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Perception des normes au Sud

ISF - Ingénieurs sans frontières

07 / 2011

Après avoir mené une première étude en France, mobilisant différents acteurs du domaine de la Solidarité Internationale, la démarche d’Ingénieurs Sans Frontières s’est poursuivie avec la conduite de missions de terrain dans quatre pays (Bénin, et Togo pour la filière ananas et Bolivie et Pérou pour la filière café). Cette fiche présente donc les normes, telles qu’elles sont perçues dans ces pays, principalement par les producteurs.

1 - Les normes et la mise en marché

Dans le cas des normes volontaires, la perception est différente en fonction du type de producteur. En effet, selon son degré d’organisation et ses moyens, ces normes peuvent représenter un frein ou une opportunité de mise en marché à l’export, que ce soit pour des produits conventionnels comme de niche. Il est même intéressant de constater que cette « opportunité » de mise en marché est également souvent considérée comme une obligation à remplir pour pouvoir commercialiser ses productions sur ces marchés.

Dans ce cas, un premier élément d’analyse important est que cette perception par les acteurs du Sud est loin des valeurs éthiques véhiculées par le Nord pour ces types de certifications : commerce équitable, agriculture biologique. Pourtant, ces valeurs se devraient d’être partagées.

2 - Un manque de mise en partage

Ces normes sont ainsi considérées comme des valeurs imposées et non partagées. S’ensuivent des contraintes pour les acteurs de certaines filières et une application à la lettre de celles-ci, parfois sans compréhension, notamment pour des techniques culturales précises.

Plus généralement, certains aspects des normes vis-à-vis du travail des enfants, de la représentation des femmes dans les organisations paysannes ou de la rotation imposée des dirigeants de ces mêmes structures ne sont pas toujours comprises. En effet, certaines normes conditionnant jusqu’à l’organisation sociale des producteurs, il serait bon de prendre en compte la diversité culturelle et de mettre en débat certains critères. Dans les faits, trop peu de dialogue a lieu : l’origine des normes est le Nord et il manque cruellement de lieux et de méthodologies pour échanger autour de ces valeurs. L’agriculture biologique, par exemple, est pratiquée depuis les années 1970 dans certains pays mais les modalités d’élaboration des cahiers des charges ne tiennent pas vraiment compte des pratiques anciennes.

Les normes peuvent en effet être vues comme une privatisation des relations entre les pays, représentant une conduite à distance et impliquant des actions sur le comportement même des agriculteurs.

Enfin, un terrible manque de représentation d’acteurs du Sud dans les institutions internationales en charge (certification biologique mais aussi Codex Alimentarius) est constaté. Lorsque cela est possible, leur participation est faible (moyens financiers insuffisants par exemple). On assiste donc à de nouvelles formes d’interdépendance.

3 - Le prix de la certification

Les normes se traduisent inévitablement par un coût supplémentaire pour les producteurs, lié à la mise en place de nouvelles pratiques, à de nouveaux investissements, aux procédures administratives, à l’acquisition de compétences et d’informations, etc. Bien sûr, l’idée est que les produits agricoles seront par la suite vendus à un meilleur prix et de façon plus stable dans les pays du Nord.

Cependant, dans le cas des normes volontaires (tout particulièrement pour l’agriculture biologique et dans une moindre mesure pour le commerce équitable), les contraintes financières ne peuvent pas toujours être supportées.

Certains producteurs sont ainsi exclus de ces circuits de commercialisation. Il s’agit en général de producteurs isolés géographiquement, avec des volumes insuffisants, étant donc en incapacité de se fédérer en organisations paysannes. Il peut s’agir également de producteurs incapables de faire face aux coûts engendrés par la mise aux normes. Enfin, si certains producteurs ont peu d’expertise technique, ils n’ont pas toujours les moyens de faire face au travail non rémunéré supplémentaire qu’impliquent les normes. Dans ce cas, les coûts de certification et d’audit peuvent ainsi aggraver l’exclusion et la marginalisation de plus petits producteurs (Togo, Bénin et Bolivie pour le commerce équitable et Pérou pour Rainforest Alliance)

Pour d’autres, c’est le client qui va prendre en charge ces coûts et il s’ensuit une verticalisation des filières, tout particulièrement dans le cas de l’agriculture biologique. Ainsi, au delà des aspects bénéfiques en termes de préservation de l’environnement et de diminution des risques concernant certains produits pour les producteurs, les filières biologiques sont très intégrées et favorisent peu l’organisation des producteurs. Un lien direct et fort existe entre le client et les producteurs, tout particulièrement en Afrique de l’Ouest. L’acheteur pouvant aller jusqu’à prendre en charge tous les problèmes administratifs et de gestion, le besoin d’être solidaires entre producteurs est moins ressenti. La coopération entre producteurs est donc plus faible comparé aux autres systèmes de certification.

Même s’il est illusoire de penser que tous les producteurs pourront s’adapter, il est important de signaler que la multiplication des normes ne fait que renforcer les dynamiques d’exclusion (exigences imposées). De façon générale, le commerce équitable ne s’adresse pas aux plus défavorisés car il nécessite un minimum de capacités d’organisation. Reste à savoir si les producteurs exclus bénéficient ou non d’impacts indirects et positifs.

