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La tragédie du Rwanda et les Eglises d’Afrique de l’Est

Wolfgang SCHONECKE

10 / 1994

Le Synode africain a inscrit de nombreuses questions pastorales importantes à l’ordre du jour des Eglises locales d’Afrique. L’Association des conférences épiscopales d’Afrique de l’Est (AMECEA)a mis en place un département pastoral destiné à aider les Eglises d’Afrique orientale à mettre en commun leurs expériences et leurs réflexions sur l’évangélisation, la justice et la paix. Son Secrétaire, le père Wolfgang Schonecke, propose une analyse de la place de l’Eglise dans les tragiques événements du Rwanda et quelques-unes des questions que ces événements posent aux Eglises d’Afrique de l’Est.

Le génocide rwandais n’est pas unique : les colons blancs des Amériques ont presque exterminé la population indigène; l’Europe a vécu l’holocauste perpétré par l’Allemagne nazie; le Cambodge a souffert de massacres massifs; l’anéantissement nucléaire d’Hiroshima… Malgré tout, « chaque nouvelle manifestation de la folie collective bouscule notre confiance dans l’humanité et, quand des chrétiens sont en cause, c’est notre foi même dans le christianisme qui est touchée ». On ne peut réduire la tragédie du Rwanda au seul facteur ethnique. Il y a convergence et aboutissement de nombreux éléments. L’analyse des facteurs principaux et du rôle de l’Eglise dans cette tragédie conduit à se poser des questions difficiles.

Une obsession du pouvoir à tout prix

Le conflit du Rwanda concernait à l’origine une volonté, assez absolue, de conserver ou de reconquérir le pouvoir pour justifier n’importe quels actes. D’après un recensement effectué en 1991, 90% des Rwandais se disent chrétiens. L’Eglise catholique est, après le gouvernement, l’institution la plus puissante à travers son réseau d’oeuvres sociales, éducatives et médicales dirigées par de nombreux groupes religieux. Elle a dès le début entretenu d’étroites relations avec l’administration coloniale et la maison royale et la hiérarchie est toujours restée étroitement liée au régime en place. Ses nombreuses - mais tardives et faibles - déclarations pendant le génocide n’étaient ni significatives ni suffisantes. Les événements du Rwanda renforcent une leçon de l’histoire : une Eglise qui s’identifie trop étroitement à un régime partage son destin. Il y a une distance indispensable à maintenir avec les partis, les mouvements politiques et l’Etat.

Comment l’Eglise peut-elle résister à la tentation de se servir du pouvoir pour accomplir sa mission et, en retour, d’être utilisée par les pouvoirs politiques ? « Parlons-nous en faveur de tout groupe traité injustement, ou seulement quand les intérêts de l’Eglise sont menacés ? Comment développer au sein de l’Eglise un mode de responsabilité plus participative qui puisse servir à inspirer un modèle plus démocratique en politique? »

La tension ethnique à l’intérieur de l’Eglise

La montée de l’ethnicisme en Afrique de l’Est correspond à la fois à une réaction contre des gouvernements centralisés à outrance et à la recherche d’une identité culturelle aujourd’hui largement aliénée. L’Eglise en Afrique a apporté un appui aux processus de démocratisation. Mais le multipartisme suit facilement les ligues ethniques. Le problème ethnique existe aussi au sein de l’Eglise, de son clergé et des communautés religieuses dont la majorité était d’origine tutsie. Il surgit notamment à l’occasion de nominations aux postes importants. Le conflit ethnique entre les prêtres a profondément choqué les chrétiens et discrédité l’Eglise, qui ne peut prétendre travailler réellement à la réconciliation si elle ne s’en prend pas d’abord à ses propres tensions internes.

« Comment pouvons-nous encourager la recherche d’identité culturelle du peuple dans la société et dans l’Eglise, sans perdre le sens de l’unité nationale, de la communauté internationale, de la catholicité religieuse ? " Là où le multipartisme tend à se confondre avec des partis ethniques, comment le clergé peut-il résister à la tentation de s’identifier à ces associations tribales ?

Eglise et développement

Depuis l’indépendance, l’Eglise a le quasi monopole des services sociaux, éducatifs et médicaux, d’où son pouvoir d’attraction mais aussi des possibilités de tension quand le gouvernement prétend exercer un contrôle plus grand. On peut se demander si l’Eglise ne s’est pas cramponnée trop longtemps à de faux moyens de servir le peuple et pourquoi elle n’a pas été capable de répondre de façon adéquate aux besoins nouveaux des nouvelles générations. Comme corps social, elle ne s’est pas réellement engagée dans un vrai combat pour la justice et la réconciliation, à long terme seul fondement d’un vrai développement.

La pauvreté de l’Eglise en matière de médias

On connaît bien maintenant le rôle dévastateur qu’a joué « Radio Mille Collines » et le « professionnalisme » efficace de sa propagande raciste, avec lequel les lettres pastorales ne pouvaient rivaliser. Alors que l’Eglise d’Afrique a investi l’écrit, elle a généralement raté le tournant des médias électroniques. Pourtant les processus de démocratisation ont conduit à une certaine privatisation des médias, c’est-à-dire à un moindre contrôle des gouvernements. C’est une chance pour les Eglises, comme le montre « Radio Tumaini » à Dar-es-Salaam.

« Comment moderniser les journaux d’Eglise pour leur permettre de rivaliser avec la presse professionnelle ? Le langage théologique dans lequel les lettres pastorales sont souvent écrites est peu accessible. Comment faire passer le message chrétien dans la culture médiatique naissante ?  »

Et maintenant, quelle Eglise ?

La masse des chrétiens rwandais n’a rien fait pour protéger ses responsables, empêcher la profanation des églises ou arrêter la destruction des institutions sociales. Est-ce un signe que l’Eglise n’était pas enracinée dans la vie du peuple, comme on aurait pu le penser, et que le peuple ne se reconnaissait pas vraiment dans les responsables d’Eglise ? « L’enseignement et la pratique de l’Eglise catholique exaltent aussi l’obéissance comme vertu supérieure, et ont peut-être, indirectement, rendu possible la perversion du pouvoir. L’abus d’autorité au Rwanda et dans de nombreux pays nous oblige à parler autrement de l’obéissance. Notre enseignement concernant l’obéissance rend-il les chrétiens critiques face aux abus flagrants de l’autorité dans la société et dans l’Eglise ?  »

Mots-clés

église catholique, échec, évaluation, abus de pouvoir, ethnocentrisme, système de valeurs, religion et politique, renforcement des institutions


, Afrique de l’Est, Rwanda

dossier

Ébauche pour la construction d’un art de la paix : Penser la paix comme stratégie

Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix

Notes

Wolfang Schonecke est secrétaire du Département pastoral de l’Association des Conférences épiscopales d’Afrique de l’Est(AMECEA).

Le texte ayant servi à l’élaboration de cette fiche a été publié en anglais par Amecea Documentation Service, Nairobi, KENYA, le 15 septembre 1994.

Fiche rédigée à partir d’un document envoyé suite à l’appel international à contribution lancé par la FPH pour l’organisation de la rencontre internationale sur la reconstruction du Rwanda (Kigali, 22-28 octobre 1994)co-organisée par la FPH et le CLADHO(Collectif des Ligues et Associations de défense des Droits de l’HOmme).

Source

Document interne

SCHONECKE, Wolfgang, La tragédie du Rwanda et les Eglises d’Afrique de l’Est, 1994/10

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