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Le capital au risque de la solidarité : une épargne collective pour la création d’entreprises employant des jeunes et des chômeurs de longue durée

Frédéric PRAT

03 / 1994

Chômage, exclusion, solidarité, réinsertion sociale... ces mots sont depuis quelques temps dans la bouche de tous les élus... et candidats ! Contrats emplois solidarité (CES), de retour à l’emploi, de qualification... ces mesures semblent mises sur pied plus pour faire "tourner les chômeurs" que pour réellement faciliter leur réinsertion définitive. D’ailleurs, très peu de ces multiples contrats débouchent réellement sur un emploi à durée indéterminée.

Autre constat : de nombreux exclus sont des porteurs potentiels de projets d’initiatives économiques, mais sans aucun moyen de les financer. Car, c’est bien connu, on ne prête qu’aux riches !

Et pourtant, c’est bien là que se trouve la solution : permettre aux chômeurs porteurs de projets de se prendre en charge en fondant leur propre entreprise... et du même coup d’employer d’autres chômeurs.

Mais où trouver l’argent ? la réponse de Christian Tytgat, ex travailleur social et fondateur de la société "Autonomie et Liberté", est simple : chez toutes les personnes qui partagent l’envie de lutter contre l’exclusion et qui ont quelques économies (même peu)à prêter à des créateurs d’entreprises. Mais, en fondant d’abord le GIEPP (Groupement pour l’Initiative et l’Elaboration de Projets Professionnels)puis "Autonomie et Solidarité", l’idée de Christian Tytgat va plus loin que le simple prêt à des projets économiques refusés par les banques classiques. En effet, en plus du manque de capitaux, de nombreux projets échouent faute d’un savoir-faire technique, économique ou simplement d’un isolement humain ou du marché. C’est pourquoi, à l’idée d’aider financièrement la création d’entreprises, s’ajoute celle du parrainage de chaque entreprise financée par une personne compétente... et bénévole. Ainsi, comme l’affirme Flandres ateliers, l’une des sociétés aidées par "Autonomie et Solidarité", en nous donnant ses trente années d’expérience, notre parrain nous a fait gagner trois ou quatre ans. Et il nous a aider à ne pas nous planter ! "

De 1990 à 1994, Autonomie et Solidarité aura finalement réussi à attirer près de 1400 actionnaires et soutenu financièrement une quinzaine d’entreprises... malgré des critères d’attribution d’aides très sévères : l’entreprise qui postule aux aides doit en effet avoir un fonctionnement démocratique, un processus de production économe en ressources naturelles, des relations de solidarité internes et externes (avec notamment l’attribution d’au moins la moitié des emplois créés à des chômeurs de longue durée...).

Mais l’opiniâtreté de ses promoteurs a fini par payer : auprès des investisseurs d’abord (souvent petits porteurs d’une ou deux actions de 500 F.), mais aussi auprès de la COB (Commission des Opérations Boursières)qui a avalisé officiellement le statut d’Autonomie et Solidarité comme une "Société Anonyme Coopérative spécialisée dans les placements à risque, à capital variable, à conseil de surveillance et directoire, créée par appel public à l’épargne".

Le prochain pas ? La création d’une banque alternative bien entendu, qui viendrait épauler les entreprises solidaires par des crédits. Oui mais voilà : n’est pas banquier qui veut ! Il faut pour cela réunir 35 millions de nouveaux francs... Même si Christian Tytgat estime que le réseau d’Autonomie et Solidarité pourrait collecter sans peine 10 millions de francs, on est encore loin du compte ! Alors ? La solution viendra peut-être d’une banque conventionnelle qui (pour son image ? )serait tentée par l’aventure... Ou même du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais qui a annoncé il y a peu la création d’une banque verte. Mais en tout cas, à son échelle, Autonomie et Solidarité fonctionne. Alors, quelles conditions ont permis à cette utopie de cristalliser ? Pierre Calame, président de la FPH, en note quatre :

- une évolution des représentations : face à la crise industrielle sans précédent du Nord de la France, la Région prend conscience que la solution ne viendra pas de l’extérieur. Les clivages classiques patrons-salariés, capital-travail s’estompent au profit de la mobilisation de l’épargne vers un seul but : la lutte contre l’exclusion sociale.

- l’apport d’idées nouvelles, réinterprétées et assimilées au travers du filtre de la culture ambiante. Dans le cas d’Autonomie et Solidarité, il s’agit de l’apport des idées de "fonds éthiques" (venues du protestantisme et du monde anglo-saxon), réinterprétées par les acteurs du "catholicisme social" caractéristiques du Nord de la France.

- la proposition concrète d’un "imaginaire de convocation" : face aux interrogations d’un public qui sent "qu’il faut faire quelque chose", Christian tytgat a su proposer une action solide et cohérente.

- enfin, dernière condition de réussite identifiée par P. Calame, "l’innovation frontale", c’est-à-dire l’innovation sur plusieurs fronts à la fois : mobilisation de l’épargne à des fins de réintégration sociale, rapports employeurs-salariés démocratiques, nouveaux créneaux de production...

L’essaimage d’Autonomie et Solidarité, à Caen puis à Marseille, semble bien prouver que ces conditions sont reproductibles, moyennant adaptation, sous d’autres cieux.

Mots-clés

insertion sociale, économie solidaire, banque, chômage, exclusion sociale, crédit solidaire


, France

Source

Livre

BOREL, M., PERCQ, Pascal, VERFAILLIE, Bertrand, VERLEY, Régis, AUTONOMIE ET SOLIDARITE, FPH=Fondation Charles Leopold Mayer pour le progrès de l'homme, Le capital au risque de la solidarité, FPH in. Dossier pour un Débat, 1993/06 (France), N° 17

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