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Une retraite active dans les réseaux d’échanges réciproques de savoirs

Paul AUBERT

02 / 1996

Après 38 ans de travail dans l’industrie automobile, chez Renault plus exactement, je me sentais prêt, sans autre réflexion, pour accepter une retraite anticipée. J’avais donc le choix: ou rester à effectuer un travail de bureau d’études très intéressant, au sein d’une équipe dynamique, ou partir vers la "liberté" d’une retraite épanouie. Je choisis la seconde solution, me pensant "mûr" pour vivre quelque chose de riche : j’avais engrangé dans ma mémoire de multiples solutions, par exemple : la chasse au "papillon bleu" au Tanganika, la recherche de coquillages sur les rivages glacés du Spitzberg, etc. Je plaisante bien entendu ! J’avais donc une belle ligne droite de satisfactions égoïstes à engranger.

En fait, ça ne s’est pas passé ainsi. Après quelques mois de détente, j’ai commencé à déprimer. La solitude a freiné mon enthousiasme et puis, et puis. il me fallait une occupation qui ait vraiment du sens. C’est une étape importante de la vie, cette retraite. Dans un premier temps il faut faire le deuil de longues années de travail. Dans mon cas, ce fut facile, il n’est pas utile d’en dire plus !

Moins d’un an après mon départ de l’entreprise, j’ai pu suivre un stage organisé par ma future caisse de retraite (système de protection sociale obligatoire en ce qui concerne la France, alimentée durant la période de travail par une participation patronale et une retenue sur le salaire). Dans ce stage de deux semaines, à cinq personnes (jeunes retraités), nous avons, avec deux assistantes sociales (personne chargées d’aider une population à monter des projets)et une animatrice de groupe, évoqué, travaillé nos projets individuels ou collectifs, selon le cas. Tous ces échanges furent riches d’enseignement. Nos questionnements, rebondissant des uns aux autres, permirent, entre autres, à nos trois animatrices de nous renseigner, de nous aider dans nos pistes de recherches. Une de mes questions portait sur l’exclusion, j’étais à la recherche d’un lieu où je pourrais apporter mon aide, réfléchir avec d’autres. Il me fut signalé que les Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs avaient des groupes qui abordaient de multiples sujets dont celui de l’exclusion.

Je filai dès que possible à EVRY (30 kilomètres au sud de PARIS)au siège du Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs où l’on me parla du projet. Je crois que je buvais les mots que j’entendais, enfin du sens pour les temps à venir ! Les Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs sont un système ouvert où chaque participant offre et demande un savoir dans une situation totalement démonétisée, il ne s’agit pas d’un échange de services !

Indication m’est faite que le Réseau de CLAMART existait depuis trois mois et se trouvait à cent mètres de chez moi, dans le centre socio-culturel, lieu chargé de développer la culture dans des quartiers qui ne pourraient pas y avoir accès. Je filai tout aussi rapidement à la rencontre de "mon Réseau" où je fus reçu par la personne à l’origine du projet. Ma disponibilité, associée à une bonne compréhension du projet, me firent entrer dans "l’équipe d’animation" composée de cette personne et de moi-même. J’avais donc pour mission de chercher des offreurs et des demandeurs ainsi que de faire des mises en relation, temps pendant lequel l’offreur et le demandeur en présence du médiateur vont construire ensemble leur échange en abordant aussi bien le côté pratique que celui pédagogique. Ma déprime s’est évanouie dans l’aide bénévole à l’animation du Réseau.

Après trois années, ce Réseau s’est bien implanté dans le quartier, il vivifie le lien social. De 50 personnes au milieu de l’année 1992, on en était à 300 personnes en fin 1995, dont une grande majorité était en réciprocité d’offre et de demande de savoirs. Ces savoirs échangés recouvrent de très larges champs de l’action humaine : la cuisine colorée de tous les pays, les langues européennes, mais aussi le Woloff (langue majoritaire du Sénégal), la peinture sur soie, changer une roue de voiture, l’électricité à la maison, le jeu d’échec ou le bridge, déchiffrer une carte topographique. Les liens multiformes des échanges permettent avant tout de s’affirmer dans l’offre, de s’apprécier dans la parité. Ces Réseaux débouchent sur un avantage supplémentaire qui est la convivialité des fêtes élargies à de nombreux participants, où le repas est constitué de ce que chacun amène. J’ai offert dans le Réseau de Clamart, entre autres, la lecture des cartes topographiques et l’orientation à la boussole. Pour assurer cette offre, il m’a fallu me replonger dans les livres afin d’être précis, concis. Je continue même maintenant à me replonger dans des livres sur le magnétisme terrestre, ou sur les problèmes posés par la cartographie moderne. J’ai suivi une formation aux ateliers d’écriture dans le Réseau, et maintenant je restitue ce plaisir que j’ai éprouvé auprès d’un groupe de Clamart ; un atelier d’écriture est un temps pendant lequel des personnes se réunissent et par le biais de jeux d’écriture redécouvrent le plaisir d’écrire. Ces personnes me montrent une grande satisfaction de ce retour à l’écrit.

Je me suis totalement retrouvé grâce à la pratique des Réseaux, et même au-delà devrais-je dire ! Ma vie a enfin vraiment du sens, et je peux aussi me montrer plus citoyen que jamais, et ça c’est l’école du Réseau. De plus en plus je m’implique dans les Réseaux, dans ce Mouvement qui apporte un sens du devenir à des milliers de personnes.

Mots-clés

échange de savoirs, réseau d’échange de savoirs, réseau de citoyens, réseau d’échange d’expériences, personne âgée, valorisation de l’expérience


, France

Commentaire

Dans notre société où l’on voit les personnes âgées de plus en plus exclues des systèmes d’action et où on s’indigne de plus en plus de les voir être mises à l’écart, il est intéressant de voir qu’elles peuvent avoir encore une place. Et bien plus, puisque de nombreux Réseaux ont été créés et son animés par des retraités.

Notes

Le MRERS est une association créée par Claire et Marc HEBER SUFFRIN en 1985 et qui fonctionne sur un mode de réciprocité ouverte, chaque participant étant à la fois offreur et demandeur de savoirs. Les fiches ont été produites dans les ateliers d’écriture de ce réseau.

Source

Texte original ; Récit d’expérience

(France)

MRERS (Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs) - B.P. 56. 91002 Evry Cedex, FRANCE - Tel 01 60 79 10 11 - France - www.mirers.org - mrers (@) wanadoo.fr

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