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L’éveil des organisations paysannes dans les pays andins

Frédéric PRAT

11 / 1995

En tentant de "développer" le Sud, parfois avec de bonnes intentions, la Coopération internationale, qu’elle soit publique ou privée, a subi de nombreux échecs. L’une des explications est le manque profond de connaissances des "organisations" traditionnelles des populations que les projets de coopération prétendent "développer". Cette ignorance s’accompagne également d’un dogme : celui du développement de la société occidentale démocratique, modèle que le Nord, faute d’imagination (par manque d’observation), tente d’imposer au Sud.

Ce constat n’est pas nouveau, mais la question du comment connaître les aspirations réelles des groupes paysans et/ou indigènes reste posée. Faut-il créer des organisations "démocratiques", sur le modèle occidental, afin qu’une majorité se dessine et puisse exposer clairement ses revendications ? Faut-il se fier aux groupes déjà existants, et si oui lesquels : ceux créer par l’Eglise, les partis politiques, l’Etat ?

A ces questions, François Greslou, agronome français, apporte une réponse ethnologique : de longues années passées au Pérou lui ont en effet permis d’appréhender la sociéte andine de l’intérieur. Et son message est clair : nous (le Nord)n’avons rien compris à l’organisation paysanne andine tout simplement à cause de concepts culturels différents. Notre référentiel occidental (concepts de démocratie, d’acteurs, d’organisations...)ne nous permet pas de voir, et donc de comprendre, une culture différente de la notre. La force du texte de François Greslou est moins dans cette affirmation (somme toute aujourd’hui admise par beaucoup d’acteurs de la coopération, notamment ceux des ONG)que dans sa démonstration. En effet, il a réussi à décodifier une petite partie, comme il le dit lui-même, de l’organisation paysanne andine. Mais cette partie est suffisante pour nous faire mesurer l’abîme qui existe entre deux "modèles" d’organisation, deux cultures, radicalement différents.

Quelques exemples : là où le Nord considère l’homme comme étant au centre du développement, la société andine s’organise toujours autour de trois types d’acteurs : la communauté des hommes, les divinités et les êtres de la nature (sols, plantes, animaux, eaux, etc.). Le développement de cette organisation repose donc sur un équilibre permanent entre ces trois acteurs. C’est le concept de développement durable où "l’être humain n’est qu’un membre parmi d’autres du monde vivant", et où "les interrelations mises en place par les hommes ne sont ni privilégiées, ni encore moins avec un rôle de commandement". On le voit : le récent concept de développement durable à l’occidental n’en est encore qu’un pâle reflet.

Autre exemple, celui du concept de démocratie : en occident, une société est démocratique si elle organise régulièrement des élections libres. Les élus commandent alors, au détriment de la minorité qui n’a pas voté pour elle... et bien souvent également de la majorité qui s’est exprimée en sa faveur. Dans la société andine, la répartition des pouvoirs se fonde sur le rite. L’objectif est en effet d’organiser les interrelations entre les êtres humains, les êtres naturels, et les divinités pour assurer le "bien-être" de tous. Un dialogue permanent est donc établi entre ces trois acteurs duquel résultent des tâches à accomplir (les "cargos")assumées par tous selon une répartition très précise des rôles. Les critères d’attribution des "cargos" ne sont pas aléatoires : ils prennent en compte l’expérience et l’aptitude au dialogue. Au cours de sa vie, chacun a la possibilité d’assumer les différents "cargos", du plus simple au plus compliqué. Mais tous les "cargos" sont considérés comme importants et indispensables et sont donc respectés par tous. A chaque nouveau travail (par exemple un cycle d’une culture), correspond une organisation et une répartition des "cargos", remise en cause pour le travail suivant. On est très loin des "élections libres et démocratiques" à la mode occidentale. Dès lors, comment s’étonner de notre incompréhension de ce système ?

Et pourtant, comme le souligne Ethel del Pozo, les organisations paysannes et indigènes andines sont en plein essor. Mais si leur constitution officielle a souvent été provoquée par des agents extérieurs (Etat, partis politiques, Eglise...), elles ont souvent peu à peu rompu leurs liens avec leurs créateurs pour se trouver un second souffle dans des revendications propres. Encore faut-il distinguer différents types d’organisations, représentatives de différents intérêts : si les indiens paysans et paysans andins revendiquent plutôt leur identité culturelle et l’appartenance à un territoire, les paysans agriculteurs s’attachent surtout à l’amélioration de la production et de la productivité. Quant aux agriculteurs, nouvelle classe formée comme au Pérou par la parcellisation des coopératives, ils revendiquent surtout l’accès au services agricoles, à la commercialisation, à la défense de leurs intérêts individuels. Le développement de ces organisations correspond à la nouvelle conscience du besoin d’intermédiation entre les paysans et indigènes d’une part et l’Etat, les ONG, l’Eglise..., d’autre part. Elles sont aujourd’hui reconnues par les organisations internationales de coopération.

Mots-clés

coopération internationale, organisation syndicale, organisation communautaire, organisation paysanne, démocratie participative, communauté paysanne, agriculture et environnement, choc culturel, société traditionnelle


, Pérou, Bolivie, Colombie, Andes

Commentaire

La juxtaposition des textes de F. Greslou et Ethel del Pozo est censée illustrée le passage du micro au macro. Pourtant, à la lecture du texte de F. Greslou, on est en droit de s’interroger sur la cohérence entre ces "macros" organisations paysannes et indigènes, et la "micro" (bien qu’holistique)organisation andine. En effet, l’affirmation d’Ethel del Pozo selon laquelle certaines organisations indigènes défendent un projet national, n’est-elle pas en contradiction avec le fait "qu’un paysan de l’Altiplano continue à se considérer aymara et fait rarement état de sa nationalité qui, selon le découpage imposé, est péruvienne, bolivienne ou chilienne" ? Comment "le désir profond des paysans de parcellisation" (Ethel del Pozo)se conjugue-t-il avec l’absence de notion de propriété individuelle du monde traditionnel andin ?

Source

Rapport

DEL POZO, Ethel, GRESLOU, François, FPH=Fondation Charles Leopold Mayer pour le progrès de l'homme, L'éveil des organisations paysannes dans les pays andins, FPH, 1991 (France), N°4

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