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Jouer pour vivre à l’Albergue infantil

Un enfant qui ne joue pas est un enfant qui meurt

Philippe VALLS

06 / 1997

Au début des années quatre-vingt, fuyant les massacres et les persécutions, des dizaines de milliers d’indigènes du Guatemala se réfugient au sud du Mexique dans l’Etat du Chiapas.

En 1983, la plupart des réfugiés guatémaltèques sont regroupés dans la forêt tropicale humide le long de la frontière. Dans les camps, qui comptent parfois plusieurs milliers de personnes, la situation est très précaire. Les enfants sont les premières victimes de la sous-alimentation et des maladies qui affectent la majeure partie de la population réfugiée. Les autorités mexicaines contrôlent sévèrement les déplacements des réfugiés et interdisent l’accès des camps aux organisations humanitaires. L’hôpital Général du Comitán, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de la zone de refuge est la seule institution où les réfugiés sont autorisés à recevoir des soins. Il accueille principalement des enfants épuisés par l’exode, souffrant de dénutrition, de parasitoses multiples et de nombreuses maladies infectieuses.

De 1983 à 1985, ERM a développé en collaboration avec l’équipe de l’hôpital un programme médico-éducatif visant à améliorer les soins et les conditions d’accueil des enfants réfugiés guatémaltèques. Ce programme comportait deux volets : l’ouverture d’un pavillon de renutrition dans l’enceinte de l’hôpital et la mise en place d’activités ludiques à l’Albergue Infantil -centre de convalescence dépendant de l’hôpital - accueillant les enfants à la suite de leur hospitalisation.

Lorsque nous visitons l’Albergue infantil pour la première fois, ce qui nous frappe c’est le silence, l’absence de mouvement. Une cinquantaine d’enfants de 2 à 10 ans sont là, assis ou allongés à même le sol, figés dans l’attente et l’ennui. Pas un sourire, pas un rire, des regards tristes à mourir. L’infirmière nous explique le déroulement de la journée. Le matin, après le petit déjeuner, visite médicale et soins. A midi, déjeuner. A six heures, dîner. La nuit, une gardienne assure la surveillance.

C’est l’heure du dîner, les cuisinières frappent dans leurs mains et appellent les enfants. Quelques sourires furtifs, tous prennent place dans le réfectoire sans aucune précipitation. Tous... sauf un qui reste couché au fond de la cour. L’infirmière va le chercher. Il est mort.

Depuis l’ouverture de l’albergue, de nombreux enfants sont morts ainsi, malgré les soins médicaux et une alimentation équilibrée.

Partant de ce constat mais surtout portés par l’émotion de cette première visite, nous proposons à la direction de l’hôpital un projet d’animation qui permette aux enfants de retrouver un niveau d’activité correspondant à leur âge durant leur convalescence. Malgré les réticences des médecins qui nous disent avoir tout essayé, notre projet est accepté et démarre dans les jours qui suivent.

Dès que les enfants ont repéré que nous venions tous les jours passer la journée avec eux, une immense demande affective s’est exprimée. Nous n’avions pas assez de mains, de jambes pour les accueillir tous. : trois sont assis sur une jambe, quatre sur l’autre, plusieurs se partagent nos mains, chacun son doigt. Peu à peu, grandes mains et petites mains se prennent au jeu. Elles s’échappent, se cachent dans le dos, reviennent tout doucement et les sourires avec. Quand arrivent les premiers ballons et les premières couleurs, les petites mains s’en emparent comme d’un trésor et ne s’en séparent plus. Elles ont déjà tout perdu, ce qu’elles tiennent elles ne veulent plus le lâcher. Du coup, elles n’osent s’aventurer plus loin en lançant la balle ou en traçant une ligne sur une feuille blanche. Pour se risquer plus loin, les grands yeux nous interrogent à chaque instant et ce n’est qu’après plusieurs jours que les enfants, quelque peu rassurés, vont lâcher les objets -ballon, crayon- pour mieux les reprendre et en faire autre chose : un jeu, un dessin.

Durant les premières semaines, notre intervention a d’abord été une réponse à la demande affective des enfants fondée sur notre seule présence et un investissement intense. Les activités proposées étaient le plus souvent improvisées. D’une séance de dessin, nous glissions à un jeu de ballon qui se transformait en ronde et se terminait par une pause-câlin.

Les progrès des enfants étaient spectaculaires. Ils commençaient à courir et à rire, à jouer spontanément -seuls ou à plusieurs-, à se disputer, à pleurer. Ils mangeaient de nouveau avec appétit et les médecins constataient une amélioration de leur état de santé.

Après le départ de l’aide-soignante qui avait initié le travail à l’Albergue, certains enfants dont elle s’était particulièrement occupée manifestèrent une grande détresse et l’un d’entre eux mourut. Nous réalisions alors que notre soutien affectif pouvait se retourner contre les enfants si notre départ n’était pas préparé. Et au-delà, qu’il s’agissait de construire un cadre d’accueil où, indépendamment des adultes, les enfants puissent trouver des repères affectifs stables et retrouver la capacité de jouer pour vivre.

C’est dans ce sens que les équipes d’ERM qui se sont succédé pendant deux ans ont travaillé. Mais ceci est une autre histoire.

Mots-clés

camp de réfugiés, réfugié, enfant, santé, service de santé, santé mentale, aide psychologique


, Mexique, Chiapas

Notes

Philippe VALLS, instituteur puis psychologue, membre bénévole d’ERM depuis sa fondation en 1981, a participé à différentes missions en Amérique centrale et en ex-Yougoslavie. Président d’ERM depuis 1995.

Source

Texte original

ERM (Enfants Réfugiés du Monde) - 34 rue Gaston Lauriau, 93512 Montreuil cedex, FRANCE - Tél. : 33 (0)1 48 59 60 29 - France - erm (@) erm.asso.fr

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