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Une bataille sans fin : la lutte acharnée contre le projet de barrage sur la rivière Subansiri en Assam

Manju MENON

08 / 2011

Un barrage de 116 mètres de haut actuellement en construction en Assam, à la frontière de l’Etat d’Arunachal Pradesh sur la rivière Subansiri, est au cœur d’une polémique comme jamais un projet de ce type ne l’a été ces dernières années. Et les origines de la controverse se situant dans la topographie, elle persistera tant que le projet sera à l’ordre du jour.

Initialement, l’étude de faisabilité de ce barrage a été réalisée par l’agence du Brahmapoutre (Brahmaputra Board) en 1983, tandis que son exécution a été confiée, en 2000, à la Société Nationale d’Energie Hydroélectrique (National Hydroelectric Power Corporation, NHPC), une entreprise publique. Une fois construit, ce projet de 2.000 MW sera le plus important de tout le pays, le premier d’une telle taille jamais autorisé dans cette région du nord-est, reconnue comme une zone à risque sismique élevé mais aussi comme une région de grande biodiversité et le lieu d’habitation de nombreuses communautés indigènes.

Ce n’est pas la seule rivière pour laquelle un barrage a été proposé. Entre 2000 et mars 2010, plus de 117 protocoles d’accord ont été signés par le gouvernement d’Arunachal Pradesh. Par ailleurs, d’autres accords ont été conclus avec des entreprises privées pour dix autres projets majeurs d’hydroélectricité visant la production de 30.000 MW en 10 ans. La plupart des rivières concernées par des projets de barrage coulent depuis la Chine, traversent l’Inde et finissent au Bangladesh. La réalisation du projet sur la rivière Subansiri après qu’elle ait traversé les régions himalayennes de l’Ouest de l’Arunachal Pradesh et l’État d’Assam risque d’altérer la nature même de la rivière en aval.

L’opposition au barrage sur la Subansiri a commencé en 2003 suite à un important rassemblement appelé par une organisation étudiante locale, le «Takam Mishing Porin Kebang» (TMPK). Elle s’oppose à l’opinion très répandue d’experts concernant la construction de barrages, fondée sur des notions communément admises et sur l’expérience des partisans indiens des barrages, à savoir que les projets dans le Nord Est n’affecteront qu’un nombre limité de personnes. Le projet de Lower Sabansiri a obtenu un certificat de non objection de l’État en 2002 ainsi que l’autorisation environnementale en juillet 2003. Le rapport d’évaluation d’impact environnemental (EIA) et les documents présentés à l’audience publique environnementale obligatoire qui a été menée à Gerukamukh, en Assam, le 4 septembre 2001, estimaient que seules 38 familles de 2 villages seraient affectées par le projet. Comparé aux nombreux avantages pour cette partie de l’Inde en mal de développement et à la notoriété qu’elle tirerait en devenant la plus importante source de production d’électricité d’Inde, le coût de dédommagement de quelques familles ou leur relogement semblait alors un faible prix à payer.

L’Inde a la mauvaise réputation d’avoir construit environ 4.000 barrages depuis son indépendance, lesquels ont officiellement affecté un grand nombre de personnes, dont certaines attendent toujours une réhabilitation ou une compensation. Aujourd’hui, ce projet fait partie des cas où il n’y a pas même de chiffres officiellement reconnus quant au nombre de personnes qui seront touchées par le barrage. L’opposition au projet de la population du Haut-Assam (Upper Assam) met en lumière les négligences dans la comptabilisation du coût humain réel. En effet, le calcul du nombre de personnes qui seraient probablement affectées ne prend en compte que celles dont les terres ou les maisons seront inondées suite à la création du réservoir. Ceci représentait certes l’impact principal quand les barrages étaient construits au centre, à l’est ou à l’ouest de l’Inde. Mais dans la région himalayenne où les rivières coulent à travers des gorges étroites pour s’ouvrir sur de larges vallées, la situation est nettement différente.

Le Mouvement des Peuples pour la Vallée de la Subansiri (The Peoples Mouvement for Subansiri Valley) est un groupe composé de plusieurs organisations indigènes, de groupes étudiants et de communautés directement concernées. Il a été au premier plan de l’opposition au projet car ce sont bien les nombreux habitants qui peuplent et cultivent les plaines inondables d’Assam qui devront faire face aux risques du projet. Ces risques sont notamment liés aux catastrophes naturelles telles que le grand tremblement de terre de 1950 qui a drainé tellement de débris et de boue des régions en amont que le lit du Brahmapoutre s’est élevé et la rivière en est sortie pour suivre un autre parcours. Un projet de barrage dans une telle topographie amplifierait la dévastation que de telles catastrophes naturelles peuvent causer. C’est pourquoi les groupes s’opposant au projet exigent que toutes les personnes vivant en aval du plus grand projet de centrale hydroélectrique d’Inde soient reconnues comme directement affectées.

