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Enquête Logiciel libre : Un modèle d’émancipation

Au coeur de la recherche

Philippe F. Nai

06 / 2011

La communauté informatique lutte activement contre la privatisation du savoir et des connaissances. Pour les passionnés d’informatique, professionnels ou amateurs, le logiciel «propriétaire» est une véritable hérésie. La recherche et notamment l’amélioration des logiciels se nourrissent de la réflexion collective et de la mutualisation des connaissances.

 

Firefox, Thunderbird, Open Office, VLC, Gimp, Audacity, 7-zip autant de logiciels libres aujourd’hui largement utilisés. Considéré encore récemment comme le « cancer » de l’informatique par Steve Balmer, ex vice-président de Microsoft, le monde du logiciel libre est désormais investi par des géants comme Google ou des constructeurs comme HP ou Nvidia qui financent l’intégration de leurs produits dans un environnement « libre ». Mieux, en 2005, l’Unesco a reconnu le projet GNU comme « Trésor du monde » . Le logiciel libre est né et a grandi dans le monde de la recherche. A l’époque, pour de nombreux chercheurs, le partage de leur outil de recherche était non seulement naturel mais surtout nécessaire à son amélioration. Une démarche d’autant plus naturelle qu’un logiciel n’est rien d’autre qu’une série de formules mathématiques et que personne ne pensait alors à la possibilité de breveter les mathématiques.

La privatisation du logiciel

Dans les années 80, l’avènement de l’ordinateur personnel et la baisse progressive de son coût font naître un marché pour les logiciels, un marché qu’il fallait protéger. Dès lors, les brevets existants sur les machines vont servir de passerelles pour les brevets sur les logiciels. Un phénomène qui, pour beaucoup et notamment Richard Stallman, est devenu une entrave intolérable à la production de savoir. Professeurs au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Richard Stallman et ses collègues s’aperçoivent alors que le partage d’information entre informaticiens est de plus en plus interdit. En 1989, ils participent à la création de la licence GPL dont le but est de « libérer » le logiciel de contraintes commerciales. « En France les brevets ne s’appliquent pas aux logiciels et relèvent du droit d’auteur, précise Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April (Association pour la promotion et la recherche en informatique libre). L’idée du logiciel libre est de s’appuyer sur le droit d’auteur qui confère à l’auteur un droit d’interdire ou d’autoriser son œuvre. Distribuer un logiciel sous licence libre, c’est offrir la liberté pour les utilisateurs d’exécuter, d’étudier, de modifier, d’améliorer et de diffuser ce logiciel et ainsi participer au partage du savoir et de la connaissance. » Pour lui, les brevets freinent l’innovation : « un chercheur ne peut exercer son activité qu’en se basant sur les idées et les travaux de ses prédécesseurs. La recherche est un processus qui fonctionne par incrément successif. On prend l’idée du prédécesseur, on la critique et on l’améliore. Si les idées sont verrouillées par des brevets, on bride la recherche ». De ce fait, certains, comme Hervé Le Crosnier, maître de conférence à l’Université de Caen et membre de l’association Vecam, craignent « la mort de la liberté de programmer. Je ne pourrais plus utiliser les découvertes mathématiques qui ont été brevetées ».

