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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

La société d’archipel

Ou les territoires du village global

Pierre Yves GUIHENEUF

05 / 2002

Notre vision due monde a changé. L’exploration de la planète, commencée de façon systématique il y a cinq siècles, s’est achevée avec l’apparition des satellites. Alors qu’un habitant d’autrefois connaissait chaque détail de son environnement proche et ignorait le lointain, nous connaissons aujourd’hui des fragments de la planète entière, mais pas nécessairement notre voisin. Nous découvrons le monde en pointillé, grâce à l’avion ou au petit écran.

Dans le même temps, la vie s’allonge, le temps consacré au travail diminue. L’espace gagné se remplit d’interrogations existentielles. La montée de l’individualisme et de la mobilité, l’appréhension envers la période qui succède à la guerre froide, les fractures du monde... tous ces phénomènes modifient notre vision de l’espace, du territoire, de la planète. "Le travail de ce livre est d’abord spatial et imaginaire. Il veut montrer que la représentation des territoires et du monde comme un univers d’archipels, d’échelles, de tailles, de configurations et de connexions diverses [...] nous fait quitter les logiques continues et compactes d’un monde dessiné à pied, puis à cheval, pour nous unir à une humanité qui a contemplé son territoire du haut du ciel".

Que devient la citoyenneté quand les électeurs ne partagent plus la même vision de l’espace, quand on vote là où on loge, l’un seulement des lieux qu’on occupe ? Le citoyen d’aujourd’hui est mobile : il connaît des espaces lointains, son trajet quotidien moyen est de 30 kilomètres, il a accès à des informations provenant du monde entier. Les différences entre le rural et le citadin s’atténuent, nos appartenances territoriales sont en crise. Au morcellement de nos territoires individuels correspond un usage multiple des lieux : un même espace peut être lieu de travail pour certain, lieu de vie pour d’autres, lieu de loisir pour les derniers. C’est pour cela qu’il faut organiser des transferts financiers depuis les lieux de résidence et de travail vers les espaces moins habités mais souvent visités : campagnes, forêts, littoral. C’est préférable que de croire à un retour à des modes d’habitat anciens.

A l’éclatement de nos repères spatiaux et culturels répond l’avènement de l’individualisme. Le domicile - maison ou appartement - est notre refuge et notre territoire d’appartenance. Comment alors "organiser en même temps des repérages symboliques renforcés sur des bases spatiales anciennes et des territoires nouveaux capteurs de nouvelles formes d’organisation et de compétences ? Comment les deux peuvent-ils ne pas entrer en conflit ? Telle est l’une des grandes difficultés politiques des années qui viennent. L’abstraction continue de nos racines dans les terroirs et leurs cultures induira de plus en plus de demandes d’appartenance à leurs figures symboliques".

Les territoires que nous habitons ne sont pas les seuls fondements de nos identités et de nos appartenances, ils en constituent seulement la dimension "horizontale". L’histoire en constitue la dimension verticale. Or, depuis des siècles, la notion de progrès structure nos rapports avec le temps. Les avancées sans fin du futur devaient compenser les insuffisances du présent, la créativité de l’homme était sans limite et l’utopie politique fondait sur cela ses espoirs. Mais la notion de progrès est morte, non pas que de nouveaux progrès ne soient plus possibles, mais parce que cela a cessé de constituer un moteur collectif. Nous sommes engagés dans une nouvelle aventure qui n’a plus pour horizon la conquête de l’inconnu, mais l’aménagement du connu. Il nous faut trouver du désir pour un monde fini et pour la corresponsabilité planétaire. Notre nouvelle aventure consiste à vivre ensemble dans un monde fini, sans projet collectif sauf celui - potentiellement fantastique - de vivre. L’absence de futur mythique rétablit seulement le primat de l’espace sur le temps, de la géographie sur l’histoire, chacun s’enracinant dans ses différences qui font son identité culturelle. Le retour en force de l’environnement, du nationalisme ou du sentiment européen traduit cette évolution. De nouvelles identité naissent, dont le problème est d’éviter qu’elles ne perdent de vue l’universalisme de l’homme et de ses valeurs. Notre tâche désormais consiste à organiser l’unité du monde dans son infinie diversité.

Face à ce défi, l’Europe a un rôle déterminant à jouer. Comme au siècle des Lumières, elle peut définir des pistes que les autres habiteront de leurs propres dynamiques. Elles ne sauraient être imposées, mais "si nous n’offrons rien, le libéralisme financier et l’ethno-nationalisme risquent de régenter le monde". En France, notre capacité d’innovation doit nous inviter à écarter l’ordre jacobin pour aller vers le particulier, organisant le territoire en fonction de ses différents usages et de ses fonctions symboliques et mémoriales. Le monde de demain ne sera pas uniforme : de multiples révoltes nous écartent déjà de ce danger potentiel. Il sera "un immense entrelacs d’archipels individuels et sociaux, un gisement gigantesque de particularités, d’appellations contrôlées, de diversités entretenues". Pour qu’elle soit crédible, cette nouvelle espérance doit constituer la nouvelle fondation du politique.

Mots-clés

conception du monde, aménagement du territoire, travail


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Commentaire

Cet essai développe une pensée originale et éclairante sur les mutations d’aujourd’hui. Il reste cependant difficile d’accès et plutôt destiné à un public averti.

Source

Livre

VIARD, Jean, La société d'archipel, Aube, 1994 (France), 116 p.

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