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Etude agro-économique d’un centre de transmigration dans la province de Kalimantan sud en Indonésie

Rabah LAHMAR

10 / 1996

L’Indonésie a entrepris un large programme de transfert de populations des îles intérieures surpeuplées (Java avec ses 690 hab/km2 en 1980, Madura, Bali) vers les îles extérieures à faible densité de population (Kalimantan, Sulawesi, Sumatra, Irian Jaya). Ces transferts appelés transmigrations se font dans le cadre de qui est appelé la colonisation agricole dirigée. Ces transmigrations ont commencé dans l’archipel indonésien au début du siècle (1905) sous la colonisation hollandaise.

Dans la province Kalimantan sud, sur l’île de Bornéo, les premiers transferts de populations d’origine javanaise ont eu lieu de 1953 à 1961. Ils ont repris en 1969, de manière plus soutenue, au rythme de plans quinquénaux.

Le centre de SEBAMBAN I, choisi pour cette étude qui s’est déroulée entre septembre 1982 et juin 1983, regroupe 2000 familles de colons venant pour la majorité de l’île de Java mais aussi de Jakarta, de Yogya, de Bali, de Lombok et même de la province de Kalimantan Sud. Ce centre a été créé dans les années 1978.

Le projet SEBAMBAN I est un échec total quant aux objectifs principaux poursuivis par l’état et par les migrants, conclut l’étude.

L’Etat n’a pas atteint le développement de la production agricole souhaité ni le développement par l’agriculture de cette région.

Les migrants, âgés de 20 à 40 ans, mûs par une extraordinaire volonté de réussir ont échoué. Ils sont certes devenus propriétaires de 2 ha de terre mais, les maigres productions de riz, de manioc, de soja, de maïs et d’arachides qu’ils obtiennent, en travaillant manuellement ces terres, ne leur permettent pas d’améliorer leur niveau de vie par rapport à celui qu’ils avaient dans leurs provinces d’origine. Pour certains le niveau de vie s’est même dégradé. Ils ne sont pas arrivés à vivre de l’agriculture comme ils le souhaitaient malgré les tentatives de diversification des cultures qu’ils ont entreprises (culture de tabac, arboriculture fruitière, petit élevage…). Dans le budget des familles enquêtées, le revenu agricole représente moins du tiers. Cette situation ne les sécurise pas ; ils sont encore plus inquiets pour l’avenir de leurs enfants.

Ces migrants se sont donc transformés en ouvriers agricoles ou non agricoles allant vendre leur force de travail de plus en plus loin, ce qui les amène, parfois, à des absences prolongées du centre. La concurrence jouant, les salaires baissent. Les activités artisanales ou commerciales auxquelles certains colons se sont livrés se sont vite avérées éphémères du fait du manque de demande ou de pouvoir d’achat.

La raison principale de cet échec réside :

  • d’une part, dans le mauvais choix du site d’implantation du projet. Ce centre de 15 000 ha a, en effet, été installé sur des sols de très médiocre fertilité : des sols ferrallitiques tropicaux fortement désaturés. Il s’agit de sols très compacts au delà de 5 à 15 cm de la surface ; fortement acides et comportant des forts risques de toxicité de l’aluminium et du manganèse ; faiblement pourvus en matière organique ; à faible capacité de rétention pour les éléments nutritifs ; et à faibles niveaux en phosphore et en potasse.

  • et d’autre part, dans le fait que les colons installés sur ces sols pauvres sont habitués à cultiver les sols fertiles de java, Bali ou Lombok. Ils ne sont donc pas préparés pour affronter les difficultés à produire sur ces sols. Ils n’ont aucune maîtrise de la fertilisation nécessaire pour assurer une certaine production agricole sur de tels sols ; beaucoup d’entre eux n’ont jamais pratiqué la fertilisation auparavant. Les nouvelles techniques qui leur sont proposées par les conseillers agricoles sont souvent accueillies avec indifférence ou incompréhension.

Même si la fertilisation est acceptée et généralisée par la suite, la correction du bas niveau nutritionnel de ces sols et la correction de leur acidité nécessitent un investissement que les migrants ne peuvent pas assurer. Relever le niveau de phosphore de ces sols par exemple demande une dépense de l’ordre de 360 000 roupies par ha. Relever leur pH à 6.5 pour éviter la toxicité aluminique nécessite 15 tonnes de chaux à l’ha, ce qui revient à 2 000 000 roupies/ha. Cet investissement est équivalent au budget alloué par l’Etat, dans le cadre de ce projet, pour l’installation d’une famille (5 000 000 de roupies).

A ces causes essentielles de la faillite se greffent d’autres causes comme : les accidents climatiques, les attaques de maladies ou d’animaux sauvages ou encore le dysfonctionnement des services administratifs concernés qui se traduit par exemple par des retards de livraison de semences, de fertilisants et de produits phytosanitaires.

Les maigres chances de réussite de ce projet agricole étaient malheureusement connues dès le départ. En effet, une équipe de chercheurs locaux avait étudié ces sols en 1977 et avait déconseillé leur utilisation agricole. Les conclusions de l’étude étaient donc connues avant l’installation de ce centre et de ceux qui lui ont succédé dans cette province.

Pour tenter de sortir de la situation de précarité, les auteurs de l’étude agro-économique avaient recommandé l’intervention de l’Etat et l’orientation de ce centre vers les grandes plantations d’hévéa, de palmier à huile, et de girofle. Ils ont noté cependant que les transmigrants de Java, qui sont majoritaires dans ce centre, bien que grands agriculteurs de tradition, n’ont aucune expérience des plantations.

Mots-clés

agriculture paysanne, agriculture traditionnelle, céréale, riz, maïs, agriculture vivrière, dégradation des sols, pédologie, système de production, croissance démographique, ouvrier agricole, revenu agricole, manioc, soja


, Indonésie, Kalimantan

dossier

Des sols et des hommes : récits authentiques de gestion de la ressource sol

Commentaire

Cette étude montre à l’évidence ce à quoi conduit l’ignorance volontaire, comme c’est apparemment le cas ici, du sol dans l’élaboration de projets de développement agricole. Par ailleurs, la responsabilité des décideurs est, dans ce projet, très engagée et à triple titres :

- vis à vis des transmigrants qui se sont retrouvés dans une plus grande précarité ;

- vis à vis des scientifiques locaux qui n’ont pas été écoutés ;

- et vis à vis des sols qui ont été plus fragilisés.

L’étude ne nous dit pas, malheureusement, ce qu’il est advenu de ces sols originellement sous forêt, qui reçoivent annuellement 2600 mm de pluie et qui sont sur un relief ondulé.

Source

Rapport

LEVANG, Patrice, RISKAN MARTENS, I., MENGER, M., ORSTOM=INSTITUT FRANCAIS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE POUR LE DEVELOPPEMENT EN COOPERATION, Departemen Transmigrasi - Republik indonesia, SEBAMBAN I. Agro-economic survey of a transmigration center on south Kalimantan, 1984 (Indonesie), Patrice LEVANG, <Tanah Sabrang : La transmigration en Indonésie>. ORSTOM, 1995, 461p.

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