4 - Les normes et la qualité

Deux informations sont importantes sur ce thème.

D’une part, les normes peuvent être perçues comme instruments de progrès pour les agriculteurs et les organisations paysannes. Elles peuvent en effet participer à l’amélioration de certaines pratiques agricoles (par rapport aux applications de pesticides ou autres produits dangereux pour la santé, car parfois mal appliqués – pour les cultures en agriculture biologique par exemple), et donc de la production agricole. Dans ce sens, les normes sont des sources de perfectionnement et d’aboutissement. Si elles peuvent être des instruments de maitrise de la qualité, elles deviennent des leviers de développement

D’autre part, il a été relevé dans les études terrain que la norme équitableest parfois considérée comme dépréciative, par rapport au développement de normes liées à l’origine qui, elles, rémunèrent la qualité.

Cette diversification des débouchés commerciaux en cours, particulièrement en zone andine, avec le développement de cafés spéciaux est souhaitable. Les producteurs recherchent ainsi des signes de qualité, valorisant les productions locales. L’engouement pour les labels de qualité comme les Appellations d’Origine ou les Indications Géographiques : où les certifications traitent de la qualité du produit, plus valorisantes pour eux et pour leur travail (les normes volontaires comme CE rémunèrent plus le producteur, mais quelle que soit la qualité) est perceptible en Bolivie et au Pérou notamment.

5 - Les normes et les organisations paysannes

Malgré ce dernier élément avancé, les normes participent au renforcement des organisations paysannes. Elles deviennent ainsi des catalyseurs d’actions collectives, au sein de ces organisations, tout particulièrement en Afrique de l’Ouest. Elles permettent aux agriculteurs de surmonter les faiblesses structurelles qu’ils rencontrent quand ils sont seuls, notamment dans le cas des petits producteurs. Ce constat est très positif, particulièrement dans le cas du commerce équitable qui vise à l’autonomisation de ces structures et promeut le création de fonds sociaux pour les communautés concernées.

6 - Trop de normes?

Un autre élément important dégagé des enquêtes sur les différents terrains est le manque de clarté entre les différents types de normes. Certaines organisations doivent en effet remplir les cahiers des charges concernant le commerce équitable, la certification biologique ou la double certification. De plus, au sujet des normes environnementales, les certifications sont nombreuses. Cette multiplication des normes portant sur des préoccupations voisines comme l’environnement représentent une contrainte plus qu’une opportunité. Chaque norme nécessite effectivement un investissement pour la connaître, la comprendre et tenter de s’y conformer.

Une revendication est donc de pouvoir regrouper ces différentes normes en une seule qui reprendrait plusieurs cahiers des charges pour en simplifier la gestion.

Pour illustrer ce problème de compréhension des cahiers des charges., les exemples des terrains concernés sont ici repris. Au Bénin et au Togo : les normes sont considérées comme un ensemble de Bonnes Pratiques Agricoles qui permettent de répondre aux exigences des clients à l’export. En zone andine, les producteurs ont une vision globale de ces normes (sanitaires, commerce équitable, agriculture biologique…) qui ont même été rassemblées par de nombreuses coopératives au sein d’un même document d’information et de contrôle (cas au Pérou avec 8 certifications différentes).

7 - Les normes et leur mise en œuvre

Élément lié au manque de participation des acteurs du Sud, une meilleure mise en œuvre des normes est souhaitée. Il s’agit de pouvoir répondre aux réalités des différents terrains en termes de produits comme de pays. Pour corriger ce manque de sens, les normes étant parfois peu adaptées au terrain, les négociations se doivent d’être plus participatives, sous peine de devenir de réelles barrières non-tarifaires à l’entrée des produits issus des agricultures du Sud sur les territoires européens (1). Une certaine flexibilité est ainsi nécessaire, et notamment un délai de mise en conformité. La normalisation est un processus rapide alors qu’un temps d’adaptation est nécessaire, notamment pour limiter l’exclusion. Soit dit en passant, le consommateur final a aussi une responsabilité, comme les politiques, puisqu’il refuse souvent cette notion de relativité. Mais si l’on parle de Solidarité Internationale, l’intérêt du producteur au Sud doit être pris en compte.

8 - Les normes et l’accompagnement des producteurs

Enfin, l’accompagnement des producteurs reste une question centrale. Si ce n’est pas le rôle des certificateurs, quelle est la place des ONG du Nord comme du Sud pour le suivi de proximité? Qu’en est-il de la mise en capacité des gouvernements?

En effet, le renforcement des capacités des acteurs du Sud pour négocier, être entendus et pris en compte dans les instances internationales est crucial. Ces acteurs doivent en effet être en mesure d’objectiver et faire prévaloir les opinions. Les OSI et les organismes de recherche ont les moyens de renforcer les capacités des experts au Sud. C’est certainement une piste à approfondir pour qu’ils puissent défendre leurs intérêts.

 

1 Par exemple, en 2007, lors des missions terrains réalisées au Togo et au Bénin, il n’y avait pas de laboratoires suffisamment équipés, ni accrédités pour contrôler les LMR (Limites Maximales de Résidus) ou les Métaux Lourds.
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