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Produit Intérieur Brut et mobilité : quel couplage ? Quelle fatalité sur la croissance des transports ?

Bertrand Château

01 / 2009

« Couplage », « Découplage », des concepts flous

Un des premiers enseignements que l’on tire des différentes études et recherches sur ce sujet est l’ambiguïté même des concepts de « couplage » et « découplage ». Cette ambiguïté apparaît sous deux formes :

  • la coexistence, au sein des mêmes études, de conclusions empiriques relatives au couplage fort des trafics et du PIB d’un côté, de réflexions et de propositions quant au découplage de l’autre,

  • l’absence d’une distinction claire, dans beaucoup d’études, entre découplage relatif et découplage absolu. Il ne fait de doute pour personne que le découplage relatif entre la consommation d’énergie et les émissions du transport d’un côté, le PIB de l’autre, est une réalité observée ou potentielle incontestable. En revanche la question semble beaucoup moins tranchée pour le couplage/ découplage absolu. La raison tient, semble-t-il, à la façon dont sont utilisés certains concepts sous-jacents à cette notion de couplage et de découplage.

De la confusion entre corrélation statistique et conclusion théorique

Les études économétriques présentent généralement deux constats : une forte corrélation de la croissance du PIB à la croissance de l’activité de transport, une forte corrélation de la croissance des trafics à la croissance du PIB. Ces fortes corrélations sont généralement interprétées comme une grande rigidité de la relation de la demande de transport au PIB et, par là, comme un couplage fort entre ces deux entités.

Mais ces fortes corrélations cachent souvent des disparités qui, d’un côté, obligent à une certaine prudence dans les conclusions et, de l’autre, expliquent l’ambiguïté dont on a parlé plus haut. Par exemple, les études économétriques menées dans le cadre du programme OCDE-EST sur l’Arc

Alpin (1) avaient conclu au fait que les élasticités des trafics d’import/export entre deux pays au PIB de ces pays suivaient des courbes en cloche, avec des valeurs voisines de zéro aux deux extrémités. D’autres études ont montré que l’élasticité des quantités de marchandises transportées au PIB pouvaient avoir des valeurs très faibles alors que celles des trafics (en tkm) au PIB avaient des valeurs proches de l’unité. L’étude CEMT (Conférence Européenne des Ministres des Transports) insiste sur la notion d’élasticité variable.

En d’autres termes, les fortes corrélations statistiques n’impliquent pas nécessairement qu’il existe une « loi » intangible qui régisse la relation de la demande de transport au PIB, mais indiquent simplement une conjonction historique entre deux évolutions relativement proches entretenant entre elles des relations complexes.

Des indicateurs imparfaits de la demande de transport

Une des sources d’ambiguïté dans la discussion sur le couplage/découplage absolu vient des indicateurs qui sont retenus dans les analyses économétriques. On s’appuie généralement sur les trafics exprimés en passagers-km ou en tonnes-km. Ceux-ci sont supposés constituer des indicateurs quantitatifs pertinents de la mobilité, à partir desquels peut être analysée la relation de la demande de transport à la croissance économique.

Or la demande de transport, qui est bien au centre des investigations sur le couplage/découplage, est une notion plus riche que celle de mobilité, en ce sens qu’elle inclut également des dimensions d’accessibilité, de qualité de service, de vitesse, etc. De même, la mobilité est une notion que l’observation des trafics décrit de façon incomplète : la mobilité traduit la faculté d’accéder à tel ou tel service dans un intervalle de temps donné, pas nécessairement le fait de faire tel ou tel kilométrage pour y parvenir.

De ce fait, quand on parle de couplage entre les trafics et le PIB, on mélange en fait deux notions : la relation de la demande de transport au PIB, la relation entre les conditions de satisfaction de la demande de transport et le PIB.

Découplage ou maîtrise de la demande de transport ?

