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Peut-on parler de modèles nationaux en gestion ?

L’analyse des particularités des différentes cultures nationales sert-elle à enrichir le dialogue ou à enfermer l’autre dans un modèle à priori ?

Elisabeth BOURGUINAT

08 / 1998

On parle de management américain, de méthodes japonaises, de modèles suédois, d’esprit gaulois. Peut-on parler de modèles nationaux de gestion ? Selon Philippe d’Iribarne, directeur de Gestion et Société, cette question est souvent gommée à la fois par des " réalistes " qui considèrent que la maximisation du profit est la même partout et que le reste n’est que de la littérature, et par des " idéalistes " qui soulignent qu’à une époque de repli sur les identités nationales ou ethniques il est dangereux de légitimer les spécificités locales.

Pourtant, l’ignorance de ces spécificités peut empêcher de comprendre certains comportements ou certains discours, comme ce tract publié par la CGT en 1994 à propos de la loi quinquennale sur l’emploi : " L’annualisation du temps de travail met les salariés à la disposition totale de l’employeur ". L’expression " disposition totale " n’a pas de sens, compte tenu de tous les règlements qui accompagnent la loi ; mais elle renvoie à l’image féodale du serf corvéable à merci. D’une façon générale, en France, on considère qu’on est placé dans une position servile dès qu’on est au service de quelqu’un. La notion de liberté de l’employé par rapport à l’employeur est très différente aux Etats-Unis : le sentiment de liberté repose là-bas sur l’existence d’un contrat temporaire correspondant à un échange entre un salaire et une tâche, par opposition à une situation de servitude dans laquelle on est soumis à un pouvoir arbitraire. Les Français attachent également beaucoup d’importance à la noblesse de leur travail, au point par exemple que tel directeur d’usine considère comme au-dessous de lui de contrôler de trop près le travail des ouvriers, tâche subalterne qui revient à un contremaître. Les Américains sont soucieux d’appliquer des contrats légalement négociés, les Français de tenir leur rang.

Mais à quoi cela sert-il de définir de tels " modèles nationaux ", à supposer, comme le pense Ph. d’Iribarne, que cela soit possible ? Au delà du plaisir intellectuel que procure le fait de mieux comprendre les comportements des uns et des autres, la connaissance de ces modèles devient cruciale lorsque l’on veut changer les manières de faire, et notamment importer des pratiques de gestion étrangères. Le centre de recherche qu’anime Ph. d’Iribarne est ainsi souvent sollicité pour aider à faire passer dans la pratique des réformes superbes sur le papier, mais irrecevables culturellement par les membres de l’entreprise.

Ehrard Friedberg, directeur du Centre de Sociologie des Organisation, n’a découvert la culture française qu’à l’âge de 20 ans ; il reconnaît qu’il existe bien évidemment, d’un pays à l’autre, des différences culturelles que chacun éprouve dès qu’il traverse une frontière. Mais au niveau de l’entreprise, le poids de la culture nationale lui paraît marginal par rapport à celui des cultures régionales, professionnelles ou sociales, et des cultures d’entreprise. De plus, la tentative de définir des modèles nationaux de gestion lui semble présenter deux risques : le conservatisme, reposant sur l’idée que les transferts d’une culture à l’autre sont impossibles ; le déterminisme, qui consiste à croire que l’on connaît l’essentiel de la culture d’autrui et qu’on peut se dispenser de se mettre à son écoute. Du reste, le succès du transfert en France d’un grand nombre de méthodes japonaises montre bien que les modèles, s’ils existent, ne sont pas définitifs.

Pour Jean-Louis Beffa, PDG de Saint-Gobain, les différences de culture sont en train de se réduire fortement, notamment en Europe, en ce qui concerne par exemple la gestion du personnel ou les attentes des clients. L’optique du groupe auquel il appartient consiste du reste à essayer de tirer parti des différences qui demeurent : des méthodes de reporting ITT, très précises et sévères, ont été imposées à toutes les nationalités du groupe, y compris aux Français ; le modèle allemand de plans à 3 ans a été adopté, ainsi que diverses procédures japonaises ou scandinaves.

Mots-clés

gestion d’entreprise, modèle culturel, multinationale, dialogue interculturel


, France, Europe, Etats-Unis, Suède

Commentaire

Cette soirée de l’Ecole de Paris semble avoir été particulièrement orageuse, tant les passions se déchaînent dès qu’il s’agit de définir des caractères nationaux. La vieille notion des " climats ", développée à partir du la fin du 18ème siècle, notamment par Mme de Staël, est profondément ambiguë : fondée à l’origine sur le souci de comprendre d’autres cultures, d’autres sensibilités, d’accepter leurs différences et de percevoir leurs richesses, elle est toujours susceptible de conduire à enfermer autrui dans une caractérisation arrêtée une fois pour toutes. Le parti-pris très pragmatique du PDG de Saint-Gobain semble montrer la bonne voie : il s’agit de considérer les différences de culture comme des chances et de s’approprier celles qui paraissent les plus intéressantes. Une preuve supplémentaire que ce n’est pas si difficile qu’on pourrait le croire, est l’exemple cité par un auditeur : préparant une réunion entre Français et Suédois, il avait expliqué à son équipe que les Suédois aimaient faire des exposés construits, sans être interrompus, et leur avait demandé d’en faire autant pour cette réunion. Le jour de la rencontre, les Suédois ont expliqué qu’ils venaient de suivre un stage culturel et qu’ils savaient que les Français adoraient être continuellement interrompus. Les uns et les autres se sont ainsi trouvés dans une situation paradoxale, où les Français faisaient des exposés " à la suédoise " et où les Suédois les interrompaient continuellement, " à la française " !

Source

Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…

BERRY, Michel, Ecole de Paris de Management, Peut-on parler de modèles nationaux en gestion ? , Association des Amis de l in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1995 (France), I

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