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Comment résoudre le problème de l’impunité au Rwanda

Jean Pierre GONTARD

10 / 1994

Le système judiciaire du nouveau Rwanda devra répondre à plusieurs attentes de nature différente : 1/ Châtier les responsables du génocide; 2/ Identifier et châtier les individus ayant commis des crimes de sang; 3/ Résoudre les conflits de terre, de propriété. Le défi consiste à mettre en place un Tribunal international, sur le principe duquel il semble y avoir un large accord, un appareil judiciaire compétent et impartial qui traite les cas relevant du droit pénal et un système, intégré ou non à l’appareil judiciaire, qui traite les cas relevant du droit civil.

1. Châtier les responsables du génocide

Trois tâches peuvent être accomplies rapidement et assez facilement : a) Identifier les responsables, les localiser, recueillir les témoignages et les documents. Ces tâches peuvent être entreprises par les autorités rwandaises, par les organisations de la société civile, à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières, par les citoyens de la sous-région, par les autorités nationales d’autres pays, par les ONG étrangères, par des organismes internationaux, ou par plusieurs de ces organismes simultanément. b) La deuxième tâche consiste à confirmer un cadre juridique pour le Tribunal International. Cette tâche devrait être rapidement menée à bien mais cela ne sera pas facile : les accord d’Arusha constituent-ils encore une base constitutionnelle acceptable pour les Rwandais ? une convocation de l’Assemblée constituante est-elle un préalable ? la convention sur le génocide et les Résolutions du Conseil de sécurité permettent-elles de court-circuiter les étapes nationales de reconstruction de l’appareil constitutionnel et judiciaire ? Quoiqu’il en soit, il reste un sujet tabou : un tribunal qui se tiendrait au Rwanda peut impliquer des condamnations à mort, alors qu’un tribunal international à l’extérieur sous l’égide des Nations Unies exclut formellement la peine capitale. c) La dernière tâche, qui relève de gouvernements étrangers, africains ou autres, implique l’arrestation et l’extradition des responsables du génocide inculpés ou simplement recherchés par le Tribunal international qui ne se trouveraient hors Rwanda.

2. Identifier et châtier les individus ayant commis des crimes de sang

Des dizaines de milliers d’hommes et de jeunes ont commis et commettent des crimes de sang sur leurs compatriotes. Ils relèvent d’une juridiction pénale nationale. Ils doivent être punis, mais ils ont droit à une procédure sereine et équitable.Trois temps (parmi d’autres)sont particulièrement importants : - l’identification des coupables et l’instruction; - les procès; - l’application des peines. L’identification des coupables: peut-elle se faire sans tarder ? par qui ? avec quelle transparence ? Les listes de coupables présumés doivent-elles être rendues publiques ? L’instruction peut-elle être faite par des magistrats ou par d’autres personnes sous le contrôle de magistrats indépendants ?/Les procès : peuvent-ils se faire rapidement après l’arrestation et l’instruction ? Le droit rwandais est-il utilisable tel quel ? avec des adaptations ? validées par qui ? Le recrutement et la formation rapide de juges peuvent-ils se faire avec la collaboration d’autres magistratures africaines ou d’organisations spécialisées ? Peut-on faire appel à des magistrats d’autres pays africains détachés, comme cela s’est fait dans plusieurs pays; en particulier anglophones, après l’indépendance ? Comment la défense pourra-t-elle être assurée et par qui ? Peut-on envisager des procédures collectives ? L’application des peines : quelle peut-être la gamme des peines - condamnations à mort, emprisonnement, indemnisation des familles des victimes, privation de droits civiques, opprobre publique, condamnation suivie d’une amnistie, exil ?.

3. Résoudre les conflits de terre et de propriété

Des terres et des propriétés ont été occupées ou confisquées à plusieurs reprises depuis 1959, sans que les auteurs de ces délits soient punis. C’est une des bases fondamentales de la « culture d’impunité » dans la région. Le génocide et les grand mouvements de populations entraînent d’innombrables nouveaux conflits qui relèvent du droit civil et coutumier. Leur non prise en compte peut générer de nouvelles violences. L’appareil judiciaire dans son état actuel peut-il traiter ces affaires ? Est-ce une priorité ? L’importance de ces conflits est-elle perçue de la même façon par les élites et par les paysans ? Une justice rurale basée sur la tradition et rendue par les laïcs est-elle envisageable ? Est-ce envisageable avant le retour de la majorité des réfugiés ? Peut-on envisager des mesures légales conservatoires qui préserveraient les intérêts à long terme des réfugiés résidant encore à l’extérieur ? Peut-on envisager des mesures légales positives précisant les droits des réfugiés qui viennent de rentrer d’un long exil ? Peut-on, envisager la mise en place rapide d’institutions locales réglant les problèmes fonciers dans certaines régions dont la population est déjà stabilisée?

Deux pistes de réflexion :

A. Priorité aux victimes ou aux criminels ? La première approche - qui vient d’en haut - serait celle d’un tribunal international. La deuxième approche - qui vient de la base - serait celle d’une justice locale traitant les cas civils conformément à la tradition et au droit. Elle vise non seulement à punir les coupables, mais à rétablir les victimes dans leurs droits et à les indemniser. Les délits de sang qui relèvent du droit pénal national peuvent être considérés soit du point de vue du criminel, soit de celui de la victime. Du point de vue des criminels, il s’agit de punition d’office de façon exemplaire. Du point de vue des victimes, il s’agit de n’instruire que les plaintes déposées et de rechercher l’indemnisation ou le rétablissement des droits et la punition des coupables. Dans ce cas, beaucoup de coupables restent impunis, mais beaucoup de victimes ou de parents de victimes ont conscience qu’ils ne sont pas oubliés et que leur point de vue est pris en compte.

B. Impunité suprême : Parmi les fondements de la culture d’impunité de la région des Grands Lacs africains, il en est un qui mérite d’être mieux étudié : l’usage de la force pour changer de gouvernement. Les coups d’Etat, sanglants ou non, sont banalisés. Les assassins de chefs de l’Etat ne sont pas poursuivis. Les élites qui utilisent la force pour alterner dans l’exercice du pouvoir bénéficient d’une impunité étonnante. Pourquoi poursuivre les petits assassins, alors que ceux quine respectent aucun ordre constitutionnel ne risquent rien même s’ils tuent les plus hauts représentants de l’Etat ? Une fois encore l’exemple vient d’en haut.

Mots-clés

construction de la paix, génocide, paix et justice, TPI, action juridique, réhabilitation des victimes, renforcement des institutions


, Rwanda

dossier

Expériences et réflexions sur la reconstruction nationale et la paix

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les nouveaux défis du XXIe siècle

Notes

Fiche de synthèse rédigée par Jean-Pierre Gontard, sur la base de recherches effectuées par les étudiants de l’IUED et des travaux du groupe « Ecoute et réconciliation dans l’Afrique des Grands Lacs », composé de personnes originaires de quatre pays de la région.

J.P. Gontard est directeur- adjoint de l’IUED.

Fiche rédigée à partir d’un document envoyé suite à l’appel international à contribution lancé par la FPH pour l’organisation de la rencontre internationale sur la reconstruction du Rwanda (Kigali, 22-28 octobre 1994) co-organisée par la FPH et le CLADHO (Collectif des Ligues et Associations de défense des Droits de l’HOmme).

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