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Tandis que le sur-approvisionnement baisse les prix du poisson, les pêcheurs français passent à l’action directe

Pierre GILLET

05 / 1995

Pour les travailleurs de la pêche français, 1993 restera dans les mémoires comme une année noire. La colère a explosé en Février quand, suite au mauvais temps, ils ont repris la mer pour se rendre compte qu’à terre, les prix s’étaient éffondrés.

Les stocks de poisson se sont accumulés sur les criées et les mécanismes établis par les coopératives pour contrôler les prix ne pouvaient pas maîtriser la situation. Ces coopératives, construites autour de chaque lieu de débarquement, avaient jusque là bien servi les intérêts des travailleurs de la pêche.

En France, il existe des coopératives pour le crédit, mais aussi pour l’achat de matériel. Une autre est spécialisée dans le retrait du marché et la transformation de poisson chaque fois que les prix passent au-dessous du "prix plancher", fixé par les pêcheurs eux-mêmes. Le système qui a été très efficace pendant 40 années, s’est arrêté subitement.

Il est devenu vite clair que le marché des poissons n’était plus contrôlé par les ports de pêche, mais par des aéroports où étaient débarqués les grandes quantités de poisson frais et congelés à des prix considérablement au-dessus des prix plancher fixés par les pêcheurs. Le poisson est devenu maintenant un voyageur VIP, se déplaçant par avion !.

Aux villages de pêche, c’était la désolation partout. Ceux qui ont acheté de nouveaux bateaux avec crédit bancaire étaient en déficit et les familles se sont trouvées en dettes. Des Comités de solidarité des femmes furent établies et participèrent, de près, au mouvement.

Le système coopératif étant paralysé, les syndicats, bien que divisés par de différentes allégeances, ont commencé à réagir. Un Comité de survie s’est rapidement mis en place pour ccordonner les actions diverses et a établi sa propre cellule de crise pour rediger les recommandations.

Au cours des premières vagues de protestations, les travailleurs de la pêche et leurs femmes ont commencé à distribuer les poissons, gratuitement ’au public’ et par conséquent, on gagné leur soutien. Ils ont jeté des tonnes de poissons invendables aux différents endroits et devant les bureaux du gouvernement y compris ceux de la Communauté Européenne de Bruxelles.

Différentes ’attaques’ d’aéroports régionaux eurent lieu et, chaque fois, les travailleurs de la pêche identifiaient avec amertume les pays originaires à partir des cartons de poissons - Russie, Pologne, Etats Unis, Pérou et Sénégal et bien d’autres.

Pendant deux mois, de grandes manifestations eurent lieu dans les villes de France: Bayonne, Quimper, Nantes, Boulogne et Lorient. Mais dans l’ensemble, ce fut pacifique; peu de violence. C’était le pillage du grand marché français, RUNGIS, près de l’un des principaux aéroports de Paris, la nuit du 22 Février qui fut l’action la plus impressionnante.

Grâce à cette action du type commando, les écrans de télévision du monde entier ont fait connaître les problèmes des travailleurs de la pêche. Les négociations avec le gouvernement français et les responsables de la Communauté Européenne pouvaient débuter. Les premières réponses furent assistancielles: allocations de crise et rééchelonnement des dettes.

Chercher des alliés

Les pêcheurs bretons ont organisé des rencontres et des débats avec leurs collègues anglais, irlandais et espagnols pour affiner leurs analyses de la situation et pour gagner des alliés et ensemble demander l’application d’une vieille règle de la Communauté Européenne qui prévoit le principe de "la préférence communautaire". Le poisson arrivant du reste du monde était si bon marché qu’il a bouleversé tous les calculs de rentabilité des flottes de pêche européennes, particulièrement celles qui ont acquis du matériel, nouveau et cher.

Le Comité de survie a décidé de cibler ses demandes sur le poisson frais uniquement, maintenant ainsi l’industrie de la transformation hors de la polémique. Une stratégie intelligente qui a assuré les travailleurs de la pêche de l’appui de certains milieux gouvernementaux et industriels.

Le Comité reclama "la préférence communautaire" - et il l’obtint pour cinq espèces de poisson d’eau froide - la morue, l’églefin, le lieu noir, le merlin et l’anguille.

Des droits seront dorénavant perçus à l’entrée dans la Communauté Européenne pour que le prix des produits importés ne coule pas la rentabilité des pêcheurs locaux.

Ceci n’était que l’une des demandes importantes du Comité de survie. Il a aussi envisagé de renvoyer le revenu gagné par cette taxe aux organisations de travailleurs de la pêche du Tiers Monde, afin de les aider à défendre leurs membres et à assurer des prix justes pour leurs produits.

Il faut dire que plus d’un pêcheur de Bretagne a pu assister à des rencontres au Sénégal ou en Afrique-Ouest. Ils ont vu comment les pêcheurs artisans sont souvent obligés de vendre en catastrophe sur les plages simplement parce qu’ils ne possèdent ni glacière ni congélateurs pour conserver la pêche et ainsi, s’assurer d’un meilleur prix.

De tels échanges ont semé des germes de "solidarité" parmi les travailleurs de la pêche. Malheureusement les ministres et les décideurs ne semblent pas être si clairvoyants.

La dernière en date de ces actions des travailleurs de la pêche française fut une journée "opération mer morte": aucun bateau ne s’embarqua à la pêche pendant 24 heures. Il y eut aussi une grande manifestation à Luxembourg devant le bureau de la Communauté Européenne, au moment où les douzes membres de la pêche se réunissaient.

En attendant, la lutte continue. En fait, la pêche n’a pas été réellement suspendue. Les pêcheurs sont allés en mer à tour de rôle et ils se sont relayés à terre pour maintenir la pression.

Beaucoup redoutent cependant, de voir la facture à payer: on "turbine à fond" pour compenser les prix bas. La surpêche de plusieurs espèces menace. Est-ce la conclusion tragique des problèmes actuels en Europe ?

Mots-clés

coopérative, droits sociaux, législation, pêche, pêcheur artisan, UE


, France, Europe

Source

Document interne

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