Au-delà des craintes d’une catastrophe telle qu’un tremblement de terre ou un orage torrentiel pouvant altérer les paramètres de base du projet comme la stabilité du terrain et le volume d’eau de la rivière, le projet aura des impacts encore plus importants au quotidien. En effet, ce projet est proposé pour fonctionner comme une pompe prenant sa source dans le courant de la rivière qui fera tourner les turbines afin de produire de l’électricité. Cependant, durant en hiver les rivières himalayennes ont un volume d’eau très faible car elles gèlent en haute altitude.

Au cours de ces mois d’hiver, le paysage inondé qui domine la vallée de la Subansiri se transforme. Les alluvions que les eaux des moussons déposent chaque années fertilisent la terre qui se recouvre d’herbe verte broutée par les nombreux troupeaux des habitants de cette région. Le bois de flottage est lui aussi récupéré en aval pour être vendu. Poissons et autres ressources alimentaires sont cultivées dans les zones humides appelées beels (étangs non permanents). Les grandes langues de sable (chapories) qui n’apparaissent qu’à cette période, sont propices à la culture du paddy. Quiconque voyage en bateau de Dibrugarh au ponton de Bogibeel constate l’importance économique de la saison sèche, à voir l’activité qui entourent les habitants, les animaux et les biens.

Les avantages de la saison sèche sur l’environnement et sur ses habitants seront détruits une fois le barrage opérationnel. Pendant cette saison, le projet devra stocker l’eau pour de plus longues périodes afin d’assurer une production maximale d’électricité. Ces cycles quotidiens d’accumulation et de lâchée d’eau faisant monter le courant de manière anormalement élevée pour la saison entraîneront des “inondations d’hiver”. Ce phénomène donne au débat sur les barrages dans la région une toute autre dimension, comme l’a fait remarquer à plusieurs reprises Neeraj Vagholikar, un collègue engagé sur ce thème, lors de différents forums. Dans la mesure où la plupart des barrages sont des réservoirs, les habitants de ces sites se sont régulièrement plaints de ce que la rivière se réduisait à un filet en aval du barrage. Cependant, grâce au militantisme tenace des populations affectées et des groupes de défense de l’environnement, la réglementation actuelle impose désormais qu’un débit minimum soit maintenu lors de la mise en fonctionnement du barrage. En attendant, les régions en aval des nouveaux sites de production hydro-électrique du nord-est se préparent à endurer des crues d’hiver artificielles, quotidiennes et nettement plus froides que l’eau de pluie des moussons annuelles.

Les activités permises par la saison sèche sont importantes pour la survie des communautés de paysans et de bergers très pauvres qui ont élu domicile en Assam. La majorité de ces agriculteurs sont des migrants et appartiennent à des communautés sans terres. Elles n’ont aucun statut ni protection légale ou constitutionnelle. Depuis 10 ans, le « Krishak Mukti Sangram Samiti » (KMSS), un mouvement de masse paysan, se bat pour faire reconnaître leurs droits. Ce mouvement est central dans la lutte contre le projet de la Subansiri. Avec les groupes de l’Assam supérieur, qui ont travaillé avec les communautés locales sur des programmes d’aide d’urgence et de réhabilitation suite aux inondations, ainsi que diverses organisations locales telles que la All Assam Students Organization (AASU), l’Asom Jatiyatabadi Yuba-Chatra Parishad (AJYCP), le Takam Mising Porin Kebang (TMPK) et la population directement affectée par les activités du projet, ils ont fait pression sur les politiques, les experts techniques et les intellectuels d’Assam afin d’envisager des alternatives au développement centré sur les barrages.

Grâce à cette mobilisation importante, de plus en plus d’élus appartenant à l’opposition à l’Assemblée d’État ont alimenté le débat pour savoir si les régions en aval bénéficieraient d’un barrage ou en seraient au contraire affectées. En 2009, un comité de recherche réunissant différents partis politiques de l’Assemblée législative du pays a été créé afin d’apporter des réponses. À la suite de plusieurs débats et audiences publiques, il a remis son rapport final en mars 2010, qui demandait l’arrêt du projet au nom de la sécurité des populations locales. Le gouvernement central a lui aussi formé un comité d’experts venant des universités de Gauhati, Dibrugarh et de l’Institut Technologique Indien (Guwahati). Leur rapport provisoire soulève des inquiétudes sur les aspects géologiques et techniques du projet.

