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Biodiversité, OGM et principe de précaution : le point de vue d’un scientifique indien

Gildas LE BIHAN

09 / 2000

Il existe désormais un cadre international pour réguler le commerce des OGM et produits dérivés. Après une semaine d’intenses négociations à Montréal, au Canada, les délégués de 140 pays ont défini les règles qui permettront à un pays d’interdire l’importation d’OGM (semences, microbes, animaux, céréales...)qu’il considère dangereux pour l’environnement. Tous les produits alimentaires génétiquement modifiés exportés devront porter la mention "Peut contenir des OGM". Cet accord porte le nom de Protocole de Carthagène sur la biosécurité parce que c’est dans cette ville de Colombie que les discussions avaient commencé, il y a un an. Il prendra effet lorsqu’il aura été ratifié par au moins 50 pays. Les choses n’ont pas été faciles.

Un observateur de poids

Tout au long des négociations, les Etats-Unis avaient pour principale préoccupation leurs intérêts commerciaux et non pas la protection de l’environnement. En février 1999, ils ont d’ailleurs bloqué les discussions sous prétexte que l’accord envisagé était trop contraignant et qu’il affecterait notamment leurs ventes de maïs et de soja, qui sont pour une bonne part constituées d’OGM. La chose étonnante c’est que les Etats-Unis ne sont pas signataires de ce pacte puisque le Congrès n’a pas encore accepté de ratifier la Convention sur la biodiversité qui avait été élaborée à Rio en 1992 et qui est le précurseur du nouveau protocole. Au cours des négociations de Carthagène, les Etats-Unis n’avaient que le statut d’observateur et ne pouvait donc prendre part aux votes ou participer "officiellement". Ils ont malgré tout pesé sur les débats grâce aux Canadiens et aux Australiens, leurs alliés, sur les questions agricoles. Quoi qu’il en soit, ils devront se soumettre à la règle commune lorsqu’ils exporteront vers les pays qui auront ratifié le protocole. Avant d’exporter des OGM destinés à être libérés dans l’environnement, tout pays exportateur devra au préalable obtenir l’accord du pays importateur par le biais de l’accord informé préalable.

De nombreux observateurs soulignent que les dispositions de cet accord ont été allégées pour tenir compte des intérêts commerciaux américains. Il suffira donc que les étiquettes accompagnant les OGM exportés indiquent "Peut contenir des OGM" sans en dire plus sur la nature exacte du produit. Cela arrange bien les grosses firmes céréalières comme Cargill Inc et Archer-Daniels-Midland Co. Beaucoup d’écologistes et de délégués officiels européens ont manifesté leur désaccord quant à ces concessions. Le texte n’impose pas non plus un étiquetage spécifique une fois que l’OGM (graine, végétal, animal)est entré dans la composition d’un produit alimentaire quelconque. Ainsi sur les boites de cornflakes rien n’indiquera que le produit est à base de maïs transgénique.

Le principe de précaution

La bonne nouvelle pour les pays en développement c’est l’acceptation du Principe de précaution. Il permettra à tout pays concerné de refuser l’importation d’OGM même s’il n’est pas scientifiquement établi qu’ils peuvent présenter des problèmes pour la santé ou l’environnement. Beaucoup de pays européens et de pays en développement souhaitaient que cet accord prennent le pas sur les dispositions de l’Organisation mondiale du commerce. Dans le cadre de l’OMC en effet, il faut des preuves scientifiques pour justifier un refus d’importer un produit particulier. Les Américains ont bataillé pour que cette exigence soit aussi incluse dans l’accord afin d’éviter que les pays importateurs ne puissent refuser les produits OGM tout simplement selon leur bon plaisir. Mais la majorité des délégués s’est déclarée contre. Tout au long des négociations, les Etats-Unis et plusieurs autres pays se sont montrés réticents vis-à-vis du Principe de précaution sous prétexte qu’on pourrait en faire un trop grand usage pour cause de crainte injustifiée ou de protectionnisme. Dans le texte final il existe d’ailleurs "un dispositif de sécurité" : l’accord n’annulera pas les droits et obligations des traités internationaux en vigueur, notamment les règles de l’OMC. Les Américains tenaient absolument à ce que les dispositions de l’OMC, en principe basées sur les évidences scientifiques, continuent à s’appliquer à toute décision relative aux importations. Et la commissaire européenne à l’environnement, Margot Wallstrom, a déclaré : "Si dans ce domaine la décision d’un pays provoque un contentieux, l’OMC se saisira de l’affaire et prendra une décision". L’accord sur la biosécurité prévoit aussi la mise en place d’un Centre d’échanges d’informations pour partager l’information en matière d’OGM. Les pays devront lui faire connaître, dans un délais de 15 jours, leur décision d’autoriser un organisme génétiquement modifié dans l’alimentation humaine ou animale ou tout produit dérivé.

