientes en eau. En réalité il y a des périodes et des années de bonnes précipitations. Les bergers le savent si bien que quand il pleut en quantité ils augmentent la taille de leurs troupeaux qu’ils nourrissent de l’herbe qui pousse alors en abondance.

« Nous avons testé scientifiquement environ cinq principes que nous avons appris des paysans. Nous avions l’avantage de disposer de 100 ans de données de précipitations. Nous avions aussi des modèles de simulation informatique des cultures donnant le profil des rendements. Nous pouvions donc voir comment l’arachide se comporterait sur 100 ans. La même chose pour le ragi. Nous avons testé les résultats pour 10 variétés d’arachide avec différents niveaux d’engrais. A partir des simulations nous avons vu que la combinaison de deux cultures, le pois d’Angole et l’arachide, donnait de meilleurs résultats.

Nous avons utilisé notre compréhension scientifique pour nous adapter à l’irrégularité des précipitations, sélectionner des cultures avec des racines plus ou moins profondes, différentes périodes de maturation, différentes phases de croissance, différentes résistances aux insectes ravageurs et différents besoins en nutriments.

Nous avons alors combiné les cultures et les arbres. Ceux-ci fournissent beaucoup de biomasse, donc nous avons ajouté la composante bétail qui fournit automatiquement le fumier, sans qu’il soit nécessaire de faire du compost.

Nous avons aussi utilisé les méthodes scientifiques pour mettre en place un système qui dépend plus de la croissance végétative que de la croissance reproductive. D’ordinaire, les cultures comme l’arachide ont une période critique de 15 jours quand elles remplissent leurs cosses. Pendant cette période, si le sol n’est pas suffisamment humide la récolte est gâchée. Toute la pluie précédente ou suivante est inutile. C’est la même chose avec le pois d’Angole et le tournesol. Il est donc logique de ne pas se reposer sur la croissance reproductive (très sensible au temps) dans ces situations de précipitations incertaines et de faible capacité de conservation de l’humidité du sol (pas plus de 10 jours à Rayalseema).

A l’inverse, la croissance végétative est opportuniste : elle a lieu quand il pleut. Le système doit donc reposer, pour les revenus de base, sur la croissance végétative, c’est-à-dire les arbres. Mais les paysans veulent des revenus dans les six mois et les arbres ne sont généralement rentables qu’au bout de cinq ans. La plupart des agriculteurs voient les arbres comme concurrents de l’arachide car s’ils en plantent 10, ils perdent deux rangées d’arachide. Ils auront même tendance les couper. Alors comment faire d’un coupeur d’arbres un planteur d’arbres ?

Le mouton du Deccan permet de répondre à cette question : si les paysans élèvent des moutons alors il y a une demande de fourrage. Mais comme aucun petit paysan ne plantera de cultures à fourrage, il y aura donc un besoin d’arbres. Dans le projet actuel d’élevage de mouton, nous espérons ainsi intégrer les arbres dans l’agriculture pluviale car c’est une activité rentable pour les paysans : par exemple un agneau de trois mois bien nourri pendant 6 mois peut apporter un profit équivalent au double de l’investissement. Si vous achetez un agneau pour 1.300 roupies et le nourrissez bien, vous pouvez le revendre 3.000 roupies 6 mois après. Si vous le faites pour 5 ou 10 agneaux vous gagnez 30.000 roupies, ce qui est plus que 10 acres d’arachide.

Les arbres doivent être situés sur les pourtours et les fossés où l’on met généralement la biomasse en excès. Ce fossé est une bande de forte fertilité avec beaucoup de nutriments. Il faut mettre en place des structures de récolte de l’eau car sinon les arbres ne survivront pas dans notre environnement. Les racines des arbres jouent un grand rôle car les arbres sont plantés en forte densité. Par l’action des racines on change le sol, ses micro-organismes et l’équilibre des nutriments : c’est le modèle de l’agro-foresterie ».

L’International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (Évaluation internationale du savoir, de la science et de la technologie agricole pour le développement, IA-AKST) pense également que le défi principal est d’augmenter la productivité de l’agriculture de manière durable. Cette organisation parle de systèmes agricoles multi-fonctionnels qui impliquent « l’inter-connection inévitable des différents rôles et fonctions de l’agriculture ». Le concept de multi-fonctionnalité reconnaît que l’agriculture est une activité produisant non seulement des biens (alimentation humaine et animale, fibres, agro-carburants, produits médicinaux et ornementaux) mais aussi des services tels que la protection de l’environnement, l’aménagement du paysage et la gestion de l’héritage culturel. Elle dit que le savoir, la science et la technologie agricoles doivent répondre aux besoins des petites exploitations dans des écosystèmes divers et créer des opportunités réalistes pour leur développement dans des régions où le potentiel d’amélioration de la productivité est faible et où le changement climatique risque d’avoir les conséquences les plus dramatiques.

1Cf. la fiche Economie de l’agriculture paysanne en Inde

Mots-clés

agriculture et élevage, agriculture paysanne, diversification des productions, agriculture, agriculture durable


, Inde

dossier

L’agriculture paysanne en Inde

Notes

Lire l’original en anglais : For small Farm diversity in India

Traduction : Valérie FERNANDO

Entretien réalisé par le CED avec le Dr. P.R.Seshagiri RAO en 2009.

Voir également le site : International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development, initiative internationale des Gouvernements et acteurs de la société civile pour évaluer la pertinence et l’efficacité du savoir, des sciences et technologies agricoles dans le monde.

Source

Texte original

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