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Les paysans face aux politiques de libéralisation des marchés de la terre au Mexique

Marguerite BEY

03 / 1996

Au Mexique, la réforme à l’article 27 de la Constitution de 1917, qui interdisait toute transaction des terres des ejidos et des communautés, réactualise la question de la réforme agraire, jamais achevée, et pose celle des processus de privatisation dans le cadre de la libéralisation de l’économie.

La réforme agraire était le point d’achoppement de la Révolution mexicaine : elle était nécessaire à la consolidation de la paix sociale et d’un Etat fondé sur un pacte social de type corporatif. La réforme répondait aussi à l’impératif de resserrer les liens entre l’Etat et les masses paysannes. Au niveau national, la propriété sociale (ejidos et communautés)occupe un espace considérable.

Le fait de parler au pluriel des marchés de terres correspond à l’idée que ces marchés obéissent à des modèles imparfaits construits à partir de rationalités distinctes. Les modalités d’accès à la terre sont variées, mais les sujets sociaux concernés sont aussi confrontés sur des conceptions différentes. Le marché n’est pas une somme d’échanges mais bien une construction historique. Il faut savoir que déjà 50 à 70% des terres ejidales sont en location.

La situation récente dans les campagnes indiquait une structure agraire marquée par le morcellement des exploitations, contribuant à leur paupérisation ; la concentration sélective de la terre ou " néolatifundisme ", qui s’accompagne de l’expansion de l’élevage comme moyen d’occuper des superficies toujours plus grandes ; l’agriculture contractuelle, pratique la moins onéreuse pour les entreprises transnationales ; et la sécurité juridique de la terre.

Mais la terre n’est pas qu’une marchandise. Elle est porteuse d’une rationalité autre qu’économique et de valeurs culturelles fondamentales.

Au niveau national, le retrait de l’Etat du secteur de production agricole et l’ouverture commerciale ont un premier effet tangible : le Mexique voit augmenter sa dépendance des importations d’aliments. Au nom de la compétitivité, la signature de l’Accord de Libre Echange entre les trois pays d’Amérique du Nord risque fort d’aggraver cette tendance. Selon l’auteur, " ces processus semblent liés à une insertion subordonnée de la production agro-pastorale nationale dans un modèle mondial de production et de consommation toujours plus spécialisé et, paradoxalement, toujours plus excluant pour la majorité de la population. Un modèle qui a dérivé vers des problèmes écologiques et sociaux dont les dimensions mettent l’avenir de l’humanité en danger. "

Les modifications à l’article 27 se résument en cinq points :

1)la vente, l’achat et la location de terres ejidales et communales sont légalisés ;

2)les sociétés commerciales peuvent acquérir des terres ;

3)l’association entre ejidataires et investisseurs est autorisée, les premiers pouvant mettre leur terre en guise de capital ;

4)la répartition de terres est achevée et, avec elle, la réforme agraire dans son sens redistributif ;

5)le droit social agraire est abandonné au profit du droit commercial et civil.

La privatisation des ressources naturelles (terre, bois, eau)est justifiée en ce qu’elle est perçue comme le meilleur moyen pour une exploitation rationnelle des ressources, puisque l’absence de sécurité foncière empêche les investissements productifs. Pourtant, ce sont bien les grands éleveurs, les compagnies d’exploitation du bois et les multinationales qui ont déjà causé les plus graves dégâts sur les ressources naturelles. Quant aux ressources hydrauliques, en les affectant au plus offrant, on perd de vue les priorités de développement dans chaque région.

Remarquons aussi que le processus légal de délimitation et de titularisation est lent, ce qui freine les transactions. Les prix de la terre sont d’une grande diversité, ce qui témoigne d’une combinaison d’éléments économiques et subjectifs. Il est vrai aussi que la terre est 3 ou 4 fois plus chère au Mexique qu’aux Etats-Unis. Par ailleurs, les formes temporaires d’accès à la terre sont variées : location, rente, hypothèque, prêt, métayage sous diverses formes.

Le nouveau cadre législatif n’affecte pas tous les producteurs de la même manière. Les détenteurs de capitaux recherchent les meilleures terres, comme les transnationales bananières dans le Chiapas ou bien dans les districts irrigués du nord-est, où les terres ont été louées. Parallèlement, dans la dernière décennie, l’une des principales zones irriguées, La Laguna, a expulsé un tiers des paysans ejidataires et entièrement transformé le système de production. A l’autre extrême, se trouve la forêt Lacandona, dans le Chiapas, où a commencé la rébellion de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN). Là, les problèmes de démocratie et d’identité ethnique côtoient ceux de l’extrême pauvreté et des conditions d’asservissement par les grandes exploitations de la région qui étendent leur contrôle sur des superficies de plus en plus grandes.

Parmi les réclamations des mouvements sociaux actuels, se trouve l’accès à la terre, certes, mais aussi des revendications ethniques, politiques et sociales. Il semble essentiel de redéfinir le rôle des acteurs et, en particulier, la relation entre la société, l’Etat et le marché

Mots-clés

agriculture familiale, organisation paysanne, intervention de l’Etat, désengagement de l’Etat, politique foncière, réforme agraire, politique agricole, système agraire, communauté paysanne, libéralisme, prix des produits agricoles et alimentaires, écosystème, élevage, sylviculture, ALENA


, Mexique, Selva Lacandona, La Laguna, Sonora

Commentaire

La proposition la plus remarquable de ce texte est de réorienter le marché de la terre vers la création de petites exploitations, qui seraient certainement mieux adaptées pour satisfaire la demande alimentaire nationale, occuper la main-d’oeuvre rurale et préserver les ressources naturelles. Quant aux grands exploitants et aux entreprises multinationales, l’achat de terres ne semble pas être leur priorité, le coût et les risques étant trop élevés.

Notes

Colloque "Agricultures Paysannes et Question Alimentaire ", Chantilly, 20 - 23 Février, 1996.

Source

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