Les pays qui ont la chance de posséder une riche biodiversité feraient bien de se méfier de la pollution génétique car des variétés transgéniques venues de l’étranger pourraient bien se croiser à des espèces sauvages. Et il ne faut pas minimiser le danger de la mainmise des grandes firmes spécialisées dans la biodiversité sur les grandes céréales, grâce à des semences stériles par exemple. De toute évidence les pays en développement doivent eux aussi se doter d’une législation appropriée pour contrôler les entrées de ce type. La controverse à propos des effets potentiels des OGM sur l’environnement et la santé n’est pas prête de s’arrêter. Et ce nouvel accord sur la biodiversité porte d’ailleurs essentiellement sur les règles du commerce des OGM et non pas sur les questions de sécurité pour l’alimentation et la santé. Ce document constitue sans doute un pas en avant qui permettra dans une certaine mesure de tenir compte du Principe de précaution en matière d’OGM. Mais c’est aussi à bien des égards un texte tronqué.

A un seuil minimal

Sous la pression des industriels de la biotechnologie les Etats-Unis, qui mènent le Groupe de Miami (pays exportateurs de céréales)ont manoeuvré pour qu’on s’en tienne à un seuil de précaution minimal. L’étiquetage des OGM restera très vague, et ce ne sera même pas une obligation pour les produits dérivés. Ainsi une société qui fabrique des cornflakes à partir de maïs transgénique ou des aliments contenant du soja transgénique pour le premier âge ne sera pas tenue de le spécifier sur l’emballage. Les Etats-Unis pourront continuer à guerroyer pour que le commerce des OGM reste à l’ordre du jour de l’OMC. Ce nouveau protocole ne modifiera pas les droits et des devoirs définis par les accords internationaux existants, dans le cadre de l’OMC notamment.

Précautions nationales

Tous les pays doivent donc s’empresser de se doter d’une réglementation spécifique en matière de commerce d’OGM. C’est une démarche essentielle car l’OMC ne possède pas nécessairement les compétences indispensables pour juger le degré d’innocuité de certains produits génétiquement modifiés avant d’en autoriser le commerce. Dans les pays en développement comme l’Inde, beaucoup de gens ne savent rien sur les OGM. Il y a là un gros travail d’information à entreprendre. Mais il vaut mieux rester vigilants. Notons pour terminer que des tendances encourageantes se font jour. L’inquiétude des consommateurs est déjà perçue par les agriculteurs et les marchés. Les agriculteurs commencent à séparer leurs récoltes OGM des récoltes classiques et ils consacrent moins d’hectares aux cultures OGM. Les caractéristiques des OGM en font des produits à double tranchant. Il s’agit là de technologies qui n’ont pas subi le test du temps. Et nous serions bien légers de confier à l’OMC le soin de faire la loi dans ce domaine. Tant qu’on ne disposera pas de preuves scientifiques absolues que ces produits sont sans danger il faut refuser de mordre à l’hameçon et se référer sans cesse au principe de précaution.

Mots-clés

accord international, biodiversité, OMC, principe de précaution, Organisme génétiquement modifié (OGM)


, , Inde

Commentaire

Ce texte offre une analyse "sudiste" et "non alignée" sur les rapports de force politiques et économiques qui ont conduit au compromis de Montréal.

Notes

Le texte original est paru en anglais dans le bimensuel Down To Earth, publié par le Centre for Science and Environment, Tughlakabad Institutional area 41, New Delhi-110062, India - cse@cseindia.org - www.cseindia.org

Source

Articles et dossiers

AGARWAL, Anil, OGM : le Protocole sur la biodiversité in. Notre Terre, vers un développement durable, 2000/04 (France), 3

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