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Mexique, 1996 : une crise alimentaire sans précédent

Pierre Yves GUIHENEUF

04 / 1997

Il y a cinq ans, le Mexique importait seulement 250.000 tonnes de maïs, la céréale de base de l’alimentation humaine. Aujourd’hui, il doit en importer vingt fois plus et les Mexicains sont même condamnés à manger des tortillas faites avec du maïs jaune qu’ils n’apprécient guère. Pour le blé, les importations annuelles ont été multipliées par quatre sur la même période. Les tendances sont identiques pour le soja ou le sorgho et on doit même importer du haricot, un comble pour un pays traditionnellement exportateur ! Que s’est-il passé ?

La fin du soutien à la production paysanne

Jusqu’au début des années quatre-vingts, l’agriculture familiale fournissait près de 70 % de la production et bénéficiait du soutien du secteur public, qui subventionnait aussi certains prix à la consommation. Ce système a volé en éclats avec la privatisation des terres, l’ouverture commerciale, le désengagement de l’État et les contraintes imposées par la renégociation de la dette. Le démembrement de la production paysanne de céréales et de légumineuses est le résultat d’une politique délibérée. à titre d’exemple, les crédits accordés aux petits producteurs ne concernaient plus que un million et demi d’hectares en 1988 contre cinq millions en 1982 et les prix des produits de base ne sont plus garantis. La production paysanne a été fortement réduite et les importations alimentaires se sont envolées.

Depuis deux ans, avec la flambée des cours mondiaux de céréales et la dévaluation, les importations agricoles ont vu leur valeur multipliée par trois. Aujourd’hui, le prix des aliments augmente plus fortement que l’inflation. Conséquence : près de la moitié de la population mexicaine ne dispose pas des revenus suffisants pour garantir une alimentation saine et équilibrée et, durant les 18 derniers mois, la consommation de produits de base a chuté de 29 %. En mai 1996, près de Monterrey, plusieurs centaines de personnes affamées ont pris d’assaut un train chargé de maïs importé des États-Unis. Il s’agit là d’un révélateur de la crise alimentaire que traverse le pays, l’une des plus graves de son histoire. Ni les consommateurs modestes ni les petits et moyens producteurs n’ont tiré un quelconque profit de la libéralisation de l’économie. Le libre-échange ne produit qu’exclusion et insécurité alimentaire.

Certes, tout n’est pas noir pour tout le monde puisque les États-Unis ont accru leurs exportations agricoles de 50 % depuis dix ans et que les entreprises agro-industrielles mexicaines, qui bénéficient d’importantes subventions publiques, ont affiché des bénéfices records durant les deux dernières années. C’est notamment sous leur pression qu’a été mis en place un processus d’intégration du Mexique dans les échanges internationaux. La politique agricole du Mexique est inspirée par le principe des avantages comparatifs : la production de blé, de maïs ou de haricot est abandonnée aux États-Unis, considérés comme plus compétitifs pour ces productions, et le Mexique se spécialise dans la production de fruits, de légumes... et d’exode rural !

Le choix de s’appuyer sur les importations de produits alimentaires est d’autant plus dangereux qu’aucune véritable mesure de reconversion n’a été prise pour les petits producteurs. Qu’adviendra-t-il des deux millions et demi d’entre eux qui ont moins de cinq hectares ? En avril dernier, face à l’ampleur de la crise, le gouvernement a annoncé un programme spécial de soutien à la production de maïs. Mais cette mesure arrive bien tard et elle est loin de répondre à l’ensemble du problème.

La mobilisation de la société civile

Le fait d’être situé à proximité du plus grand exportateur de produits agricoles du monde ne doit pas dispenser le Mexique de réfléchir à la place et aux diverses fonctions de l’agriculture dans la société. L’instabilité des prix internationaux est là pour nous le rappeler. C’est pourquoi il est important de porter la question alimentaire au coeur du débat national. Il ne s’agit pas de refuser l’insertion dans les échanges internationaux mais d’en changer les modalités. Il doit être possible de construire des politiques différenciées, guidées par une vision de long terme, qui ne sacrifient pas des pans entiers de la société à la logique du marché.

Un important forum a eu lieu récemment au Mexique à l’instigation de divers groupes de la société civile. Il y a été question d’agriculture familiale, d’emploi et de revenus en milieu rural, de mécanismes de marché au sein desquels producteurs et consommateurs trouvent leur intérêt, d’équilibre entre l’approvisionnement du marché intérieur et le développement d’un secteur agro-exportateur. Aujourd’hui, la question de la sécurité alimentaire revient sur le devant de la scène. Deux idées mobilisent les ONG et les organisations de producteurs. La première, c’est que la politique alimentaire du Mexique ne doit pas se déterminer à Washington. La seconde, c’est que les politiques alimentaires doivent être appuyées par un processus de participation. Cette réflexion collective s’inscrit dans un contexte de dialogue pour la paix et la démocratie auquel aspirent les couches populaires de la société mexicaine. La sécurité alimentaire ne peut pas être confiée aux seules lois du marché, des firmes et des rapports de force internationaux.

Mots-clés

agriculture et alimentation, agriculture, agriculture paysanne, alimentation, souveraineté alimentaire, stratégie alimentaire, faim, malnutrition, influence du marché sur l’agriculture


, Mexique

Notes

Ce texte fait partie d’une série de cas portant sur la question de la sécurité alimentaire, recueillis parmi les membres du réseau Agriculture paysanne et modernisation (APM)lors de la rencontre de Yaoundé, en septembre 1996. Une version plus complète est disponible en anglais auprès de l’auteur : Globalization, peasant agriculture and food security in Mexico : neither comparative advantage nor self-suficiency. ANEC : Miguel Angel de Quevedo 50-403, Col. Chimalistac, México DF 01050. Mexique. Fax +52 661 59 14. E-mail : anec@laneta.apc.org

Source

Littérature grise

SUAREZ CARRERA, Victor, Notes de travail de Victor Suarez, 1997 (France)

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