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Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes

Pierre Yves GUIHENEUF

10 / 1997

Cela semble pourtant simple et de bon sens : au lieu de limiter la production agricole européenne comme c’est le cas actuellement, ne vaudrait-il pas mieux l’augmenter de manière à combler enfin les besoins alimentaires non satisfaits du reste du monde ? Bertrand Hervieu montre que cette question est moins simple que simpliste. Ce ne sont d’ailleurs pas les producteurs des pays pauvres qui la posent, eux qui sont menacés d’exclusion par nos exportations envahissantes. <Il n’y a pas de pire malheur pour une nation que de manger ce qu’elle n’a pas semé>disent-ils, déclinant à leur manière le slogan de leurs homologues du Nord : <Pas de pays sans paysans>.

Pour les agriculteurs du Sud, qui représentent en nombre la moitié de la population, la possibilité de mieux nourrir leur société est la condition même de leur développement. Pour Bertrand Hervieu, ils peuvent le faire s’ils en ont les moyens et s’ils exercent leur activité dans un cadre économique et politique favorable. Il faut dénoncer le mythe de l’incapacité "naturelle" de certaines régions du monde à se nourrir. Les vélléités expansionnistes des responsables de l’agriculture européenne ou nord-américaine cachent mal, sous un apparent humanisme, les intérêts commerciaux et politiques de ceux qui se servent des aliments comme d’un instrument de profit ou d’une arme dans les rapports de force internationaux.

La reconnaissance du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes aura des implications dans divers domaines. Dans les pays riches, d’abord, le moteur du développement agricole ne passerait plus par l’accroissement des quantités produites destinées aux marchés extérieurs, mais par la satisfaction de nouvelles demandes intérieures : amélioration de la qualité des aliments, diversification des productions, gestion du territoire ou création de lien social. Cela passerait par une intervention publique adaptée qui n’est légitime aux yeux du contribuable que si les agriculteurs respectent quelques principes de base : équité dans la répartition des fonds publics, efforts de création d’emplois, respect de l’environnement...

Dans le domaine des relations Nord-Sud, la coopération agricole devra en finir avec le modèle "missionnaire", qui postule l’universalité de notre organisation et de nos techniques agricoles. De ce fait, il faudra cesser d’envoyer au casse-pipe des générations de jeunes coopérants chargés d’imposer nos façons de faire à ceux qui sont supposés en avoir besoin et qui, en fait, tentent d’y échapper afin de préserver leurs propres valeurs et leurs connaissances.

Sur le plan international, enfin, le droit des peuples à se nourrir s’accompagne d’un devoir des États. Croire que les vertus du marché permettront à elles seules d’améliorer la situation de tous relève de la naïveté ou de la mauvaise foi. La mondialisation et la libéralisation du commerce ne suffiront pas à garantir les intérêts des pays les plus pauvres, eux dont le poids dans l’économie mondiale ne cesse de diminuer. Pour se nourrir elle-même, l’Afrique devra multiplier sa production agricole par trois dans les cinquante prochaines années, alors que l’Amérique latine et l’Asie devront accroître la leur de 70 à 80 %. Comment envisager une telle perspective sans une réorganisation complète des échanges internationaux, des rapports de coopération et des modèles de production ? L’agriculture est bien une affaire d’Etat et non pas seulement une affaire de marchés. Même dans les pays pauvres, où les organismes publics sont souvent disqualifiés par l’opinion, il serait insuffisant de penser que la société civile - les organisations agricoles ou les ONG - suffise à constituer un élément régulateur et intégrateur susceptible de faire contrepoids aux tendances centrifuges du commerce mondial. Les politiques agricoles nationales sont de plus en plus nécessaires et doivent constituer la base de régulations internationales. Le monde a besoin d’un engagement mesuré des États, qui passe quand cela est nécessaire par leur requalification.

Mots-clés

agriculture, souveraineté alimentaire


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Source

Livre

HERVIEU, Bertrand, Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, Flammarion, 1996 (France)

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