L’impact politique du mouvement a été encore plus significatif. Le Ministère de l’Environnement et des Forêts, la principale agence en charge des évaluations d’impact environnemental (EIA) et de la délivrance des autorisations environnementales, a commencé à inclure l’étude de la zone en aval dans les termes de référence donnés aux responsables des projets afin que ces questions soient comprises dans l’EIA. Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles seront effectivement suffisamment bien analysées au point de peser sur les décisions finales des projets dans la mesure où la mise en œuvre des normes d’EIA est déjà surchargée de contraintes conceptuelles et institutionnelles. Une équipe technique indépendante a été créée par la Commission au Plan en janvier 2011. Composée d’experts internationaux, ce groupe est chargé d’étudier la sécurité et la stabilité de tous les barrages en projet ou déjà en construction en Arunachal Pradesh, dont le projet de la Subansiri.

Bien que plusieurs débats aient traité des enjeux scientifiques et techniques que soulève ce projet, il semble qu’ils aient peu d’incidence sur son destin. Les gouvernements du Centre et de l’État d’Assam, tous deux dirigés par le parti du Congrès, semblent vouloir s’unir pour surmonter les obstacles à ces projets malgré les problèmes techniques non résolus. Ils citent régulièrement les projet des Chinois visant à construire des barrages sur ces mêmes rivières, de leur côté de la frontière. Salman Khurshid, le Ministre des Ressources Hydrauliques, a clairement affirmé, lors d’une réunion en avril 2011, que l’Inde se devait de mener à terme ces projets. Il est communément admis parmi les personnes favorables aux barrages que, compte tenu des projets de la Chine, l’Inde ne sera en mesure d’exiger son droit à l’eau du bassin du Brahmapoutre que si elle y construit elle-même des barrages.

Depuis 2010, plusieurs militants renommés s’exprimant sur les impacts de ces barrages et ayant éveillé la conscience populaire en développant des espaces publics pour débattre des enjeux scientifiques, techniques et éthiques des barrages, se sont vus accuser d’activités maoïstes, cela en vue de fragiliser l’opposition publique à ces projets. Jusqu’alors ils avaient toujours été associés aux mouvements anti-nationaux, anti-développement ou encore assimilés à des agents de puissances étrangères, etc. Mais pour la première fois, ils sont assimilés à un groupe considéré, ces dernières années, de manière caricaturale par le gouvernement central et les médias comme violent, sans objectif et opportuniste, utilisant les problèmes de développement local pour mobiliser des troupes contre l’État.

Un reportage de septembre 2011 citait le porte-parole du gouvernement affirmant que ce dernier allait convaincre la All Assam Student’s Union (Union étudiante d’Assam) de retirer son opposition au projet en montrant sa volonté d’appliquer les recommandations du Comité d’expert. Il ajoutait que le gouvernement ne souhaitait pas établir de contact avec KMSS, un groupe qu’il considère « obsédé par l’agitation ».

Cette année, la lutte contre le projet de la Subansiri s’est renforcée suite à la déclaration de la National Hydroelectric Power Corporation (NHPC) affirmant qu’il serait prêt pour l’accrédition en 2014 et alors que des crues subites ont eu lieu en juin dans le Haut Assam, suite à des brèches dans les structures temporaires du barrage. Pour l’heure, les groupes d’opposition ont appelé à une mobilisation unitaire pour empêcher l’entreprise de rapporter les turbines, qui ont dû être retirées pour la sécurité du projet, par voie routière ou fluviale. Ce qu’il adviendra de ce site déterminera de manière cruciale l’avenir de l’Assam en tant qu’État se situant en aval d’un grand fleuve.

Mots-clés

barrage, impact sur l'environnement, société civile, mouvement social


, Inde

dossier

Mouvements sociaux et environnementaux en Inde et en Colombie

Notes

Lire l’article original en anglais : A fight to the finish: the relentless struggle against the Lower Subansiri project in Assam

Traduction : Marie Huguet

La chercheuse Manju Menon travaille sur les conflits entre environnement et développement en Inde. Elle est actuellement doctorante au Centre for Studies in Science Policy, JNU, New Delhi. Contact : manjumenon1975(@)gmail.com

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