Il existe un consensus général pour exprimer le fait que la demande de transport entretient avec la croissance économique des liens très étroits. A partir de ce constat, certains contestent la notion même de découplage au sens où elle induit qu’il peut exister une situation où demande de transport et croissance économique ne sont plus liées entre elles. D’autres, plus nuancés, mettent sous le vocable « découplage » la possibilité de modifier ce lien, et non pas sa disparition.

Il est certain qu’une bonne partie de l’ambiguïté relevée plus haut vient du sens que les uns ou les autres attribuent au terme « découplage ».

Or il existe également un certain consensus entre toutes les études sur le fait que le lien entre demande de transport et PIB peut évoluer, qu’il peut faire l’objet de « mesures » correctives, qu’il peut même constituer un objectif politique.

Pour en finir avec ces ambiguïtés, on suggère d’abandonner le concept de « découplage » et de lui substituer celui de « maîtrise », des trafics, de la mobilité ou de la demande de transport.

Quelles évidences statistiques du « couplage » ? quels doutes ?

L’analyse statistique montre indubitablement des corrélations globales fortes entre trafics et PIB, exprimées par des élasticités très stables dans le temps, relevées dans quasiment toutes les études économétriques.

Mais ces fortes corrélations cachent des disparités de situations dont nous allons développer certains aspects.

De fortes disparités géographiques dans l’évolution des intensités transport

Les intensités transport, ce sont les ratios de trafics de passagers (en pkm) et de marchandises (en tkm) au PIB. Une intensité transport qui reste constante dans le temps suggère un fort couplage du trafic concerné au PIB. Une intensité qui baisse ou qui augmente régulièrement dans le temps suggère également un couplage entre les deux grandeurs, quoique moins fort que dans le cas précédent. Une intensité au profil erratique suggère une absence de couplage.

Beaucoup des études qui s’intéressent au couplage s’appuient sur l’observation statistique de ces intensités. La comparaison des profils d’évolution de ces intensités dans les différentes régions du monde montre clairement deux choses :

  • des évolutions assez contrastées des intensités entre les zones

  • des évolutions très régulières au sein des zones.

Les différences de profils d’évolution sont surtout remarquables entre les Etats-Unis, le Japon et les pays européens. Elles montrent à tout le moins qu’il n’existe pas de fatalité dans les relations des trafics au PIB, et donc de « loi » universelle qui régirait ces relations. Pour autant, la grande stabilité au sein des régions suggère que l’organisation de l’espace et les infrastructures, fortement inertes à l’échelle des périodes retenues pour l’étude statistique, sont des déterminants puissants de ces relations des trafics au PIB.

Ces deux observations ne permettent pas de conclure, ni dans un sens ni dans l’autre, sur le couplage de la demande de transport et du PIB, pour les raisons évoquées plus haut.

Le rôle déterminant des infrastructures

L’influence des infrastructures sur les relations des trafics au PIB a été mise en évidence dans plusieurs études sur le découplage conduites dans le cadre de l’OCDE. Cette influence se manifeste en deux temps :

  • l’effet d’entraînement du PIB sur le développement des infrastructures,

  • l’effet d’entraînement des infrastructures sur les trafics (pas nécessairement sur la demande de transport…).

Cette observation sur le poids des infrastructures dans le « couplage » absolu est intéressant à deux titres :

  • elle montre la relativité des conclusions qui sont tirées dans certaines études quant à la prégnance du « couplage »,

  • elle indique une piste importante au regard de la maîtrise des trafics et des leviers pour y parvenir.

Ceci étant, on notera qu’aucune étude ne se penche réellement sur l’impact macro-économique du développement des infrastructures et qu’il est dès lors difficile de trancher, sur le plan statistique, entre « couplage » actif (la croissance économique a entraîné le développement des infrastructures qui a entraîné celui des trafics) et « couplage » récessif (le bridage du développement des infrastructures a bridé en retour la croissance économique et les trafics, sans changer la relation trafics-PIB).

