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Le sabordage d’une entreprise florissante pour raisons financières

Elisabeth BOURGUINAT

08 / 1998

Didier Defert, créateur, pour le compte d’une banque américaine, d’un réseau européen comprenant une banque immobilière et une société de crédit-bail et d’affacturage, avait réussi, en quatre ans, à faire passer son entreprise de 12 à 160 salariés et de 18 à 526 Millions de dollars, avec un bénéfice net de 6 Millions de dollars, malgré des investissements importants dans toute l’Europe.

Convoqué un jour par le dirigeant de la banque américaine, il apprend que le secteur européen ne paraissant plus stratégique aux analystes financiers de Wall Street, le groupe auquel il appartient souhaite s’en défaire, et qu’il dispose d’un an pour tout liquider. Se sentant responsable du devenir de ses salariés, dont certains avaient été embauchés à peine un mois plus tôt grâce à des promesses alléchantes, D. Defert décide de ne pas démissionner et d’assumer lui-même la liquidation de sa propre entreprise.

Le problème est alors de conserver la confiance de ses cadres et d’obtenir d’eux qu’ils collaborent à cette liquidation : dans un but d’économie et de synergie, les différentes activités sont restées extrêmement entremêlées, notamment en ce qui concerne l’informatique et les financements ; l’implication et la coopération active des cadres est nécessaire pour "détacher" ces activités les unes des autres afin de procéder à la vente.

Une autre difficulté est de motiver suffisamment les cadres pour qu’ils résistent à la tentation de la corruption, nombre d’entre eux jouissant d’une délégation de signature.

Du côté des repreneurs, beaucoup de prétendus candidats cherchent surtout à connaître l’état des comptes de la société, ou, pour certains, à négocier plus facilement la réembauche des cadres.

C’est dans une ambiance de très grande tension, voire de conflit, et au prix d’énormes efforts que D. Defert parviendra à régler l’affaire de façon positive pour tout le monde : seuls quelques cadres ont préféré partir pour être sûrs de tirer leur épingle du jeu ; les autres sont restés dans l’entreprise jusqu’au bout, ont touché des compensations financières et ont tous retrouvé un emploi.

Au terme de cette expérience qui l’a confronté à la brutalité de l’ordre de liquidation, à l’incompréhension de ses cadres et aux offres de corruption de la part des repreneurs, D. Defert s’est rendu compte que le chairman de la banque américaine ne l’avait laissé aussi libre de son mode d’action que parce qu’il savait qu’il pouvait compter sur son côté "bon soldat discipliné" et sur son sens du devoir ; loin de se flatter qu’on lui ait fait confiance, il considère, avec une certaine amertume, qu’on s’est simplement moqué de lui, d’autant qu’il n’a pas su négocier sa prime de départ : il n’a demandé qu’un an de salaire alors que, selon ce qu’il a su plus tard, il aurait pu en obtenir cinq.

Par ailleurs, cette histoire reflète, selon D. Defert, l’évolution de la conception de l’investissement aux Etats-Unis : pour décider des stratégies à suivre, les analystes financiers ne se fondent plus, comme autrefois, sur la garantie d’une sécurité maximale dans le temps, mais sur la recherche d’un profit immédiat ; or si l’on n’observe pas les stratégies qu’ils préconisent, les plus gros actionnaires vendent immédiatement leurs actions ; la vie ou la survie de l’entreprise est donc entre les mains de ces analystes, qui sont d’ailleurs très brillants. En l’occurrence, qu’il se soit agi d’une bonne stratégie ou du hasard, la vente du groupe que dirigeait D. Defert, qui s’est faite juste avant l’effondrement de l’immobilier, a été une excellente affaire pour la banque américaine !

Mots-clés

banque, institution financière, flux de capitaux, emploi


, France, Europe, Etats-Unis

Commentaire

Cette histoire offre un exemple particulièrement spectaculaire d’une confrontation entre une logique humaine (celle du dirigeant de la société européenne, soucieux de tenir ses promesses et d’assumer ses responsabilités face à ses salariés), et une logique "inhumaine", celle de " l’horreur économique ".

Dans ce type de situation, la morale se trouve quelque peu chahutée : les efforts considérables consacrés pendant plusieurs années par D. Defert et ses employés à la construction de l’entreprise, le sens du devoir et des responsabilités qu’il a montré dans le règlement de l’affaire ont surtout servi à assurer un bénéfice maximal à la banque américaine ; si c’était à refaire, D. Defert démissionnerait et laisserait remplir cette tâche par un " tueur " dont c’est le métier. Au bilan de cette histoire, une amère consolation : le chairman qui lui avait donné l’ordre de liquider l’entreprise a lui-même perdu son emploi peu de temps après, dans le cadre d’une fusion avec une banque plus importante. Seule différence : il avait su négocier une prime de 8 ans de salaire, qui lui a laissé un peu de répit pour retrouver un emploi.

Notes

Didier Defert est l’ancien président de Security Pacific Holding-Europe, société dont il est question dans ce texte.

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

DEFERT, Didier, LEFEBVRE, Pascal, Ecole de Paris de Management, Soudain San Diego me dit : " Liquidez tout ! ", Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1995 (France), I, Une version proche a été publiée dans la revue " Gérer et comprendre ", n°35, juin 1994.

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