Une utopie pragmatique

Les logiciels sont des assemblages d’idées, des assemblages de fonctions. « Dans un logiciel de traitement de texte, on met en gras, on souligne. Tout cela concourt à formater le texte. Si une fonction est brevetée, on ne peut pas l’utiliser sans autorisation du détenteur du brevet. Il faut le trouver et négocier, poursuit Jean-Christophe Becquet. Il arrive aussi qu’on puisse être poursuivi pour contrefaçon si on a eu la même idée mais a posteriori ! Aujourd’hui, le monde de l’informatique est tellement complexe qu’il devient impossible de vérifier si ce que l’on utilise est protégé par un brevet ou non. » Et de rappeler qu’avec les brevets, il n’y a pas de possibilité de maîtrise citoyenne de la science. L’enjeu est immense, tant l’informatique est partout aujourd’hui. Selon Hervé Le Crosnier, le monde du libre est devenu un modèle d’émancipation : « En terme de projet social, il crée une utopie pragmatique. Un grand mouvement de lutte contre une forme d’enclosure et d’accaparement du savoir informatique est en train de se construire ici et maintenant ». En effet le mouvement du libre associe une grande variété d’acteurs. Graphistes, traducteurs, pédagogues, utilisateurs, développeurs informatiques, le logiciel libre est la somme des participations de ces diverses communautés. La gratuité permet à ces différents profils d’utilisateurs, ces différentes compétences, d’oublier leurs divergences et de travailler de manière collaborative. Pour Bernard Lang, directeur de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria) et cofondateur de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (Aful), le logiciel libre est aussi un moyen de redonner une place aux amateurs: « Il y a une sous-estimation de ce que peuvent apporter les passionnés, les amateurs. La science a fonctionné pendant des siècles grâce à des amateurs avertis. Aujourd’hui, le mouvement du logiciel libre est en train de ramener les amateurs sur le devant de la scène, c’est fantastique ! » Vivantes et créatives, les initiatives collaboratives, où professionnels et amateurs travaillent main dans la main, se multiplient. Le logiciel libre a inspiré le contrat Creative Commons destiné à faciliter l’utilisation d’œuvres (textes, photos, musique, sites web) ainsi que leur création. Dans le domaine de l’éducation, le projet de l’association Sésamath utilise une licence libre - la même que pour Wikipedia - pour diffuser sur Internet et en librairies des manuels scolaires de mathématiques que les enseignants peuvent adapter à leurs besoins.

Au Sud, du nouveau ?

La philosophie du logiciel libre est fondée sur la mutualisation des savoirs, un principe en complète harmonie avec la culture du partage, traditionnelle dans nombre de pays du Sud. Pourtant, selon Patrick Sinz, membre de l’Aful et président d’honneur de l’association bolivienne Software y Cultura Libre, ces pays souffrent de nombreux handicaps pour profiter et participer pleinement à la communauté du libre. « Les gouvernements et les opérateurs des pays en voie de développement découragent en pratique l’hébergement local de site, notamment par les coûts importants. Les plateformes de dépôt des logiciels libres sont donc toutes hébergées “à l’étranger”. En outre, l’accès à l’Internet haut débit est limité dans la majorité de ces pays. Peu de gens peuvent donc télécharger les logiciels et participer à leur amélioration. Enfin, en Bolivie comme dans d’autres pays, une bonne partie de la population utilise les cybercafés ». Les usagers n’ont donc aucun choix de logiciel à faire. Et quand bien même, il serait plus simple d’acheter Windows 7 à 2€ que de télécharger Linux. Au Brésil, cependant, les choses changent. « La relative confiance des entreprises brésiliennes dans les compétences locales et une politique assez volontaire du gouvernement Lula ont permis le développement d’une industrie locale de l’informatique, à l’image de Positivo qui distribue des machines grand public sous Linux », précise Patrick Sinz, soulignant aussi le fait que le gouvernement brésilien utilise également très largement des machines Linux dans l’éducation.

Un heureux hasard

Qu’est-ce que la sérendipité ? C’est le fait de réaliser une découverte au hasard d’une réflexion, une réflexion stimulée par la créativité née du savoir et de l’intelligence collective. Pour Bernard Lang, la sérendipité est un composant essentiel de la recherche : « Le collisionneur de hadrons, un accélérateur de particules récemment inauguré au CERN (1), passe son temps à provoquer des collisions entre les particules, pour que, de temps en temps, par le plus grand des hasards, il se produise quelque chose de nouveau, un événement qui permette d’en connaître un peu plus sur la matière. L’idée du logiciel libre est un peu similaire. En multipliant les accès à un logiciel, les chances pour que ce dernier passe entre les mains d’un programmeur qui aura une idée lumineuse sont multipliées. Plus on favorise les rencontres plus on a de chances d’aboutir à un heureux hasard.»

1 Le CERN est l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire.

Mots-clés

informatique, informatique et societé, propriété intellectuelle, démocratie participative

dossier

Sciences et Démocratie : un mariage de raison ?

Commentaire

En savoir plus :

  • Association des développeurs et des utilisateurs de logiciels libres pour l’administration et les collectivités territoriales (Addulact).

  • Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (Aful).

  • Association pour la promotion et la recherche en informatique libre (April).

Source

Altermondes, Sciences et démocratie : un mariage de raison ?, numéro spécial Juin 2011, 50p.

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