Quelles explications derrière le « couplage » apparent ?

On l’a dit, ce n’est pas tant la demande de transport qui apparaît couplée au PIB dans les corrélations statistiques, que les trafics. Si par exemple on considère d’autres indicateurs de la demande de transport (tonnes ou passagers transportés par exemple), le « couplage » apparaît beaucoup plus lâche. Une lecture plus attentive de ces trafics montre ainsi que ce sont surtout les distances moyennes de parcours par passager ou par tonne qui semblent fortement corrélées au PIB.

Si l’on rapproche ce constat de celui fait plus haut sur les infrastructures, on voit se dessiner un des principaux mécanismes qui expliquent le couplage apparent : le développement des infrastructures s’accompagne d’un allongement des distances de transport car il permet de multiplier les opportunités

  • soit en matière de localisation des activités de production (et de bénéficier ainsi de différentiels dans les coûts de production),

  • soit en matière de localisation de l’habitat, de l’emploi et de lieux de loisirs.

Pour autant cet allongement des distances, qui génère des coûts de transport proportionnels, ne peut se développer durablement à des rythmes très différents de celui de la richesse, et donc du PIB. Dans le cas des passagers, par exemple, il a été clairement montré que le poids des dépenses de transport dans le budget des ménages restait très stable dans le temps. De même, le poids des dépenses de transport rapporté à la valeur ajoutée industrielle reste également relativement stable. On aurait ainsi à la fois un effet d’entraînement du PIB sur les trafics via les infrastructures et les distances, mais également un effet limitant de la croissance du PIB sur l’évolution des coûts de transport, les deux phénomènes résultant dans l’apparent couplage observé statistiquement.

Ce constat pose néanmoins deux questions : s’il y a un effet limitant du PIB sur les distances via les coûts de transports, comment cela apparaît-il dans les corrélations statistiques ? La maîtrise de la demande de transport ne serait-elle, in-fi ne, qu’une affaire de coût de transports ?

Les différences observées entre régions du monde dans l’évolution des intensités transport du PIB donnent probablement une première réponse à la première question. Mais encore faudrait-il approfondir le sujet, ce qui n’est pas du ressort de cette étude.

L’analyse des structures modales et des vitesses moyennes de déplacement des personnes et des marchandises induites par ces structures modales donne un second éclairage tant à la première question qu’à la seconde. Le coût du transport est en effet la résultante des coûts unitaires des modes d’un côté, de la combinaison des modes de l’autre. Un kilomètre parcouru par un Américain a peut-être le même coût moyen que celui parcouru par un Français, mais le premier a des coûts unitaires de la voiture et de l’avion plus bas, avec un poids de l’avion plus fort.

Si l’on admet que le coût unitaire augmente avec la vitesse, une même évolution des coûts moyens de transport peut recouvrir des évolutions de partage modal différentes selon l’évolution des coûts unitaires des modes : plus de vitesse ou plus de coût unitaire.

Or il existe une relation forte entre vitesse et distance moyenne de parcours : soit, dans le cas des passagers, parce que le budget temps affecté au transport est extrêmement stable ; soit, dans le cas des marchandises, du fait du mode de gestion des fl ux de marchandises et du stockage (le temps maximum qu’une tonne de marchandises peut passer dans le transport est contraint).

En conséquence, l’effet limitant du PIB sur l’évolution des coûts de transport peut être de nature très différente selon le niveau et l’évolution des coûts unitaires des modes, ce que semble effectivement suggérer les différences entre zones du monde. Une maîtrise des coûts unitaires par mode des transports serait de ce fait un moyen puissant de la maîtrise de la demande de transport, pour peu qu’il ne nuise pas à l’activité économique mais oriente seulement son organisation spatiale.

 

 

1 - OECD-EST-Environmentally Sustainable Transport « Alpine Study » Synthesis Report Phase 2 ADEME/INRETS/Enerdata, INFRAS, TRAFICO, CSST 2000.

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